Le Chef de l'État a présidé la cérémonie d’entrée au Panthéon de Robert Badinter ce jeudi.
44 ans après l’abolition de la peine capitale, le 9 octobre 1981, entre au Panthéon celui qui, fidèle aux valeurs universelles de la République Française, a obtenu l’abolition de la peine de mort.
Figure incontournable de la justice, Garde des Sceaux, acteur déterminant de notre Histoire, ayant porté, à la demande de François Mitterrand, l’abolition de la peine de mort ainsi que des réformes fondamentales qui ont transformé la justice française, Robert Badinter est un héritier de 1789. Il incarne l’engagement de toute une vie pour la République.
Conformément à l’annonce faite par le Président de la République en décembre 2023, la France accueillera en 2026 le Congrès mondial pour la lutte contre la peine de mort, défendant ainsi le combat et l’héritage de Robert Badinter.
Une veillée ouverte aux Français souhaitant honorer la mémoire de Robert Badinter était organisée le jeudi 9 octobre, de 10h00 à 17h00, au Conseil constitutionnel. La cérémonie d’entrée au Panthéon était ouverte au public, rue Soufflot.
Revoir la cérémonie :
9 octobre 2025 - Seul le prononcé fait foi
Discours du Président de la République à l’occasion de la cérémonie d'entrée au Panthéon de Robert Badinter.
Les morts, ici aussi, nous écoutent. Et il est des voix que nous entendons encore résonner. Celle de Robert Badinter en est une, singulière et forte, porteuse des idéaux de la France et de la République. Robert Badinter, dans un instant, prendra place aux côtés des hommes de 1789 : Condorcet, l’abbé Grégoire, Gaspard Monge, et non loin reposent déjà Victor Hugo, Émile Zola, Jean Jaurès, Jean Moulin, Missak Manouchian et tant d’autres. Robert Badinter entre au Panthéon avec les Lumières et l’esprit de 1789, la promesse accomplie de la Révolution. Il entre avec les principes de l’État de droit, avec une certaine idée de l’homme, inséparable de l’idéal républicain.
Et dans cet instant, nous entendons sa voix, précise, articulée, aux accents quelquefois caverneux, montant soudain sous les échos de cette voûte : cette voix pleine de colère, d’indignation, de passion, toujours juste. Robert Badinter entre au Panthéon, et nous entendons sa voix, qui plaide ses grands combats essentiels et inachevés : l’abolition universelle de la peine de mort, la lutte contre le poison antisémite et ses prêcheurs de haine, la défense de l’État de droit. Ses combats sont ceux qui traversent les siècles et portent nos idéaux, comme la définition véritable de ce que nous sommes.
Combat contre l’antisémitisme d’abord : Robert Badinter n’ignore rien de ce qu’est la lutte contre le négationnisme, contre Robert Faurisson et tant d’autres, et contre tous les faussaires de l’Histoire. On ne renonce jamais à combattre l’antisémitisme. Quand on a entendu, dans la cour de son lycée, “mort aux youpins”, quand on a vu ses parents forcés de vendre leurs boutiques en raison des lois antisémites du régime de Vichy, quand on a frôlé l’arrestation à Lyon, rue Sainte-Catherine, quelques minutes après celle de son propre père, quand on sait sa famille et ses proches dénoncés, arrêtés, exterminés parce que juifs, quand on a attendu en vain le retour de ce père, arrêté à Lyon sur ordre de Klaus Barbie et assassiné à Sobibor, quand on a dû faire traduire ce même Klaus Barbie devant la cour d’assises d’une justice qui ne tue plus personne, même le plus zélé des criminels nazis…
Robert Badinter, né dans les années 20, ravagé par la haine des Juifs, s’est éteint dans nos années 20, où, à nouveau, la haine des Juifs tue, et notre époque nous oblige. Alors, n’éteignons jamais cette colère face à l’antisémitisme, visage premier de la haine. C’est le combat urgent de chacun d’entre nous pour que les Juifs ne soient pas seuls. C’est là, surtout, l’un des combats existentiels de notre République : pour que nous demeurions ce que nous sommes, combat au nom même de notre universalisme.
Robert Badinter, à 17 ans, réclamait au tribunal la restitution de l’appartement dont, pendant la guerre, sa famille avait été spoliée. Premier procès et premier mot du président alors : « Monsieur Badinter, la déportation de votre père, cela n’intéresse pas le tribunal. » L’injustice, pour Robert Badinter, ce fut aussi cette phrase. Le mépris, la haine, l’odieuse condescendance antisémite. La justice, pour Robert Badinter, sera pour toujours le refus de cette phrase et de sa flétrissure.
Alors, avocat, le jeune Robert Badinter ne s’assigne qu’une seule mission : défendre la vérité d’un homme, défendre la justice, défendre l’accusé quel qu’il soit, quoi qu’il ait fait, défendre l’homme derrière l’accusé et la dignité que nul ne peut lui ôter. Oui, défendre une certaine idée de la justice qui, pour être exemplaire, doit être impartiale. Voilà pourquoi il plaide pour la vie de Patrick Henry, qui a assassiné un enfant de sept ans ; lui, Robert Badinter, qui, cinq ans plus tôt, aux côtés de ses confrères, n’a pu sauver Claude Buffet et Roger Bontems.
