Fait partie du dossier : Coronavirus COVID-19

Le Président de la République Emmanuel Macron a participé à un Conseil européen qui s'est tenu par visioconférence.

Revoir le point presse du Président à l'issue du Conseil européen : 

25 mars 2021 - Seul le prononcé fait foi

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POINT PRESSE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE À L’ISSUE DU CONSEIL EUROPÉEN

Bonsoir à toutes et tous. Nous nous sommes donc retrouvés pour un nouveau Conseil européen en visioconférence dont la première journée vient de se clore avec un échange avec le Président des États-Unis Joe BIDEN qui a permis de marquer nos importantes convergences tout comme les chantiers qui nous attendent, au premier rang desquels figure la réponse mondiale contre la pandémie. 

L’essentiel de la discussion de ce Conseil européen s’est évidemment concentré sur la lutte européenne contre le virus, en particulier l’accélération de notre campagne vaccinale afin de pouvoir retrouver dès que possible une vie normale. Nos échanges le confirment et, vous le savez, c’est la conviction que la France porte depuis le début : il n’existe pas d’autre solution qu’une solution européenne pour surmonter cette crise. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez mais cette réponse est en effet européenne car nous disposons désormais sur le sol européen de capacités diverses et nécessaires pour le cycle de production des vaccins, qu’il s’agisse des usines capables d’assurer leur conception ou de celles qui sont en charge de ce qu’on appelle le flaconnage et le finissage des doses. La France en accueille plusieurs et avec la Présidente de la Commission, Madame Ursula VON DER LEYEN, comme le Commissaire en charge de cette Task force vaccins, le Commissaire Thierry BRETON que je veux ici remercier pour son travail, nous avons examiné en détails l’ensemble des possibilités de renforcer dans l’immédiat la production européenne des vaccins que nous avons commandés. C’est ce travail sur lequel nous nous sommes concentrés et qui nous permettra dès les prochaines semaines d’accroître cette production européenne et de pouvoir nous mettre en situation dans les toutes prochaines semaines de produire totalement pour nous-mêmes et d’être d’ici à l’été le continent qui produit le plus de vaccins au monde. 

Cette coordination nous permettra de garantir la livraison des vaccins et de monter en puissance pour être rapidement en capacité de produire plusieurs milliards de doses par an sur notre continent afin de répondre à ce défi durable que sont les pandémies. C’est une solution européenne car, je le répète, sans mécanisme commun d’achat certains États membres n’auraient aujourd’hui probablement pas pu bénéficier aussi vite de doses de vaccin. Et une campagne vaccinale dans tel ou tel pays de l’Union européenne n’aurait pas de sens ni d’efficacité car nous aurions immédiatement en quelque sorte permis la réinfection de tout le continent par les quelques pays non-vaccinés. Il était donc important que nous puissions nous concentrer sur la négociation commune de ces contrats avec les producteurs et c’est bien cette dynamique européenne qui doit aller jusqu’à son terme. 

De la même manière, c’est une réponse européenne qui doit se faire pour que les règles du jeu soient respectées et que toutes les mesures soient prises pour que les acteurs industriels qui ne les respectent pas soient contraints de le faire. A cet égard, nous avons soutenu — la France l’a fait, collectivement, nous l’avons fait — les mesures prises par la Commission européenne permettant d’assurer plus de réciprocité et permettant véritablement d’activer les mécanismes de contrôle qui ont été décidés il y a maintenant plusieurs semaines. Ainsi, des doses qui risquaient d’être détournées depuis leurs sites de production européen ont été identifiées grâce à notre mécanisme de contrôle des exportations. Cela n’est en aucun cas du protectionnisme. Il s’agit simplement d’empêcher que d’autres pays développés ne se servent sur le dos de l’Europe alors même que des contrats signés entre les pays européens et certains industriels ne sont, à date, pas respectés. Nos concitoyens attendent légitimement que les campagnes vaccinales que nous avons décidées, annoncées dans nos pays, soient respectées. Et notre devoir, c'est de nous mettre en situation justement d'avoir de tels mécanismes pour nous assurer d'avoir ces doses. 

