L’homme en noir nous laisse en deuil. Animateur et producteur de cinéma et de télévision, Thierry Ardisson imposa pendant des décennies au paysage audiovisuel français une voix, une silhouette, un style, un esprit, teinté de curiosité et d’irrévérence.

De la Creuse à l’Algérie, sur les plages de sa jeunesse à Juan-les-Pins, Thierry Ardisson devint très vite un assoiffé de lumières, un amoureux du monde, d’un monde qu’il voulait vibrant, et sonore, et mémorable. Il frappait fort, vite, le ton haut, le verbe incisif. L’homme pressé, lancé dans la publicité, fondateur en 1978 l'agence Business, inventa le spot publicitaire de huit secondes. « Lapeyre, y en a pas deux », « Quand c’est trop, c’est Tropico » : ses slogans marquèrent leur temps, signe d’une intelligence qui savait en capter les vibrations profondes, pour mieux le bousculer.

Car il maîtrisait à la perfection le sel du scandale. Grand salonnier cathodique de son siècle, il recevait ses invités avec une chaleur qui virait facilement à l’incendie, mêlant l’aspic et les fleurs, le rudoiement et l’affection, les confidences et les révélations à fracas. En 1985, sur TF1, il menait son émission « Descente de police » avec un trench de détective et une finesse de limier. Puis vient « Scoop à la une », « À la folie pas du tout », « Face à France », animé par Guillaume Durand, avec Catherine Barma.

De 1988 à 1990, il présenta sur Antenne 2 Lunettes noires pour nuits blanches. Ses nouveaux formats firent date : « interview première fois », « auto-interview », « questions cons ». En 1991, il présenta sur Antenne 2 l’émission « Double Jeu », épicé par son générique Moulin- rouge, et les saillies provocatrices de Laurent Baffie. Sur France 2, pour les dix épisodes d’ « Ardimat », il menaça de tuer son chien si l’audimat décroît. Le peu de succès des Niouzes fut balayé par la forte audience avec « Paris Dernière », puis de « Rive droite Rive gauche », où intervenaient Élisabeth Quin pour le cinéma, Philippe Tesson pour le théâtre, Frédéric Beigbeder pour la littérature, agrégeant autour de lui une constellation de penseurs irrévérencieux. Sur TF1 comme sur France 2, Hervé Bourge et Pascal Josèphe lui accordaient confiance et immunité.

« Magnéto, Serge » disait-il souvent, recevant pour « Tout le monde en parle » sur un même plateau Brad Pitt et Edouard Balladur, Iggy Pop et Geneviève de Fontenay, Marylin Manson et Maître Capelo. De 2003 à 2007, sur Paris Première, son émission « 93, faubourg Saint- Honoré » recevait toute la France sous le format d’un dîner à son domicile. En 2006, il produisit et présenta sur Canal+ « Salut les Terriens », en clair chaque samedi soir. Il y gagna un public fidèle.

Avec « Hôtel du temps », en 2022, il ressuscita même Dalida, Gabin, Coluche, avec l'aide de l’intelligence artificielle, mais surtout avec son intelligence humaine. Chacune de ses inventions contribua à écrire l’histoire de la télévision française, au point que l’Institut national de l'audiovisuel lança une chaîne YouTube dédiée à ses émissions, l’INA-Arditube.

Homme de paradoxe, toujours là où on ne l’attendait pas, il cultivait des aspirations monarchistes, s’essayait au roman : Cinemoi en 1972, La Bible en 1975 et Rive Droite en 1983.

Son dernier livre, L’Homme en noir, paru en mai 2025, le mettait en scène dans une ultime émission où défilaient comme en songe tous les personnages de sa vie, vivants et morts, Serge Gainsbourg, Michel Rocard, Lady Di, Jésus, et même, avec son humour de toujours sainte Rita, patronne des causes désespérées.

Dans cette fresque du jugement dernier où il se peignait déjà, il continuait sa mission d’examen de conscience provoquant et gouailleur des éminences françaises. Il poursuivra dans nos mémoires la conversation de tant d’années. Le président de la République et son épouse adressent leurs condoléances émues à sa famille et à ses proches.

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