De cette exécution, Robert Badinter a tout vu : la guillotine dressée au petit matin, le bruit du couperet, un homme coupé en deux, et la conviction, plus que jamais ancrée en lui, que ce spectacle n’est pas digne de la société et des droits de l’homme, que cette férocité, qui croit venger, nous déshonore tous. C’est ce chemin de vie qui mène Robert Badinter à François Mitterrand, dont il est un compagnon de route fidèle. Et c’est à lui, et à lui seul, que le premier président socialiste de la Ve République confie la tâche ultime : obtenir l’abolition de la peine de mort.
Face à une opinion rétive, Robert Badinter, au-delà des rangs de la gauche, sut convaincre des parlementaires de la droite et du centre de voter en faveur de l’abolition. La loi fut promulguée voilà quarante-quatre ans. Ce combat, pourtant, n’est pas terminé. Jusqu’au bout, il continua, et nous continuerons de le porter jusqu’à l’abolition universelle. Pour Robert Badinter, chaque jour devant nous doit être un 9 octobre.
C’est la même exigence qui habite le ministre de la Justice : celui qui entend mettre fin à l’inhumanité dont peuvent être l’objet les prisonniers dans leurs cellules, qui fait abroger, avec l’aide de Gisèle Halimi, la loi de Vichy réprimant encore l’homosexualité, qui supprime les tribunaux d’exception des forces armées, qui abroge la loi anticasseur qu’il juge, à juste titre, attentatoire aux libertés individuelles, qui offre un nouveau recours — celui de la Convention européenne des droits de l’homme — aux justiciables, qui donne plus de place aux victimes et protège mieux les atteintes à la dignité humaine.
Garde des Sceaux, Robert Badinter est gardien d’un idéal. Et parce qu’il entend œuvrer en demeurant fidèle à ceux qui fondent l’engagement d’une vie, il est critiqué, attaqué, moqué, vilipendé, insulté, injurié, haï même. Et jusqu’à aujourd’hui, cette haine odieuse de quelques-uns le poursuit, même dans son soleil d’outre-tombe. Ses ennemis les plus farouches n’ont de cesse de vouloir lui accoler l’étiquette, qu’ils pensent infamante, de « laxiste ». Jusque sous les fenêtres de son ministère, ils vociféraient. Mais aujourd’hui, comme hier, ceux qui dénoncent le laxisme d’une justice qui ne tue plus n’aiment pas que la justice soit juste. Chaque fois que ses ennemis traitent Robert Badinter de laxiste, ils lui décernent le titre d’humaniste.
C’est au nom de cette exigence même, toujours guidé par le souci de protéger les lois fondamentales qui assurent à chacun d’entre nous liberté et dignité, que le président du Conseil constitutionnel se fait le défenseur et le promoteur de l’État de droit. Robert Badinter le sait mieux que quiconque : là où l’arbitraire se répand, là où l’État de droit est attaqué, prospèrent toutes les formes de haine, de racisme, d’antisémitisme ; s’imposent aussi la loi du plus fort et la démagogie du moment. Oui, défendre l’État de droit, c’est protéger chacun dans sa dignité, c’est protéger la nation dans sa liberté, c’est protéger les Lumières dans leur clarté.
Parce qu’il croit à l’universel, Robert Badinter porte ses combats au-delà des frontières. En Europe d’abord, où il aide de jeunes démocraties à écrire leurs constitutions. Comme témoin du procès Eichmann à Jérusalem ou artisan du procès de Klaus Barbie à Lyon, militant de la justice internationale, Robert Badinter défend ce refus de l’impunité, assignant à chaque bourreau sa peine, car les crimes, partout et toujours, doivent trouver leur juste châtiment. Robert Badinter, c’est la vie juste. Partout et toujours, défendre ce droit de chacun à devenir meilleur. Partout et toujours, rendre l’homme plus libre.
C’est par le savoir et l’éducation que l’on s’arrache à ses assignations. Croire en l’homme, c’est croire, oui, qu’il peut devenir meilleur, et le combat de Condorcet fut le sien. Fils d’immigrés russes, naturalisé français, Robert Badinter devient professeur agrégé. C’est par l’amour qu’on trouve parfois la force de cette quête. Robert et Élisabeth Badinter écrivent : du couple formé par Condorcet et Sophie, ils sont l’un pour l’autre le monde entier. À leur tour, à leur manière, Élisabeth et Robert sont l’un pour l’autre l’universel tout entier, lumière d’un grand amour, amour des grandes Lumières.
Alors oui, ce soir, Robert Badinter entre ici avec ses combats, et nous entendons sa voix. Nous entendons sa voix quand, en visitant Auschwitz pour la première fois un jour de printemps, Robert Badinter remarqua trois fleurs dans ce champ dévasté et songea : « C’est en voyant ces fleurs que j’ai compris que la vie est plus forte que la mort. » Nous entendons sa voix, et derrière elle se dessinent son sourire, une confiance, une espérance.
Alors oui, les morts nous écoutent. À nous aussi de les entendre, de nous dresser à notre tour, de porter leurs combats à nouveau, pour que les vivants espèrent.
Vive la République, vive la France.
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