Grâce à ces efforts, nous pourrons permettre à une grande partie des Européens, justement, d'obtenir dans les prochains jours et prochaines semaines les doses promises. Je pense en particulier aux doses attendues du vaccin AstraZeneca. Là aussi, je pourrai vous donner tous les détails souhaités. Et c'est ce qui nous permettra de tenir les engagements que nous avons pris et que j'ai pu à plusieurs reprises réitérer, celui en particulier, d'ici à la fin de l'été, d'avoir, dans notre pays, offert à toutes les Françaises et tous les Français adultes qui le souhaitent la possibilité d'être vaccinés. Pour cela, il faut une augmentation importante des livraisons dans les semaines à venir et les prochains mois et les commandes, comme les mécanismes mis en place par les Européens, le permettront. Cette démarche européenne, c'est celle aussi qui va nous permettre de continuer à produire davantage sur notre sol, ce que nous avons d'ores et déjà commencé à faire, de finaliser les deux contrats qui restent à conclure avec les entreprises Novavax et Valneva. Celle aussi qui nous permettra d'assurer la production sur le sol européen des vaccins de deuxième génération, c'est-à-dire les vaccins qui nous permettront de faire face aux variants qui ne manqueront pas d'arriver à l'automne et l'hiver prochain. 

Il est très important que, instruits par l'expérience, nous puissions nous mettre en capacité de répondre à ces défis. A cet égard, le mécanisme européen dit HERA, lancé par la Commission, est absolument essentiel. Il a donné lieu à un premier investissement de 50 millions d'euros qui, à nos yeux, doit être complété. Et il nous permettra aussi de développer des capacités de production, des financements aussi en termes d'innovation pour répondre à ce défi. Enfin, la réponse européenne, c'est celle aussi qui doit nous permettre de prendre en compte l'intérêt de nos voisins et des pays les plus pauvres. C'est pourquoi nous préparons ensemble des mécanismes de solidarité afin de pouvoir partager dès que possible les doses avec les pays dont le besoin est prégnant. Je pense aussi bien aux Balkans occidentaux qu'aux pays africains, et vous savez l'engagement que nous avons pris pour en particulier fournir les doses nécessaires aux soignants africains. L'Europe jouera tout son rôle en la matière et elle sera au rendez-vous de ses responsabilités. Au-delà de cette longue discussion que nous avons eue sur les vaccins, et qui est à mes yeux le cœur de la bataille que nous menons car, nous pourrons y revenir si vous souhaitez que nous parlions de la France, mais nous sommes dans une course de vitesse entre la troisième vague et la campagne vaccinale partout en Europe. Et cette bataille pour les vaccins est la bataille que nous devons gagner dans les prochaines semaines et les prochains mois. C'est celle sur laquelle je concentre tous nos efforts. 

Nous avons également évoqué la nécessaire coordination des pays européens pour préparer la réouverture et, dès que la pandémie aura été ralentie, nous permettre de disposer des outils pour pouvoir circuler à nouveau sans menacer de répandre le virus. C'est le sens des certificats européens qui doivent permettre à tous de prouver qu'ils sont soit vaccinés, soit testés négativement, soit qu'ils ont été déjà touchés par le virus, guéris et donc ont les nécessaires anticorps. Je tiens à souligner que cet instrument n'est qu'une preuve médicale harmonisée à travers tous les États membres, mais qui ne détermine en rien les droits de chacun qui relèveront de décisions nationales. Et nous veillons également à ce que la technologie mise en place puisse pleinement respecter la confidentialité des données personnelles et le respect aussi des choix de chacune et chacun. 

Ce Conseil européen nous a aussi permis d'aborder plusieurs autres sujets, en particulier ceux de notre voisinage, et nous avons aujourd'hui évoqué également la question de la Russie et de la Turquie. Sur la Russie, sujet sur lequel nous reviendrons lors d'une prochaine réunion, nous avons réaffirmé notre unité à la fois pour adresser des messages de fermeté, comme cela a été le cas récemment avec l'adoption de sanctions en réponse à l'affaire NAVALNY et pour tracer les voies d'une coopération nécessaire dans le cadre d'un dialogue exigeant. À ce titre, nous continuerons à soutenir la société civile que nous ne pouvons laisser de côté. 

