Fait partie du dossier : Visite d'État au Portugal.

À son arrivée, le Président Emmanuel Macron s'est rendu à l’Hôtel de ville de Porto où il a été accueilli par le Premier ministre portugais, Luís Montenegro et le maire de Porto, Rui Moreira

Le maire de Porto lui a remis symboliquement les clés de la ville

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28 février 2025 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de Emmanuel MACRON - Visite d’État au Portugal.

Monsieur le Premier ministre, cher Luis, Mesdames, Messieurs les ministres, Madame l'ambassadrice, Monsieur l'ambassadeur, Monsieur le maire, Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités, chers amis. Monsieur le maire, merci infiniment pour cette cérémonie et cette remise symbolique des clés de votre ville, même si j'ai compris que ce à quoi vous teniez le plus, c'est qu'elle n'ait jamais de serrure. Et que ce goût de la liberté que vous avez rappelé et qui nous lie est au fond la chose la plus importante. Et je garderai ces clés comme un symbole d'amitié, de bienvenue, de reconnaissance mutuelle, mais je veillerai à ce qu'elles ne puissent jamais fermer aucun verrou.

Permettez-moi de vous dire, Monsieur le maire, qu'avec ma délégation, nous sommes infiniment reconnaissants de cette cérémonie et du fait qu'ici même nous nous retrouvions à Porto à faire une cérémonie en langue française. Ça dit beaucoup pour nous, je vous en suis gré et j'aimerais pouvoir vous rendre là pareil, j'ai moins de talent pour votre langue que vous n'en avez pour la nôtre. Mais ces deux langues sont en effet des langues d'universel qui nous lient. Mais merci infiniment de cela. Monsieur le maire, en étant ici et pour ce deuxième jour de notre visite d'État, en étant à vos côtés, ça n'est pas d'abord le choix, même si c'est un clin d'œil, au fait que votre ville, si j'ai bien compris, constitue au fond l'armature cachée du gouvernement au Portugal, entre le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et plusieurs autres, il y a en quelque sorte une carte du tendre du pouvoir qui se joue ici, à Porto. Non, c'est aussi parce qu'un lien singulier s'est établi à travers le temps entre votre ville, la région et la France.

Beaucoup de vos compatriotes qui ont quitté le pays venaient de cette région et ils sont encore liés, et y ont encore des attaches. Et je veux dire combien nous sommes fiers en France des un peu plus de 2 millions, luso-descendants, binationaux ou autres, qui sont le cœur vibrant de la relation et ce lien totalement inséparable qui unit nos deux pays depuis des décennies. Ensuite, parce que les activités économiques nous lient. Elles sont nombreuses et dans tous les domaines. Et de l'automobile jusqu'à évidemment la viti et la viniculture, nous avons des liens singuliers qui d'ailleurs bâtissent des ponts entre plusieurs grandes cités et de Bordeaux à Porto, les liens sont profonds. Mais aussi enfin, parce que vous l'avez rappelé, vous êtes une ville dont les valeurs, l'histoire sont marquées par ce goût de la liberté et cette volonté de porter un universel
 
des principes qui sont ceux que la Renaissance d'abord, l'esprit des Lumières ensuite, ont apporté à notre Europe puis plus largement à l'Occident et au monde. Et comme vous, nous sommes profondément attachés à ces dernières. Et comme vous, comme vous venez de le dire, Monsieur le Maire, nous sommes résolus à ne pas baisser pavillon et à considérer qu'au fond, la grande aventure qui nous attend, puisque nous sommes des pays d'aventure et de conquête, la grande aventure qui nous attend, c'est celle en effet de défendre la dignité humaine et ses valeurs à l'heure du 21ème siècle. Et de savoir être pour notre Europe des grandes puissances culturelles, économiques, technologiques, militaires qui seront au service d'une certaine idée de l'Europe et d'une certaine idée de l'homme. Parce que c'est cela qui a fait notre force, notre richesse, c'est cela qui nous lie et c'est cela qui fait le miracle en effet du continent qui est le nôtre, qui est que d'une langue à l'autre, nous pouvons ainsi bâtir une même vision du monde, une même vision de l'humanité. C'est ça l'Europe. C'est cette péninsule qui contient autant de complexité mais qui sait penser ensemble, pas toujours penser la même chose, mais qui sait bâtir un chemin commun.

Alors en acceptant avec beaucoup d'honneur ces clés aujourd'hui, je veux ici avec ma délégation vous dire toute l'estime que nous avons pour votre ville, ses habitants et pour vous-même, Monsieur le maire, et vous dire aussi la conviction que nous avons de poursuivre ce combat, la même que vous. Vive l'amitié entre nos deux pays et merci à Porto.

Neuf accords entre la France et le Portugal ont été signés dans différents domaines, dont un Traité d’amitié et de coopération.

Le chef de l'État a ensuite donné une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre portugais, Luís Montenegro.

Il a notamment souligné l'importance pour l'Europe de devenir une puissance.

Revoir la conférence de presse :

28 février 2025 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse du Président de la République à Porto, Portugal.

Emmanuel MACRON

Merci beaucoup. Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, en vos grades et qualités, d'abord, je tiens à remercier Monsieur le maire de Porto et la ville de Porto de nous accueillir pour cette deuxième journée de cette visite d'État. Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, pour avoir si bien organisé celle-ci.

