Écrivain, actrice, traductrice, professeur et critique de théâtre, grande hispaniste, Florence Delay fut une figure incontournable de la République des lettres. Survivra à la postérité l’élégance d’une plume inclassable, qui s’était donné pour mission de sauver de l’oubli les passions littéraires et les joies d’ici-bas.

« Gaieté et politesse sont des vertus françaises », écrivait-elle : elle en fut l’exemple vivant. Fille de l’académicien et psychiatre Jean Delay, elle grandit entre Paris et le Pays basque. Affleurent dans ses mémoires romancées Un été à Miradour ses souvenirs de vacances, de jeunesse pompidolienne, entourés de pins, au sommet d’une colline où, par beau temps, se dessinaient les Pyrénées et l’Espagne tant aimée.

Elle choisit pour ses études l’espagnol, appris dans l’enfance avec son grand-père, maire de Bayonne. Alors qu’elle était encore au lycée, un ami de sa mère, René Char, lui avait offert un ouvrage en espagnol, qu’il lui avait dédicacé de ces mots : « Lis, et traduis ce que tu aimes. » De là, la passion qui ne la quitta plus : sensible aux richesses des deux langues, à leurs irréductibles idiotismes, elle traduisit Teresa de Ávila, Calderón de la Barca, Calveyra, Juana Inés de la Cruz, Gómez de la Serna, Fernando de Rojas, Lope de Vega. Maîtresse de conférences en littérature générale et comparée, membre correspondante de la Real Academia Española, elle eut toute sa vie une grande joie à enseigner en Sorbonne.

Génie protéiforme qui n’aimait rien tant que la légèreté dans la profondeur, elle emprunta toute sa vie des chemins de traverse ; sa plume insolite déjouait les attentes du lecteur : romans buissonniers, récits-laboratoires, « faux essais » irrévérencieux. Son dernier livre, Zigzag, se consacra à l’étude des formes brèves, à la vitesse de la pensée – chez Héraclite, Pascal, La Rochefoucauld, René Char.

Le théâtre fut pour elle une passion, qui nourrit de nombreuses chroniques chez NRF. Élève à l’École du Vieux-Colombier, assistante de Georges Wilson au Théâtre national populaire, stagiaire de Jean Vilar au Festival d’Avignon, elle traduisit plusieurs textes pour eux et pour la Comédie-Française. Avec Jacques Roubaud, elle composa un cycle de dix pièces sur le cycle des légendes médiévales bretonnes, Graal Théâtre.

Mais elle fut surtout l’inoubliable premier rôle du Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson. Sa blondeur, son regard clair, mis au service d’un film érudit et sensible, enthousiasmèrent la critique. Plus tard narratrice du documentaire Sans Soleil de Chris Marker, sa dernière apparition au cinéma fut pour L’Amitié d’Alain Cavalier, portrait de trois hommes dont son époux, le producteur Maurice Bernart.

Elle aimait les récits de conversion, ceux de Claudel, d’Ignace de Loyola, de Pierre Reverdy et de Max Jacob, et vécut elle-même, à la mort de son ami José Bergamín, une conversion qui marqua son œuvre. Engagée chez les sœurs de l’Assomption, fervente témoin de l’espérance, elle traduisit pour Bayard en 2021 L’évangile de Jean.

Malice du destin, c’est au fauteuil du philosophe chrétien Jean Guitton qu’elle accéda à l’immortalité terrestre de l’Académie française, sur les pas de son père. Elle devenait la quatrième femme à siéger sous la coupole, après Marguerite Yourcenar, Jacqueline de Romilly et Hélène Carrère d’Encausse.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’une passeuse de beauté et de sens, qui marqua de son sceau les lettres européennes. Ils adressent leurs condoléances sincères à sa famille, à ses proches et à tous ceux qui l’aimaient.

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