S'agissant de la Turquie, nous avons pu constater des avancées positives de la part d'Ankara depuis nos avertissements du Conseil européen de décembre, tout comme la nécessité que ces paroles se concrétisent à présent en action. Nous avons ces dernières semaines et ces derniers jours pu construire une convergence européenne et une position unanime. Elle a été confirmée puisqu'aucun amendement au texte proposé par le Président du Conseil n'a été soumis à la discussion du jour. Et nous avons décidé, là encore, comme nous l'avions fait à l'automne dernier à l'initiative de la France, une méthode en deux temps : poser les conditions d'un réengagement turco-européen ; et nous donner un rendez-vous au mois de juin prochain. C'est ce qui nous permettra, je l'espère, de progresser dans la stabilité de la Méditerranée orientale, de progresser dans le dialogue indispensable entre la Grèce et la Turquie, de progresser dans le dialogue dit 5+1 nécessaire là aussi au processus onusien pour Chypre, de progresser aussi pour permettre la stabilité et le retour à la paix en Libye qui exige le retrait de toutes les forces extérieures, qu'il s'agisse des combattants étrangers ou des armées russes, turques comme des influences extérieures. Dans ce contexte, je considère que nous avons posé des jalons clairs, d'ici au Conseil européen de juin, afin de permettre à Ankara d'apporter des clarifications, de nous prouver dans les prochains mois sa volonté de s'amarrer à nouveau à l'Europe. Et si celle-ci se confirme, plusieurs offres de rapprochement sont à la clé. Mais si nous constatons de nouvelles formes d'agressivité, là aussi nous pourrons tout à fait faire marche arrière. Je souhaite pour ma part que nous puissions, sur la base de ce dialogue franc et lucide, réengager un chemin d’avenir. 

Enfin, nous avons évoqué le marché intérieur, les sujets industriels et tenu un sommet zone euro avec le Président de l'Eurogroupe et la Présidente de la Banque centrale européenne. Quelques mots sur ce sujet. Nous avons évidemment évoqué la sortie de crise qui passe par un maintien des mesures de soutien budgétaire aussi longtemps que durera la crise sanitaire et la mise en œuvre rapide du plan de relance européen. La nécessité aussi d'une politique monétaire adaptée, la nécessité d'investissements dans les priorités stratégiques et, au fond, de bâtir dans ce contexte une autonomie stratégique qui doit guider notre stratégie industrielle pour permettre à l'Europe d'être à la fois plus verte et plus digitale. Mais soyons clairs, nous avons apporté en juillet dernier une réponse extrêmement forte qui avait complété la réponse monétaire. Et je considère qu'à la première vague, l'Union européenne a apporté une réponse à la hauteur, très clairement. Nous avons aussi des mécanismes de stabilisation qui sont liés à nos modèles beaucoup plus résilients que les modèles outre-Atlantique ou d'autres géographies. Mais la force de la réponse américaine et du plan annoncé il y a quelques jours par le Président BIDEN et son Congrès nous place face à une responsabilité historique. C'est que suite aux deuxième et troisième vagues que l'Union européenne a connues, il nous faudra sans doute compléter cette réponse. En tout cas, nous ne pouvons nous satisfaire d'une situation où — lorsque je lis les chiffres qui sont donnés, l'Union européenne mettrait plus de temps que d'autres géographies à retrouver la tendance qui était la sienne avant la pandémie. Et donc, à ce titre, il nous faudra à coup sûr, dans les prochaines semaines et les prochains mois, continuer de réfléchir ensemble et de décider pour avoir une juste réponse budgétaire, stratégique et d'investissement à cette crise. 

Voilà les quelques mots que je souhaitais avoir pour rendre compte de ce Conseil qui, comme je l’évoquais, s'est terminé par un échange avec le Président BIDEN, où le Président Charles MICHEL, comme le Président en exercice du Conseil, le Premier ministre COSTA ont pu expliquer notre stratégie et également la nécessité d'un dialogue renouvelé entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique, et qui nous a permis, face à la pandémie comme aux grands risques internationaux, de constater des convergences nouvelles. Voilà les quelques mots que je souhaitais avoir pour rendre compte de ce conseil et je vais maintenant répondre à toutes les questions que vous vous posez.

Loïc SIGNOR
Bonsoir, Monsieur le Président. Loïc SIGNOR, CNews. Depuis 4 mois, l'Europe a exporté 77 millions de doses de vaccin. Dans la même période, elle a inoculé 62 millions de doses. L'Europe a donc moins vacciné que ce qu'elle n'a exporté. Ce n'est pas vraiment l'Europe qui protège que vous appelez de vos vœux, ou alors elle protège d'autres pays. Est-ce le risque de marquer durablement l'image), de l'Europe auprès des Européens, mais aussi, et notamment ici en France, d'une Europe déjà décriée ?

Emmanuel MACRON
Merci de votre question. D'abord, votre question dit parfaitement que l'Europe n'est pas un continent égoïste. Je pense que c'est important parce que quand je lis la presse outre-Manche, on nous fait un procès chaque jour en disant que c'est l'Union européenne qui serait égoïste. Faux. Nous, nous avons laissé fonctionner les chaînes de valeurs telles qu'elles existaient. C'est très important. Mais on a constaté au début de cette année que les États-Unis d'Amérique avaient tendance, dans le cadre des structures qui s'étaient mises en place, à protéger les productions qui étaient faites aux États-Unis d'Amérique pour privilégier le marché américain, que le Royaume-Uni n'exportait pas beaucoup de doses, pour ne pas dire aucune, et donc nous avons mis en place un mécanisme de contrôle des exportations. 