Alors, il y a une forme de paradoxe, vous l'avez rappelé, puisque la précédente visite d'État d'un Président français, c'était il y a 26 ans, et pourtant, le dialogue et l'amitié n'ont pas attendu. Nous avons, en 2022, une saison culturelle croisée qui a été un formidable succès. Quand j'ai eu à choisir un directeur pour le Festival d'Avignon, j'ai choisi un Portugais. Je l'ai d'ailleurs dérobé à Porto avec Thiago. Et quand je regarde les chiffres, nous avons de plus en plus de Français qui viennent s'installer au Portugal. On est environ à 50 000 selon les chiffres de la police, et pas des manifestants. C'est un chiffre qui a triplé depuis 2015. Et donc ça veut dire qu'il y a une attraction qui est là, en même temps que… Il y a plus de 2 millions de luso-descendants dans notre pays. Et je rappelais hier, lors du dîner d'État, combien, je le sais, cette communauté a été touchée dans son sang, son cœur, et nous tous, lors de l'attentat de Mulhouse. Alors oui, il y avait comme une évidence à faire un traité d'amitié. Et la discussion que nous avons eue en juin dernier nous a conduit à cela.

Je veux saluer vraiment l'engagement du Premier ministre qui l'a proposé et beaucoup poussé. Mais le traité d'amitié et de coopération que nous venons de signer, au fond, reflète le lien très singulier qui est le nôtre, qui a été forgé par l'histoire de l'après la Deuxième Guerre mondiale, de l'exil de centaines de milliers, justement, de femmes et d'hommes de liberté portugais pendant la période de SALAZAR et, au-delà de cela, de votre contribution à notre reconstruction durant ces décennies. Alors, ce traité, vous l'avez dit, va permettre de renforcer la relation bilatérale dans de très nombreux domaines : la culture, la science, l'enseignement, la police, l'économie, à peu près tout ce que peut couvrir une coopération bilatérale. Et il va prévoir aussi entre nous des réunions régulières, une coordination très régulière. Et il va permettre de renforcer à la fois le lien entre nos 2 pays et la manière aussi de faire de notre travail conjoint quelque chose de plus solide et encore plus utile pour l'aventure européenne. Au fond, nous le faisons à un moment, le Premier ministre l'a rappelé, où notre Europe est bousculée. Et donc chacun des sujets que nous avons abordés aujourd'hui, je crois, est structurant pour la relation bilatérale, mais décisif aussi pour rendre notre Europe plus forte. D'abord le domaine économique : nous croyons l'un et l'autre qu'il faut une Europe beaucoup plus compétitive, plus forte sur le plan de la technologie, de l'économie, de l'industrie. Et donc oui, nous voulons aller de l'avant sur à la fois les interconnexions électriques, l'investissement dans nos réseaux, dans chaque pays, mais également, on le parlait, parce qu'il y a une grande complémentarité entre le Portugal et la France. C'est ici un très grand pays de renouvelables, nous sommes un très grand pays de nucléaires. Et donc nous sommes deux fournisseurs d'énergie décarbonée : l'une est alternative, l'autre est pilotable.

C'est une chance formidable si on arrive à interconnecter. Et c'est un socle pour ce marché européen de l'énergie dans lequel nous croyons, où, en fait, on veut une énergie la moins chère possible, la plus décarbonée possible et qui puisse circuler entre nous. C'est en cela que la stratégie que nous adoptons, je crois, est la bonne. Plusieurs accords économiques importants sont signés, et je veux ici dire combien le gouvernement portugais est très volontariste, et vous saluer sur ces projets d'infrastructure du nouvel aéroport de Lisbonne, LGV Porto-Lisbonne et Lisbonne-Madrid. Et je pense aux investissements d'ANA Aeroportos et Vinci, de notre filière ferroviaire, tout ce qui est fait avec Alstom, de ce qui est fait dans ce domaine des infrastructures entre nos grandes entreprises. Et en effet, Vinci et Alstom sont là. On a aussi Air France qui a des grands projets ici que nous soutenons. Et puis, on a des projets très structurants où, ensemble, on va aller conquérir des parts de marché dans le domaine de la sécurité des titres ou beaucoup d'autres. Nous avons aussi en matière économique une intimité très forte en matière de technologie. J'étais hier au Beato à Lisbonne. C'est un travail formidable qui est fait. On a un écosystème franco-portugais qui est extrêmement vibrant. Et donc là aussi, nous avons plusieurs projets qui permettent de faire encore davantage et de nous appuyer sur nos forces réciproques. Et je dois dire à cet égard que le forum que nous conclurons cet après-midi permettra à l'un et à l'autre de marquer encore davantage notre ambition économique en la matière.

Tout cela vient servir à un agenda, en effet, de souveraineté technologique, économique, industrielle européenne, qui est plus indispensable que jamais. Au moment où on le voit, où il y a une bataille qui est économique, mais géopolitique sur l'intelligence artificielle, au moment où on le voit, on n'a pas attendu cette administration, d'ailleurs. Il y a aussi une bataille qui est lancée sur les technologies vertes, et où il faut que l'Europe puisse produire ces technologies vertes pour ne pas dépendre, et l'Inflation Reduction Act qui date de la fin 2022 avait commencé, si je puis dire, cette tension, et où, en fait, on veut avoir nos solutions comme Européens, parce qu'on ne veut pas désindustrialiser notre continent. Au contraire, on a besoin de créer de la valeur et créer de la souveraineté technologique. Et alors même que l'ombre de tarifs sur l'économie européenne revient, de la part de notre allié transatlantique, il est nécessaire, en effet, d'être plus fort sur ce volet-là. C'est la même observation et la même volonté qui est la nôtre en matière de défense et de sécurité.

