Il savait réunir les arts – du cinéma à l’art lyrique, de la musique au théâtre – et assembler librement les continents, du Liban à la Provence, de New York à Amsterdam. Par sa volonté, son exigence, son élégance aussi, Pierre Audi, directeur du festival d’Aix-en-Provence, avait montré, aidé, dialogué avec les plus grands créateurs de notre temps. Sa disparition est celle d’un homme qui a façonné l’opéra contemporain et notre paysage culturel français.
Né en 1957 au Liban d’un père banquier d’affaires, habitué enfant aux festivals de Baalbeck, grandissant dans le mélange des cultures composant la société libanaise, Pierre Audi trouva d’abord sa voie dans le cinéma. Le jeune écolier du lycée français de Beyrouth créa un cinéclub qu’il anima à Sidon et où vinrent Jacques Tati et Pier Paolo Pasolini. Comme si là, avant d’avoir vingt ans, s’était noué un destin entier : l’amour de la scène, la fascination pour les regards et les esprits les plus libres, un penchant inaltérable pour la Méditerranée, une foi dans la création comme rempart face aux tragédies du temps. En 1974, en effet, ce fut pour fuir l’irruption du conflit au Liban que la famille de Pierre Audi prit le chemin de l’exil. Passant par Paris puis élève à Oxford en histoire, il monta à vingt ans le « Timon d’Athènes » de Shakespeare. Sa vocation était née. Deux ans plus tard, il fonda l’Almeida Theatre à Londres. La scène fut très vite reconnue comme l’une des forges de l’avant-garde à travers l’exigence de la programmation et le mélange des disciplines. Dans cette salle d’Islington vinrent se produire des pionniers de la musique minimaliste et les plasticiens les plus radicaux.
Ce succès valut à Pierre Audi d’être choisi en 1988 pour diriger l’Opéra National d’Amsterdam. Pendant trente ans, le directeur fit vivre cette institution en lui donnant une forme d’audace et d’autorité. Il programma aussi bien un cycle Monteverdi qu’un « Zoroastre » de Rameau. Imposant un style minimaliste, plaçant l’orchestre au centre de l’action, innovant avec l’irruption de la vidéo, rénovant l’art de la scène en collaborant avec des architectes, il monta ainsi les « Troyens » de Berlioz ou la Tétralogie de Wagner. Comme à l’Almeida Theatre, il fit dialoguer compositeurs et plasticiens, de Pierre Boulez à Anish Kapoor pour une mise en scène de Debussy, sans oublier Georg Baselitz, ou Karel Appel avec qui il triompha au festival de Salzbourg en 2006. Dirigeant le Festival de Hollande, metteur en scène de théâtre pour les plus grandes scènes d’Europe, il devint en 2015 le directeur du Park Avenue Armory à New York, où, comme à son habitude, il mélangea les genres, les disciplines, interrogeant toujours les codes et les formes.
Pierre Audi fut choisi en 2018 pour diriger le Festival d’Aix-en-Provence. Dans un moment fait de défis artistiques et financiers, il imposa par sa vision et sa curiosité un renouveau profond au monument de l’art lyrique. Avec lui ce fut le pari de la jeunesse, l’orientation vers la Méditerranée et la soif de nouvelles formes. A titre de manifeste de ces perspectives, Pierre Audi mit en scène lui-même la création de « L’apocalypse arabe » de Samir Odeh-Tamimi. Le festival d’Aix, sous son mandat renouvelé en 2021, marqua aussi les esprits avec la création de spectacles récompensés par la critique et célébrés par le public : la symphonie « Résurrection » de Mahler par Romeo Castellucci, « Innocence » de Kaija Saariaho, « Il Viaggio, Dante » de Pascal Dusapin. Autant de succès noués par ce mariage singulier entre classique et avant-garde, ancrage dans l’âme d’un lieu et ouverture infinie des formes et des frontières. Par sa personnalité libre, son engagement et son dévouement pour son Festival, Pierre Audi portait tant des espérances de l’art lyrique, dont il avait écrit certaines des plus belles pages contemporaines.
Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un créateur qui portait un art français, européen, universel, et savait pour notre culture tisser les trésors du passé et les fils de l’avenir. Ils adressent à son épouse, à ses enfants, à ses proches, à ses équipes du Festival d’Aix, à tous ceux qui l’aimaient et l’admiraient, leurs condoléances sincères.