Les choses se sont ensuite beaucoup mieux tenues, et c'est d'ailleurs ce mécanisme qui montre sa pertinence dans la situation que nous avons eue à connaître en Italie, où 29 millions de doses ont été saisies et n'ont pas été exportées. Vous avez raison de dire ça. Les chiffres ont été rendus publics cet après-midi par la Présidente de la Commission. Entre le 1er décembre 2020 et le 25 mars 2021, 77 millions de doses exportées. Mais c'est lié à quoi ? D'abord, au juste fonctionnement des choses. Les entreprises ont des chaînes de valeurs mondiales. Les entreprises américaines finissent leur production parfois en Europe pour le marché européen, le marché américain, le marché britannique. Est-ce qu'il fallait tout de suite bloquer tout cela ? Non, c'eût été une erreur. Je rappelle que nous-mêmes, nous avons bénéficié aussi d'importations. Nous n'aurions pas une seule dose de Moderna jusqu'alors si nous n'avions pas importé ces doses produites hors de l'Union européenne. 

Nous avons aussi produit des doses qui ont été exportées vers les pays les plus pauvres ou qui avaient besoin de ces exportations, ce qui montre notre solidarité, et c'est nécessaire si nous ne voulons pas que se développent d'autres variants qui seront ensuite réimportés, et nous l'avons là aussi connu dans la période récente. Ces variants séquencés au Brésil ou en Afrique du Sud réimportés et aujourd'hui se déployant dans notre région montrent la nécessité de vacciner partout. 

Cette situation, elle justifie pleinement que nous ayons ensuite mis des contrôles à l'exportation et je n'accepterai aucun procès en moralité, et elle justifie en particulier que nous ayons des dialogues différenciés avec certains industriels. Soyons clairs. Aujourd'hui, avec Pfizer et BioNTech, nous avons eu des exportations de doses produites sur le continent européen, mais je constate que l'intégralité des contrats qui ont été passés entre les pays de l'Union européenne et Pfizer BioNTech ont été honorés en montant, en volume et à date. Je constate, modulo quelques retards qui, je l'espère, seront très vite corrigés, mais que les engagements contractuels que nous avons pris avec Moderna sont honorés. Mais les engagements contractuels que nous avons eus avec AstraZeneca ne l'ont pas été, et de très loin. Là aussi, les éléments qui ont été rendus publics par la Commission européenne cet après-midi le montrent, et ô combien, et vous l'avez sans doute vu. Au premier trimestre, sur les 100 millions de doses, par rapport aux 120 millions de doses qui étaient actées, 30 millions simplement. Et les livraisons ne sont pas au rendez-vous, nous l'avons encore vu ces derniers temps. Et donc face à cette situation, révisions d'abord à la baisse des premiers engagements contractuels, difficultés ensuite à livrer en temps et en heure ces engagements, il était nécessaire de mettre des contrôles. C'est ce que nous avons fait et je souhaite que les saisines qui ont été faites en Italie grâce à la coopération des services italiens, que je remercie, permettront de livrer en temps et en heure les Européens. 

Maintenant, la clé, qu'est-ce que c'est ? C'est qu'on continue à accélérer, qu'on mette en place ces mécanismes avec efficacité et que face aux contrats que nous avons signé, nous ayons des résultats. C'est, je crois, l'Europe qui protège. Par rapport à votre question et aux chiffres que vous avez cités depuis le 1er décembre, je constate que certains sont allés plus vite que nous. Il faudra en tirer toutes les conséquences. Je le constate comme vous. Moi, je n'ai pas, si je puis dire, de fausse pudeur. Je considère que les États-Unis d'Amérique ont été plus innovants, plus ambitieux, je l'ai dit, peut-être ils ont su davantage rêver que nous et ils ont mis des sommes très importantes pour innover plus vite et plus fort. Ils ont eu raison. Ça doit être une leçon. Et donc pour les vaccins de seconde génération, mais aussi pour d'autres ambitions technologiques et scientifiques que l'Europe doit avoir, il nous faudra retrouver en quelque sorte ce goût du risque. C'est ça, la leçon que nous devons avoir. 