Nous signons un accord qui est important sur les canons CAESAR, sur les drones, et je salue la décision du Portugal de se porter acquéreur de 12 canons et jusqu'à 36. Nous sommes aussi volontaires pour travailler avec les solutions technologiques qu'apportent le Portugal et les drones et sa capacité d'innovation. C'était moins présent dans l'histoire de notre relation, il faut bien le dire. Et on renforce ce pilier. C'est une très bonne chose, parce que là aussi, il nous faut avoir une Europe qui investit davantage sur sa défense et sa sécurité. C'est ce que nous a fait acter dès mars 2022 l'agenda dit de Versailles. Mais pour ça, il faut une Europe qui dépense davantage, mais qui dépense davantage en Européens, et c'est-à-dire qui produisent davantage de solutions de défense, de capacité sur le sol européen. Et l'accord que nous signons vient servir cet objectif. Nous aurons ensemble le 6 mars prochain un Conseil extraordinaire à Bruxelles qui est un rendez-vous important dans lequel nous allons promouvoir justement cette volonté d'aller beaucoup plus vite et plus fort, de dégager des financements nationaux et européens supplémentaires, d'aller vers des solutions très innovantes pour investir beaucoup plus sur notre défense et notre sécurité, mais de le faire pour produire en Européens. Et donc d'identifier les capacités dont nous avons besoin davantage, défense solaire, justement les drones et les systèmes anti-drones, l'intelligence artificielle, certaines capacités maritimes, les tirs de longue portée, où il nous faut bâtir des solutions européennes et donc investir dans la durée et avoir une préférence européenne.

C'est une petite révolution. Et lorsqu'on poussait ces idées il y a 7 ans, elles étaient vues avec suspicion. Et je crois qu'à la fois la guerre d'agression russe en Ukraine en 2022 a été un premier réveil stratégique, et le trouble que nous partageons tous depuis quelques semaines en est un supplémentaire. Et maintenant, il faut passer à une nouvelle phase d'action. Et à ce titre, notre coopération, vous le voyez, sert cette ambition. Enfin, sur les grands sujets internationaux, nous avons pu évoquer notre agenda commun et nous servons les mêmes objectifs. Et je veux dire ici combien le passage de témoins était une étape importante hier à Lisbonne, de Lisbonne à Nice pour le deuxième Sommet des Nations Unies sur les océans, qui s'est tenu en 2022 dans votre pays, jusqu'au troisième que nous organiserons en juin prochain, en lien avec le Costa Rica, où nous voulons poursuivre le travail et les efforts qui ont été conduits sur un sujet absolument décisif. Je ne serai pas plus long. Le Premier ministre a parfaitement détaillé le reste des sujets et je partage totalement, nous parlons d'une même voie.

Mais je veux remercier ici l'ensemble des Portugaises et des Portugais, et Monsieur le président de la République, le Premier ministre, les maires de Lisbonne et de Porto, ainsi que tous les représentants que nous avons pu croiser lors de cette visite d'État pour la qualité de leur accueil, pour la chaleur de celui-ci, et surtout pour l'ambition de la feuille de route que nous portons, qui a été consacrée par ce traité d'amitié. Nous nous sentons chez vous comme chez nous, c'est- à-dire avec une forme de liberté, d'amitié, de bienveillance, et cette hospitalité nous a beaucoup touchés pendant ces deux jours. Donc merci infiniment, Monsieur le Premier ministre.

Journaliste

Bonjour Monsieur le Président, bonjour Monsieur le Premier ministre. Je vais rester assis pour mes collègues caméramans derrière et ne pas les déranger à l'image. Je vais rebondir, Monsieur le Président, sur ce que vous venez de dire. L'ombre, vous le disiez il y a quelques instants,

l'ombre, le potentiel tarif supplémentaire de la part de nos alliés américains. Donald TRUMP, justement, qui deux jours après votre voyage à Washington a annoncé que les produits européens feront bientôt l'objet de droits de douane à 25 %. Qu'est-ce que concrètement la France et les Européens en général sont prêts à faire en conséquence à ça ? Est-ce qu'on a déjà une idée sur les produits que vous pourriez peut-être taxer de manière réciproque ou pas ? Et puis plus généralement, qu'est-ce que vous répondez à Donald TRUMP quand il dit que l'Europe a été conçue, je cite : « pour emmerder les Européens ». Votre prédécesseur, François HOLLANDE, dit ce matin que l'administration TRUMP n'est plus notre alliée. Et même dans votre propre camp, ces dernières heures, Valéry HAYER, cheffe de délégation Renew au Parlement européen, disait que les États-Unis n'étaient plus nos alliés. Eux aussi, les termes sont très forts. Quel est votre avis sur ça ?

