Plus de quatre-vingts ans après, l’émotion, pour lui, était la même. Devant l’évocation de ses années de Résistance, dans les rangs de laquelle il s’était engagé à seize ans, Robert Birenbaum se retrouvait, bouleversé, déniant sa qualité de héros, évoquant avec humilité, force et indignation le sort de « ses copains », ses camarades de lutte des francs-tireurs et partisans (FTP). Sa disparition est celle d’un siècle de combats et d’idéaux, devant lequel la Nation s’incline avec reconnaissance.
Robert Birenbaum était né à paris le 21 juillet 1926. Ses parents, Juifs de Pologne, émigrés en France, tenaient une épicerie rue Bellot. Robert Birenbaum surtout était du dix-neuvième arrondissement de Paris, de la rue d’Aubervilliers, de la rue du Maroc, de la rue du département. Un monde où vivait fraternellement un Paris immigré et ouvrier, ce Paris dont Robert Birenbaum conserva l’accent poulbot comme l’idéal d’intégration et de partage. Voilà pourquoi il entra dans les rangs des Jeunesses communistes. Il passa alors les premières années de la guerre dans l’effroi et la peur, le port de l’étoile jaune, la persécution antisémite, ces gifles reçues en juin 1942, assénées par des soldats de la Wehrmacht. Puis survint la rafle du Vel d’Hiv. Le lendemain, le 17 juillet 1942, Robert Birenbaum, pas encore seize ans, accepta avec chaleur la proposition de sa tante Dora d’entrer dans la lutte clandestine. Alors, il mentit à ses parents, prétexta un séjour chez un professeur pour disparaître de leur surveillance, et se choisit comme pseudonyme « Guy » en hommage à Guy Môquet, résistant communiste fusillé en 1941, ce prénom que bien plus tard Robert Birenbaum donna à l’un de ses enfants.
Dans la Résistance, Robert Birenbaum prit tous les risques. Recrutement pendant les séances de cinéma, distribution de tracts dans le métro, propagande diverse, saccage des pneus des camions allemands, il fut de toutes les opérations, et manqua tant de fois l’arrestation. Surnommé « baratin » pour son bagout, il fit entrer dans l’armée des ombres de nouveaux soldats par nombre. Chef du réseau de son quartier, il ne trembla jamais, conscient de faire son devoir, défenseur de la patrie des Lumières et de la Révolution de 1789, admiratif de ces aînés de Résistance dont il croisa la route, tels Henri Krasucki. Le 17 novembre 1943 le groupe Manouchian, qu’il s’apprêtait à rejoindre, fut arrêté. Ses membres furent ensuite fusillés en février 1944 au Mont-Valérien. Robert Birenbaum porta le reste de sa vie cette blessure vive de la disparition de ces Résistants, communistes, étrangers souvent, Juifs, pour la plupart, Français de préférence, qui n’avaient réclamé « ni la gloire ni les larmes ». Ils eurent les deux – gloire d’avoir sacrifié leurs vies à la liberté universelle, larmes éternelles, aussi, de Robert Birenbaum.
Pourtant le jeune Résistant n’arrêta pas là ses faits d’armes. Il poursuivit la lutte clandestine et organisa le soulèvement des arrondissements du nord-est de la capitale à la Libération de Paris. A l’automne 1944, désormais sergent-chef dans l’armée française, il se rendit au Mont-Valérien pour rendre hommage à Marcel Rajman, l’un des héros du groupe Manouchian. Au Mont-Valérien, il se rendit une deuxième fois, presque quatre-vingt ans plus tard, décoré par le Président de la République Emmanuel Macron pour ce siècle de bravoure, de pédagogie humble, de service fidèle aux siens. Robert Birenbaum fut aussi de l’hommage de la Nation à Missak Manouchian et ses frères d’armes le 21 février 2024. Désormais l’un des derniers survivants des FTP-MOI, il évoquait encore et toujours « ses copains » dont avec flamme il portait la mémoire comme les combats de liberté et de dignité.
Après la guerre, Robert Birenbaum rebâtit sa vie. Il rencontra Thérèse, dite « Tauba » son épouse, le jour de la libération de Paris, jour de délivrance pour elle après deux ans passés cachée dans un débarras de quelques mètres carrés du 209 rue Saint-Maur. Robert Birenbaum fut ensuite maroquinier, fondant une boutique prospère qu’il tenait avec « Tauba ». Robert Birenbaum mena une vie discrète. Il aimait Tauba, les chansons de Charles Trenet, le tennis, la vie, ses enfants, ses petits-enfants, ses arrière-petits-enfants, sa famille. Il avait consenti à évoquer à nouveau ses souvenirs pour la Fondation de Steven Spielberg en 1997, et avait publié ses mémoires en février 2024 «16 ans, résistant », récit empreint d’une grande pudeur pour raconter son combat, la cause des FTP-MOI, ses idéaux démocratiques et universels à l’heure du retour de la guerre en Europe.
Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un héros de la Résistance, qui avait défendu à seize ans notre patrie et ne se lassait pas d’en dire l’idéal de liberté, d’égalité et de fraternité. Ils adressent à sa famille, à ses proches, à tous ceux qui l’aimaient leurs condoléances émues.