Voilà, les deux leçons que je tire du chiffre que vous donnez sont simples. Premièrement, la fin de la naïveté. Je soutiens les mécanismes de contrôle aux exportations mis en place par la Commission européenne. Je soutiens le fait que nous devons bloquer toutes les exportations qui seront faites aussi longtemps que des laboratoires ne respectent pas leurs engagements avec des Européens. Et la deuxième leçon, c'est qu'il nous faut savoir retrouver le goût du risque et de l'investissement dans l'avenir. 

Ania NUSSBAUM
Bonsoir, Monsieur le Président. Une petite question sur la Turquie. Vous avez évoqué dans une interview à la télé grecque des ingérences à venir dans l'élection présidentielle de 2022 par l'État turc. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que vous vouliez dire ? Comment interpréter ces commentaires dans le contexte plus général d'un dialogue retrouvé visiblement entre l'Union européenne et la Turquie ? Est-ce que je peux me permettre une toute petite autre question sur le plan de relance et le besoin de renforcer la réponse de l'Union européenne au vu du plan américain ? Est-ce que, selon vous, l'Union européenne doit dépenser, en tout cas en volume, au moins autant que les Américains, que les États-Unis ?

Emmanuel MACRON
Sur ce que j'ai dit sur la Turquie, il n'y a là rien d'indicible, rien d'inexplicable. C'est un constat. Il y a aujourd'hui l'existence d'organisations communautaires qui ont été très clairement expliquées, mises en œuvre. Il y a l'existence de groupes constitués, l'existence de groupes politiques sur le continent européen qui sont aujourd'hui activés par des organes de propagande officiels turcs, Diyanet entre autres. Ils sont connus et identifiés. Ils opèrent en Allemagne comme en France. Parfois, ils se mêlent de nos élections. D'autres fois, ils se mêlent de financements d'associations. Nous l'avons encore vu ces derniers jours avec les alertes légitimes faites par le ministre de l'Intérieur à l'égard de quelques collectivités territoriales peut-être un peu trop complaisantes. Lorsque nous avons des associations qui reconnaissent ne pas être capables d'adhérer aux valeurs de la République, c'est un problème. Et donc, il y a toutes ces formes d'ingérence dans la vie courante de notre démocratie.

Il y a ensuite les formes d'ingérence à travers des organismes de propagande qu'ils diffusent sur leurs chaînes. Là aussi, c'est identifié. Nous l'avons vécu à l'automne dernier. Et donc oui, les risques d'ingérence sont identifiés pour les échéances à venir, comme ces risques d'ingérence ont été identifiés dans d'autres pays européens. Ils sont organisés et structurés. C'est un problème, et on ne peut pas prétendre avoir une relation amicale si on ne se dit pas les choses et si on n'essaie pas de les régler. La France n'a pas d'organe de propagande. Elle ne finance pas des associations, des structures religieuses qui opèrent dans des pays étrangers ou participent au nom de la France dans les élections de pays étrangers. Vous seriez choqués si ça existait. Il est normal que nous soyons dans une démocratie comme la nôtre. La franchise l'impose et nous devons le régler. 

Sur le plan de relance, je veux être clair, les montants ne sont pas comparables. Pourquoi ? Parce qu'aux États-Unis d'Amérique, il n'y a pas les filets de sécurité sociale qui existent en Europe, et je dirais tout particulièrement en France. Il n'y a pas, en fonctionnement courant, les redistributions que les politiques publiques qui sont les nôtres, qui sont en quelque sorte l'équivalent du montant de notre dépense publique et des redistributions, et donc qui sont aussi une réponse à la crise et à la relance, donc on ne peut pas tout comparer. Il y a, dans le plan de relance américain, beaucoup qui est du côté de la demande et pas de l'offre et qui vient compenser l'absence de politique de solidarité en temps normal, aux États-Unis d'Amérique. Donc, une fois retraité cela, et les chiffres ont été rendus publics aussi bien par l'OCDE que par la Banque centrale européenne, pour ne citer que deux organismes, la différence est moindre entre le plan de relance américain et le plan de relance européen. Néanmoins, il y a une différence. Et quand je regarde aussi les trajectoires sur les années qui viennent, on voit bien que les États-Unis d’Amérique vont retrouver à peu près mi-2021 le niveau absolu qui était le leur avant la crise, et surtout vont très rapidement retrouver la trajectoire qui était la leur. 