Emmanuel MACRON

Écoutez, j'avais moi-même évoqué le sujet des tarifs pendant et après ce voyage pour dire que la discussion avait été difficile et que j'en partais avec très peu d'espoir. Pourquoi ? Parce qu'il y a, je crois, des incompréhensions, des problèmes de conception dans l'approche commerciale qui est aujourd'hui proposée par cette administration. Et le cœur du raisonnement est que nos taxes sur la consommation, en particulier la taxe sur la valeur ajoutée, serait un tarif ; ce qui est factuellement faux. Et donc je l'ai plaidé, j'ai expliqué, on a échangé des papiers avec le président TRUMP et son équipe. Et je pense qu'il faut que le travail soit fait jusqu'au bout en lien avec nos partenaires. Je sais que Keir STARMER a fait pareil hier et que la Commission a fait la même chose.

C'est très simple, parce que la TVA que nous avons dans nos pays, elle taxe ce que nous produisons comme ce que nous importons. Donc on voit bien que ce n'est pas un tarif. Il n'y a pas de différence entre ce qui est importé et produit localement. Donc j'ai essayé de plaider ce qui me paraissait relevé de l'évidence. J'espère que nous arriverons à convaincre de cette évidence. Ensuite, je pense que les tarifs, c'est mauvais pour tout le monde, parce que c'est inflationniste pour tout le monde et que les États-Unis n'ont pas à y gagner et que d'ailleurs, ce n'est pas la bonne manière de corriger un déséquilibre commercial qui est beaucoup plus réduit que tel qu'il est présenté par l'administration américaine. L'économie américaine et l'économie européenne, ce sont 1 500 milliards d'euros d'échanges chaque année : de biens, de produits, de services numériques. Il n'y a pas deux zones économiques qui sont autant liées. Et le déséquilibre économique à la défaveur des États-Unis d'Amérique, c'est 50 milliards. Donc vous voyez qu'il est très marginal. Donc je pense que personne n'a à gagner à lancer cela. Qui plus est, je considère que le faire au moment où les Européens repartent pour s'investir sur des efforts de défense est une erreur de tempo. Donc je pense qu'il y a une erreur de principe et qu'il y a une erreur de tempo.

Bon, ensuite, une fois qu'on a dit ça, il y a des premiers tarifs qui ont été mis, lato sensu, pas que sur les Européens, sur l'aluminium et l'acier. S'ils sont confirmés, les Européens répondront. Et donc, il y aura des tarifs réciproques, parce qu'il faut qu'on se protège et qu'on se défende. Et si, début avril, comme cela a été annoncé, des tarifs étaient mis sur les produits européens, à cette hauteur-là, les Européens auront à répondre, parce que nous n'avons pas à répondre…nous n'avons pas, en quelque sorte, à être faibles face à ces mesures. Et donc ce qu'il faut réussir à faire dans les prochaines semaines, c'est convaincre que ce n'est pas une bonne décision de manière générale pour nos intérêts géopolitiques partagés entre les États-Unis d'Amérique et les Européens, et que ce serait mauvais pour tout le monde. Mais si ça advenait, alors nous devrons répondre et nous l'assumerons. Plus largement, je me garderai d'avoir les grandes formules, je pense qu'il y a une incertitude. Mais j'ai plusieurs fois dit, et ça n'a pas commencé il y a quelques semaines, il y a beaucoup de naïveté ou de réveil tardif chez beaucoup de gens qui s'expriment si durement, mais les Européens laissés seuls en Syrie, le retrait unilatéral de l'Afghanistan, toutes les décisions des 10, 15 dernières années, c'était déjà le fait que l'Europe n'était plus au cœur de la pensée géostratégique et géopolitique américaine. Je crois qu'il faut être lucide là-dessus. Et je le plaide depuis plusieurs années. C'est pour ça que vous m'entendez depuis 7 ans parler de souveraineté européenne et d'autonomie stratégique européenne. Beaucoup de collègues s'y sont remis et nous ont rejoints, en particulier après le début de 2022. Mais il y avait toujours cet espoir qu'au fond... Il y a toujours cet espoir : « ça passera ». C'est stratégique, c'est profond, c'est bipartisan.

Le choix américain aujourd'hui est d'abord une préférence américaine et il faut la respecter. Et c'est ensuite, la confirmation du fait que la priorité est la Chine, et en tout cas cette région. Et donc quelle est la réponse à ça ? Ce n'est pas de faire des commentaires, ce n'est pas de se lamenter, ce n'est pas de juger. C'est d'abord d'essayer au maximum d'engager les Américains à nos côtés, parce que nous avons besoin d'eux, parce que nous avons contracté, la France moins que d'autres, sur le plan militaire. Mais les Européens ont contracté, oui, des dépendances à travers les décennies, et donc il faut d'abord les engager, parce que face aux défis qui sont les nôtres, on a besoin pour le moment des Américains. Mais en même temps qu'on essaie de les garder au plus près de nous, c'était le sens de mon voyage lundi dernier, eh bien, il nous faut agir beaucoup plus fortement pour être plus indépendants. Et donc les indignations de dernière minute ne servent pas à grand-chose. Il faut avoir une pensée stratégique et surtout une action stratégique, et nous, être beaucoup moins dépendants des autres. Et on est à un moment où l'Europe découvre, et je m'en félicite, qu'elle n'est plus simplement un marché, qu'elle doit être une puissance, et donc qu'elle doit produire son savoir, qu'elle doit produire sa technologie, qu'elle doit produire ses solutions économiques, qu'elle doit produire ses solutions climatiques et qu'elle doit produire ses solutions de défense et de sécurité. C'est une opportunité pour nous, simplement, ce seront des choix profonds. Voilà. Moi, je ne suis pas commentateur, je suis acteur. Et nous devons tous l'être, dirigeants européens. C'est le sens du sommet qui arrive sur les sujets de défense et de sécurité dans quelques jours. C'est le sens aussi du sommet qu'on aura à la fin du mois de mars sur les questions de compétitivité. Il faut qu'on se réveille et il faut qu'on agisse pour être plus forts. Être plus forts, c'est la seule réponse.