Nous ne retrouverons ce niveau qu’au printemps-été 2022 mais donc avec un décalage de trajectoire qui est préoccupant parce que c’est une perte de croissance potentielle et cela suppose une réponse sans doute plus vigoureuse. Et je pense que c’est cette discussion qu’il nous faut avoir entre Européens. Comment améliorer cette réponse ? Comment investir encore plus vite et plus fort sur nos priorités sectorielles ? Et au-delà des montants d’investissement, je crois très profondément, c’est un des enseignements de la crise, pour l’Europe comme pour la France, il nous faut simplifier drastiquement nos réponses. Nous sommes trop lents, nous sommes trop complexes, nous sommes trop engoncés dans nos propres bureaucraties. Je crois que nous l’avons tous vécu. On doit aller plus vite, plus fort. C'est une leçon qu'on doit tous tirer.

Anthony LATTIER
Bonsoir Monsieur le président, vous avez reconnu une forme d'échec de l'Europe à l'instant dans la course au vaccin, de manque de réactivité, de manque d'ambition au départ. Vous avez évoqué le fait qu'il fallait en tirer toutes les conséquences, qu'est-ce que vous entendez par là ? Et puis est-ce que, aussi, vous reconnaissez une forme d'échec de votre politique sanitaire au niveau national alors que l'épidémie explose ? Est-ce qu'il n'y a pas de votre part une forme d'entêtement, comme le disent certains médecins, à ne pas prendre des mesures plus dures ?
 
Emmanuel MACRON
Alors je n'ai pas reconnu une forme d'échec. Je sais bien que nous avons une tendance à adorer les mea culpa. Non. J'essaie d'être lucide. Beaucoup de gens considèrent que quand on est volontaire, on ne doit pas reconnaître la situation telle qu'elle est. Ça veut pas dire pour autant qu'on se bat la coulpe et qu'on ne regarde pas le passé. Donc j'essaie d'être lucide. Nous avons réagi moins vite que les États-Unis d'Amérique. C'est un fait. Après, je ne reconnais pas d'échec parce que nous avons corrigé très vite ce retard. Donc nous avons eu un retard, c'est vrai. Si je n'osais pas vous le dire aujourd'hui, vous me diriez à juste titre “vous manquez de lucidité” et cela rendrait sans doute moins crédibles les propos que je vais ensuite tenir. 

Mais je dis simplement, premièrement, nous l'avons reconnu, réparé. On a mis en place un mécanisme de contrôle à l'export. Nous ne sommes plus naïfs. Deux, nous l'avons reconnu, réparé, nous avons accéléré la production en Europe. Et trois, surtout, moi je veux insister sur un point, l'Union européenne a mis sur pied une politique industrielle d'ampleur pour atteindre une capacité qui est de l'ordre de 2 à 3 milliards de doses par an d'ici au deuxième semestre de cette année. Ce qui veut dire que nous serons en capacité non seulement de combler nos besoins, mais d'exporter massivement et dans la durée. Pour nos propres besoins européens, nous allons livrer au deuxième trimestre 360 millions de doses, près de 420 d'ici mi-juillet — je ne rentre pas dans le détail, on pourra le faire si vous le souhaitez — ce qui nous permettra d'atteindre potentiellement notre immunité collective continentale. C'est-à-dire que ce retard qu'on a constaté en début d'année, nous l'avons comblé très vite dans les semaines qui ont suivi, ce qui nous met en capacité, d'ici à la mi 2021, de produire pour nous-mêmes et de produire suffisamment pour protéger nos concitoyens et bâtir notre immunité collective. 

Au-delà de ça, l'Europe — et les chiffres qui ont été cités par votre collègue tout à l’heure le montrent — est le seul continent qui, en plus, exporte. C'est le seul continent du monde libre qui a une vraie stratégie vaccinale et une vraie diplomatie vaccinale. Pas pour aller faire du chantage à tel ou tel pays, mais pour dire c'est un engagement international qui est le nôtre. Et donc il faut être très clair, nous sommes face à une guerre mondiale d'un nouveau genre, face notamment aux attaques, aux velléités de déstabilisation russes, chinoises d’influence par le vaccin. Face à cela, si nous voulons tenir, nous devons être souverains. Nous nous sommes mis aujourd'hui en capacité de produire pour ce faire. J'aurai l'occasion dans les tout prochains jours d'ouvrir des capacités de production en France qui viennent compléter celles aussi que des industriels français ont ouvert partout en Europe. Et donc face à cette lucidité que j'avais tout à l'heure, nos retards, nos manquements au tout début, je considère que nous avons rattrapé les choses et que nous sommes en train de répondre à cette crise. Ca c'est le premier point sur les capacités de production et donc l'Europe sera vraiment le continent qui produira d'ici à la fin de l'été le plus de doses dans le monde, sera en situation de se couvrir lui-même, mais aussi d'exporter et d'être celui qui exporte le plus à l'égard de ses partenaires de l'OTAN, du monde libre et de toutes celles et ceux qui en ont besoin. C’est très important. 

Deuxième chose, nous sommes en train de nous mettre en capacité de produire pour les vaccins de deuxième génération. Et ça, c'est au moins aussi important. A l'automne, à l'hiver, en début d'année prochaine, nous aurons vraisemblablement à nouveau des variants de ce virus et ces variants nous conduiront à nouveau à avoir des stratégies de vaccination. Et je pense que c'est très important que tous nos concitoyens aient bien cela en tête. Là, nous devons aller très vite pour vacciner au plus vite et nous protéger face à ce virus. Mais il continuera d'être là, de circuler, de muter et nous aurons des réponses à fournir. Ce que nous sommes en train de faire, c'est aussi de construire nos capacités à répondre le plus vite possible en Européens à ces mutations. Et ça, c'est très important. 

Sur la stratégie française, qui n'est plus le vaccin mais là des mesures de freinage et de la réponse à la crise, d'abord il faut toujours être très humble, et je vous le dis depuis le premier jour et cela jusqu'aux derniers mois, j'aurai toujours la même humilité. Nous ne savons pas tout, on fait chaque jour sans doute des erreurs. On essaie de faire au mieux. Le tout est de corriger le plus vite possible ses erreurs. Est-ce que le 29 janvier nous aurions dû confiner le pays, comme certains le disaient et comme des modèles montraient que nous allions flamber en février ? Écoutez, nous en avons fait l'expérience collective réelle, non. Et donc, je peux vous le dire, nous avons eu raison de ne pas confiner la France à la fin du mois de janvier parce qu'il n'y a pas eu l'explosion qui était prévue par tous les modèles. Donc je peux vous affirmer là, cette fois-ci, que je n'ai aucun mea culpa à faire, ni aucun remords, ni aucun constat d'échec. Nous avons eu raison de le faire parce que nous considérions que c'était un risque qui était là, le virus tournait, le zéro virus n'existe pas, il n'existe dans aucun pays de l'Europe. Nous ne sommes pas une île et même les îles qui s'en étaient protégées parfois voient ce virus revenir. Mais nous considérions que, avec les mesures de couvre-feu qui étaient prises et les mesures de freinage qui étaient les nôtres, nous pouvions faire face sans qu'il y ait flambée. C'est ce qui s'est passé. 

A partir du début du mois de mars, et l'inflexion s'est passée entre le 8 et le 10 mars, il y a eu une accélération que vous avez vue dans les taux d'incidence, et très rapidement ensuite, assez d'ailleurs, de manière assez surprenante, dans les entrées en réanimation. Et maintenant, on le voit, y compris dans les hospitalisations ou les appels aux médecins. Les choses se sont accélérées. Ceci correspond au fait que le variant, en particulier le variant britannique, est devenu très majoritaire dans plusieurs départements. Et donc nous avons adapté notre réponse en prenant des mesures de freinage supplémentaires, en renforçant notre capacité à tester, alerter, protéger. Et la semaine dernière, c'est ce qui a conduit le gouvernement, après avoir mis une vingtaine de départements sous surveillance renforcée, de prendre ces mesures de freinage avec des contraintes supplémentaires très fortes : télétravail, contraintes justement dans la vie sociale dans 16 départements qui ont été complétés ce soir par le ministre de la Santé dans 3 départements. C'est du pragmatisme, c'est du pragmatisme. Et donc, en fonction de l'évolution de l'épidémie, nous adaptons la réponse pour pouvoir freiner. 