Journaliste

I've been in Ukraine several times. I watched the suffering of those people with my own eyes. What else needs to happen to Ukraine for Europe to deploy troops on the ground and what exactly is deterring France to take the lead and to do so ?

Emmanuel MACRON

Je me permets une remarque dans la continuité de ce que disait Monsieur le Premier ministre, je le dis pour parfois éclairer nos débats français. Il y a beaucoup de papiers européens admirant le modèle espagnol ou portugais pour dire que c'est quand même formidable, ils ont réussi à réduire le sujet de finances publiques et regardez, il y a de la croissance. C'est vrai. Ce sont des réformes qui ont été faites, il y a 15 ans et qui n'ont pas été détricotées par les majorités successives, en particulier des réformes de retraite beaucoup plus ambitieuses que celles que nous portons dans notre pays. Le dividende, on le touche 15 ans après. Mais je le dis juste parce qu'on ne peut pas toujours déplorer les conséquences dont on chérit les causes, pour reprendre les grands auteurs. Si on en vient maintenant au sujet de votre question, je partage vraiment l'émotion que vous venez de témoigner, et j'ai vu les mêmes scènes que vous, et les mêmes scènes de guerre terribles. Et donc, l'Europe, depuis la première minute, d'abord, a tout fait pour empêcher ce conflit. Vous savez que la France était engagée avec l'Allemagne dans le format dit de Normandie s'assurer des accords de Minsk, ce qui est jusqu'aux dernières heures pour empêcher la guerre d'agression. Ça a été un choix grave, profond, à mon avis, gravissime devant l'histoire et en termes humanitaires, qu'a fait le président POUTINE.

Depuis la première minute, nous avons sanctionné la Russie en restant unis, toujours, avec un paquet de sanctions qui vient de sortir, ce que beaucoup pensaient impossible. Nous avons soutenu l'Ukraine massivement et nous avons toujours eu un principe qui était de ne pas faire d'escalade. Donc devenir belligérant, c'est faire une escalade. Donc, tous les Européens sont restés sur une ligne depuis le début qui était de dire, nous devons soutenir l'Ukraine. On l'a fait avec des montants, et je l'ai dit, les Européens représentent 60 % de l'effort qui est fait depuis le début de cette guerre, 60 %. C'est plus de 135 milliards d'euros, financiers et en aide militaire. Et donc, ce que nous devons faire aujourd'hui, c'est, à mes yeux, deux choses : c'est de nous assurer que si, en quelque sorte, l'Ukraine était sous pression, les Européens pourraient lui fournir ce qu'il faut pour se défendre. Pour moi, c'est l'un des objectifs, d'ailleurs, de la réunion que nous tiendrons à Londres dimanche, puis du Conseil européen du 6. Et la deuxième, c'est que si une paix était négociée par les Ukrainiens, parce qu'il n'y a pas de pays qui peut toucher l'Ukraine sans les Ukrainiens, que nous apportions des garanties de sécurité durable. Et dans ce contexte-là, les Français et les Britanniques ont travaillé sur des solutions très concrètes pour maintenir et apporter des garanties de sécurité sur le terrain.

Voilà comment je vois les choses et ce sur quoi nous allons travailler, en particulier dimanche, avec les quelques pays que rassemblera Keir STARMER, qui sont ceux que j'avais rassemblés à Paris et quelques autres.

Journaliste

But if it's not working, as you know. We see meetings and meetings and Europe...

Emmanuel MACRON

I think we should not say, it's not working, because 3 years ago...

Journaliste

My question was, was it possible? What is exactly deterring France to do?

Emmanuel MACRON

No, what I did one year ago is I reintroduced strategic ambiguity, which was a necessity. I think the main mistake, which was main at the very beginning, was no boots on the ground forever. So, we had to re-install strategic ambiguity. The point is, triggering any escalation would be a big mistake. But I think you should not underestimate the fact that 3 years ago, everybody thought that a landslide victory of Russia was certain. Three years ago, what was presented by Russia was a special operation for 3 weeks. Three years later, they took some territories. But we cannot present it as a victory for Russia. And we cannot say that it doesn't work. I disagree, and especially after some strategic defeats for Russia, with Sweden and Finland joining NATO. So, this is why we have to resist. This is why we have to help the Ukrainians to put themselves in the best possible situation to negotiate a solid and long-standing peace. And the question today is much more how to try to get this peace and to avoid all these losses and casualties. So, there is no deterrence from my point of view as far as I'm concerned. I'll try to accompany Ukraine as far as I can in the permanent dialogue with President ZELENSKY.

Journaliste

Monsieur le Président. Au sujet de votre domaine réservé, le Premier ministre François BAYROU a annoncé qu'il va demander au gouvernement algérien que la totalité des accords soit réexaminée, y compris le traité de 1968 qui prévoit, qui facilite la circulation des Algériens en France. Est-ce que vous êtes prêt à aller aussi loin ? Par ailleurs, François BAYROU envisage un référendum sur les retraites s'il n'y a pas d'accord entre les partenaires sociaux. Là aussi, ce sont vos prérogatives. Est-ce que vous réfléchissez à cela ? Est-ce qu'on peut réformer les retraites par un référendum ?

Emmanuel MACRON

Alors, sur le deuxième point, comme vous l'avez rappelé, la Constitution est claire dans ses termes, et j'aurai à m'exprimer au bon moment. Je pense qu'il faut faire les choses dans le bon ordre. Il y a aujourd'hui, et c'est une bonne chose, sur la base d'un cadrage qui a été fait par la Cour des comptes, un dialogue qui a été relancé. Je pense que c'est une très bonne chose. Donc le moment est le moment de dialogue entre les partenaires sociaux. Et il faut leur donner le maximum de chances de réussir et leur permettre de le faire dans un cadre apaisé et exigeant. Et donc, je ne me prononcerai pas sur d'autres initiatives. Il y a déjà eu un texte de loi, il n'est pas si vieux. Là, la question, c'est est-ce qu'il peut y avoir une meilleure réforme, et c'est aux partenaires sociaux d'en débattre et, je l'espère, de trouver un accord. Et donc, les choses se feront étape par étape.

Ensuite, pour ce qui est de la relation entre la France et l'Algérie, ce qui s'est passé à Mulhouse a heurté tout le monde, et je le dis ici très clairement, rien ne peut prévaloir sur la sécurité de nos compatriotes. Et donc, quand elle est menacée par des procédures ou des engagements qui ne sont pas respectés, le Gouvernement a raison de s'en saisir. Et je pense que c'est important en particulier que les accords que nous avons signés en 1994 —pas l'accord de 68— reprise automatique sur les ressortissants qui ont des papiers d'identité ou des passeports, ce sont des accords qu'on a signés en 94, il faut qu'ils soient pleinement respectés.

Les statistiques sont là, d'ailleurs, qui montrent qu'il y a un travail, une coopération qui existe. Vous vous souvenez peut-être que ces dernières années, Gérald DARMANIN, alors ministre de l'Intérieur, avait mis en place un système pour favoriser, justement, le retour de certaines catégories de personnes en situation irrégulière identifiées comme les plus dangereuses. Et donc, il faut que ces accords soient pleinement respectés. Pour ce qui est des accords de 68, nous avions, avec le Président TEBBOUNE, nous-mêmes envisagé, à l'été 2022, de les rouvrir pour les moderniser, parce qu'il y a beaucoup de choses qui doivent être faites de part et d'autre sur ces accords, sur lesquels il y a beaucoup de commentaires, parfois, d'ailleurs, factuellement faux. Et les Premiers ministres, ensuite, à l'automne 2022, je parle de mémoire, ce serait à vérifier, mais je crois que c'est ça, avaient eux-mêmes poursuivi cette déclaration que nous avions faite pour ouvrir ce travail. Donc, en résumé, 1) rien au-dessus de la sécurité des Français. 2) un engagement, une volonté, une exigence que les textes qui ont été signés soient respectés, en particulier les accords de 94, au service de cette sécurité. 3) ensuite, il faut qu'un travail soit repris parce que nous n'avancerons pas s'il n'y a pas un travail. On ne peut pas se parler par voie de presse. C'est ridicule. Ça ne marche jamais comme ça.

Donc j'ai bien entendu les mots de Président TEBBOUNE et je souhaite qu'il y ait maintenant un travail de fond qui soit réengagé au service de nos intérêts les uns et les autres, avec exigence, respect, engagement. Et je le dis aussi parce qu'on a des millions de Françaises et de Français qui sont nés de parents algériens, qui sont parfois binationaux, qui n'ont rien à voir avec ces débats, qui sont des gens qui vivent en paix, adhérant aux valeurs de la République, et je ne voudrais pas qu'ils soient maintenant pris dans ces débats parce qu'ils ont le droit à la vie tranquille aussi.

Donc je vous dis, les accords de 68, on avait lancé ce processus, on ne va pas les dénoncer de manière unilatérale, ça n'a aucun sens. Le problème, à mon avis, dont on parle est beaucoup plus les accords de 94, et nous avions lancé avec le Président TEBBOUNE un mouvement pour les moderniser, et on le fera en bon ordre. Et je pense que les choses se font bien quand elles se font avec exigence, avec engagement, mais il ne faut pas qu'elles fassent l'objet de jeu politique où qu'il soit. Il faut qu'elle soit faite avec ce que notre pays mérite quand on parle de sa sécurité, c'est-à-dire un sens du réel et simplement une culture de résultat et de l'efficacité, et ensuite ce que le lien qu'il y a entre nos pays exige. Donc, nous, on veut être respectés, et on le fera aussi avec respect. Une fois que j'ai dit ça, dans l'ensemble évidemment, de ce que nous avons à faire et de ce que le Gouvernement a lancé, et je pense qu'ils ont eu raison de lancer ce débat et de mettre sur la table plusieurs de ces sujets. Il y a évidemment aussi la grande attention que nous portons à plusieurs dossiers plus spécifiques, et en particulier notre compatriote Boualem SANSAL. Et aujourd'hui, sa détention arbitraire, ajoutée à sa situation de santé nous préoccupent beaucoup. Et je considère que c'est aussi un des éléments qu'il faut régler pour que la confiance soit pleinement rétablie.