Mais vous savez, il nous faut prendre en compte plusieurs facteurs : évidemment, la dynamique de l'épidémie de Covid-19 ; les autres pathologies qui sont là ; la santé mentale qui se traduit aussi avec des conséquences lorsqu'on referme, qu'on réduit la vie sociale, qu'on isole ; la tension qui existe et les difficultés pour nos jeunes pour qui, en particulier, ces mesures sont très dures à vivre ; notre priorité éducative qui fait que lorsqu'on ferme, tout ça a des conséquences ; et les conséquences économiques et sociales. C'est à chaque fois une balance que nous tenons. Et donc je considère que nous avons eu raison, le 29 janvier, de ne pas prendre de mesures de fermeture, que nous avons eu raison ensuite d'apporter des premières mesures de freinage. Et en fonction de l'évolution de cette épidémie, nous prendrons toutes les mesures utiles en temps et en heure. Et il n'y a à mes yeux aucun tabou. Nous devons à chaque fois avoir la réponse la plus adaptée. Mais je vous invite aussi à regarder tout autour de nous. Vous savez, depuis la mi-décembre, certains de nos voisins ont des mesures de contraintes très fortes. Depuis la mi-décembre, l'Allemagne, notre ami, notre frère ou sœur en Europe, a des mesures de contraintes très fortes. Les crèches, les écoles sont fermées, tout est fermé. Et malgré cela, vous avez une résurgence de l'épidémie qui est liée à cette augmentation du variant, qui relativise aussi beaucoup de commentaires parfois que j'entends, et beaucoup de ces mesures de contraintes seront prolongées jusqu'en avril. Ça a des conséquences éducatives, psychiques. Et moi, je respecte ce choix qui a été fait parce que la première vague avait été moins dure. C'est un équilibre à tenir. Je pense qu'il n'y a aucune réponse simpliste dans ce contexte. On doit tous avoir beaucoup d'humilité, beaucoup de bienveillance, beaucoup de patience. Moi, ce que je veux vous dire, c'est que je vous explique pourquoi nous avons pris ces choix en temps et en heure. 

Aujourd'hui, moi, je regarde la situation avec beaucoup de préoccupation, de vigilance. Nos urgences sont sous très forte pression et donc, dans les prochains jours et les prochaines semaines, on va continuer à faire quoi ? À protéger nos concitoyens les plus fragiles qui arrivent en service de réanimation et que nous devons protéger, protéger nos soignants pour leur permettre de faire face à nouveau à ce défi, le faire dans des conditions de travail que je sais d'ores et déjà difficiles, et on va tout faire pour les aider avec la réserve sanitaire, avec des moyens supplémentaires, mais ne jamais les mettre face à des choix éthiques qui n'ont jamais été les nôtres. Ensuite, continuer à faire en sorte de protéger les autres malades en France, en particulier celles et ceux qui ont des traitements lourds, mais aussi de prendre en compte ces autres dimensions que j'évoquais, c'est-à-dire la santé mentale, la fatigue qui existe dans le pays, la santé de nos jeunes, de nos enfants, la nécessité de les éduquer, de leur permettre d'être dans un cadre de développement, et puis aussi la situation économique et sociale du pays. Et donc sans doute que dans les prochains jours, les prochaines semaines, nous aurons des nouvelles mesures à prendre. On les prendra tous ensemble, à la lumière des faits, en étant transparents. On le fera en temps réel. 

Mais je veux aussi vous donner, non pas une lueur d'espoir mais une perspective raisonnable d'espoir, c'est que nous avons quand même, grâce à la vaccination que nous allons déployer, des caps plus sûrs qu'il y a quelques mois. À la mi-avril, nous aurons vacciné 10 millions de nos concitoyens, les plus âgés et les plus vulnérables, ce qui veut dire que 10 à 15 jours plus tard, ils seront complètement protégés. Et c'est l'écrasante majorité, pour ne pas dire les trois quarts de nos concitoyens qu'on trouve aujourd'hui dans les services de réanimation, ce qui veut dire qu'à partir de, vous le voyez, autour du 20 avril, on passera un premier cap grâce à la vaccination en termes de protection collective. Ensuite, on va continuer de plus en plus à vacciner. L'approvisionnement va monter en charge et nous aurons, à la mi-mai, 20 millions de nos concitoyens qui auront été vaccinés, c'est-à-dire non seulement tous ceux que je viens d'évoquer mais la tranche d'âge en dessous, et 30 millions à la mi-juin, ce qui nous permettra progressivementnon, non seulement d'enlever de la pression aux services de réanimation, mais de rentrer dans les semaines, en quelque sorte, qu'il y aura à partir de la fin avril et tout au long du mois de mai vers un retour progressif et des étapes que j'aurai essayé de décrire dans les temps qui viennent à nos concitoyens. Mais on va pouvoir retrouver un cap, non pas parce que nous aurons nous-mêmes retrouvé la maîtrise du temps, mais parce que grâce à la vaccination, on aura réduit la maîtrise du virus, si je puis dire, sur nos vies. Ces semaines qui viennent seront difficiles, il faut être très lucide, mais les perspectives qui sont les nôtres grâce à la vaccination doivent nous conduire à, ensemble, le faire avec beaucoup d'esprit de responsabilité et de respect mutuel.

Intervenante non identifiée
Merci. C'est la fin de cette conférence de presse. Merci à ceux qui étaient présents. Merci, Monsieur le Président.

Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Bon courage à toutes et tous.


 

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