Journaliste

Alors, je ne vais pas vous parler à nouveau de l'Ukraine, mais on vous voit en tant que porte- parole d'une Europe que vous défendez plus forte, autant qu'économique, autant que de la défense. Et ce que je vous demande, c'est que pendant la Covid, on a vu que l'Europe, elle dépendait beaucoup de la Chine et des États-Unis aussi, est-ce qu'il y a une espèce de cassure après et que chacun s'est retranché dans son pays ? Même question pour le Premier ministre.

Emmanuel MACRON

Écoutez, d'abord, vous avez raison de rappeler que, pendant la période de Covid, l'Europe a réagi vite, fort, parce que nous avons obtenu, dès juillet, un accord pour un emprunt, dès juillet 2020, pour un emprunt commun, puis on a mis en place des dispositifs. Et je rappelle d'ailleurs souvent que, dans nos pays, nous n'aurions pas été vaccinés, nous n'aurions pas eu le vaccin sans l'Europe et la capacité à acheter massivement, à nous organiser collectivement. Ça a été un très grand progrès, parce que, rappelez-vous, quelques 10 ans plus tôt, face à une crise financière inédite, nous avions été très divisés et très lents. Alors qu'est-ce qui s'est passé après le Covid ? C'est normal. On est ensuite tombé dans un temps qui a été beaucoup plus dur, où il y a eu de l'inflation, les modèles économiques ont fonctionné différemment selon les pays, les retours de la guerre en Ukraine, mais il y a eu de l'unité.

Ce moment de 2022 est un moment de très grande unité européenne, puisqu'on a pris en 48 heures des décisions inédites de sanctions et de soutien. L'agenda de Versailles est un moment inédit. Et beaucoup de gens pensaient, je crois que les Russes en faisaient plutôt le pari, que nous serions divisés. Donc, je serai moins pessimiste que vous. Maintenant, la clarification supplémentaire qui est en train de se jouer aujourd'hui, c'est-à-dire que l'Europe, en quelque sorte, sur beaucoup de sujets, est un peu laissée seule, doit nous conduire à agir avec la même force que nous avons eue pendant le Covid et la même échelle ; c'est-à-dire qu'il nous faut porter beaucoup d'ambition et très fortement. On veut nous mettre des tarifs. Levons les tarifs que nous mettons sur nous-mêmes. Par notre complexité, nos propres règles, nous mettons tous les jours des tarifs sur l'économie européenne. C'est l'agenda de simplification. On veut aujourd'hui nous contester la possibilité d'avoir une Europe, justement, plus souveraine sur le plan économique. Bâtissons une préférence européenne qui n'existe pas.

Nous sommes le seul endroit au monde où c'est comme ça. Les Chinois préfèrent les biens chinois. Ils ferment même leur capital. Les Américains ont un Buy European Act. On est les seuls au monde à penser qu'on peut acheter ce qui est fait ailleurs. Enfin, actons la préférence européenne dans nos textes et regardons les chiffres, investissons beaucoup plus dans l'intelligence artificielle, les technologies vertes et notre défense. On investit beaucoup, beaucoup moins que les Américains, de l'argent public comme de l'argent privé. Et donc, il faut évidemment la réforme des marchés de capitaux, mais un choc budgétaire public également à l'échelle européenne. Et je pense que la réponse à votre question se jouera dans les mois qui viennent, ce semestre. Ma conviction, c'est qu'il y a un consensus qui est en train de s'établir, et en tout cas, pour ma part, de là où je suis, modestement, j'essaie d'y travailler pour convaincre, c'est qu'il nous faut une Europe qui réagisse vite et fort à ce contexte économique, géopolitique nouveau. On doit, en Européen, avoir beaucoup plus d'ambition et décider maintenant, pas simplement décider, agir. Et donc, j'espère que le sommet du 6 mars prochain permettra des actions fortes en matière de défense, en donnant une mission à la Commission qui est de faire quelque chose, justement, de type Covid, pour aller chercher de l'argent sur les marchés, là où on a des besoins capacitaires en défense.

Je souhaite ensuite que, sur la compétitivité, nous ayons, 15 jours plus tard, un Conseil très ambitieux qui permette des décisions d'investissement et de simplification très fortes. Et ce semestre doit acter le retour d'une Europe puissance, plutôt, en fait, son invention. Mais ce qu'on a su faire pendant le Covid, sachons-le faire maintenant, parce que la période, au fond, n'a rien de plus simple, même si elle est très différente.

Merci beaucoup.

Enfin, le Président de la République a participé à la conclusion d’un forum d’affaires franco-portugais au Palais de la Bourse.

Revoir l'événement :

Avant de rentrer en France, il a répondu aux questions de Paulo Dentinho sur la chaîne portugaise RTP.

27 février 2025 - Seul le prononcé fait foi

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Rencontre du Président de la République avec les acteurs de la tech franco-portugaise.

Intervenante

Bonsoir et bienvenue à la Unicorn Factory Lisboa. Nous avons l’honneur de vous accueillir à la Unicorn Factory Lisboa en présence de son excellence, le Président de la République française, Emmanuel MACRON. Pour ouvrir la séance, j'ai le plaisir d'inviter Roxanne VARZA, directrice de Station F, à prendre la parole.

Roxanne VARZA

Bonsoir à tous. Je suis ravie et honorée de pouvoir animer cet échange assez exceptionnel ce soir et surtout ici à la Unicorn Factory. Moi, je suis venue pour la première fois il y a trois ans quand c'était encore en conception. Et aujourd'hui, vous voyez tous, c'est devenu un lieu dynamique avec plus de 700 startups et des liens avec plus de 14 licornes. Donc bravo ! Et je suis encore plus ravie si notre campus à Paris, Station F, a pu servir d'inspiration.

Bon, maintenant, on va démarrer l'échange. Un grand merci, déjà, Monsieur le Président, d'avoir accepté l'invitation et Carlos MOEDAS, Maire de Lisbonne, que vous connaissez tous. Je n'ai pas besoin de le préciser, mais ce genre d'échange, je crois, est assez exceptionnel pour une visite d'État. Donc, on voit bien l'importance que vous accordez à l'innovation. Donc, pour commencer, moi, j'ai compris déjà que vous vous connaissez. Vous avez peut-être même travaillé ensemble, il y a 10 ans, aux alentours. Est-ce qu'on peut avoir un peu plus de contexte ? Je ne sais pas qui souhaite commencer.

Carlos MOEDAS

Alors bon, Monsieur le Président, merci. Roxanne, merci, mais Monsieur le Président, c'est vraiment un honneur de vous avoir ici dans la capitale d'innovation d'Europe, Lisbonne. Merci. On est vraiment contents. On est très contents ! Merci.

Je suis vraiment content parce que vous auriez pu choisir beaucoup de choses. Vous avez choisi d'être ici avec nous, avec les jeunes, avec les entrepreneurs. La réponse. Je ne vais pas faire le truc politique, pas répondre à la question. On s'est connus en 2015. J'étais un jeune commissaire qui allait à Paris pour rencontrer un jeune ministre du numérique et de l'économie de France, qui s'appelait Emmanuel MACRON. On a commencé à parler et on avait peut-être un rendez- vous de 15 minutes qui a duré une heure. Et à la fin, vraiment, je me suis dit, mais c'est quelqu'un de différent, c'est quelqu'un de vraiment unique. On a échangé de téléphone portable, numéros de téléphone portable, et je suis arrivé à la maison, j'ai dit à ma femme, “j'ai connu un politicien qui était vraiment différent, si j'étais Français, je serais là pour le suivre.” Et après, même pas étant français, je t'ai suivi Président depuis longtemps dans tout ce que tu as fait.

Et donc on a échangé, on a parlé beaucoup d'innovation, technologie, et dans la petite histoire, une petite histoire que je n'ai jamais racontée, un jour, trois ans après, j'étais à Davos, j'avais besoin de donner un rapport au Président MACRON, je n'avais pas de façon de le contacter, je lui envoie un texto et je dis, Monsieur le Président, cher Emmanuel, je suis à Davos, j'ai besoin de te donner un rapport sur l'innovation. Il me dit, mais bien sûr, Carlos, je vais parler à Davos. Toi, tu vas derrière la scène, et après que je parle, et tu me donnes le rapport. Moi, j'étais hyper content. Je me suis dit, mais c'est incroyable, je vais être derrière la scène, je vais te donner le rapport. Bien sûr, il y avait 50 agents de sécurité. Et le premier, je dis bonjour, je m'appelle Carlos, je connais très bien le Président MACRON. Il m'a dit, oui, oui, vous êtes le troisième à dire ça. Mais là, il y a, Président, la magie. Et donc, il était portugais. Et donc, à partir de là, on a fait tout ça. Donc, il m'a dit, OK, OK, non, je vais vous amener derrière. Et on s'est rencontrés ce jour-là à Davos. Et c'est aussi, je pense, mon premier mot, Emmanuel, c'est pour les Franco- Portugais, parce qu'on a une communauté française absolument extraordinaire, mais on a surtout beaucoup de gens qui sont français et portugais, qui sont là ce soir, qui sont partis de notre ville, et qui sont des entrepreneurs incroyables.

Donc, à vous, vivent les Franco-Portugais ! Vivent les Franco-Portugais !

Roxanne VARZA

Monsieur le Président, vous confirmez ?

Emmanuel MACRON

D'abord, merci de me permettre de passer ce temps avec vous et merci de le faire en français, parce que franchement, la magie, c'est d'être dans ce lieu. Mais c'est qu'on ait un Maire qui parle un français parfait avec nous et que vous soyez tous là à m'écouter en français, j’y suis très sensible et je vous en remercie infiniment. Et en vérité, c'est assez juste ce que tu as dit.

D'abord, moi, je veux dire qu'il a été un très grand commissaire en charge de la recherche et qu'il a beaucoup poussé le Conseil européen de l'innovation, des choses très importantes. Je pense que le meilleur budget pour la recherche dans les planifications financières européennes depuis des années, c'est Carlos qui l'a porté et qui l'a mis en œuvre et avec beaucoup de modernité, d'inspiration et déjà cette volonté. Donc il y a une cohérence dans ces 10 années de se retrouver là aujourd'hui. Mais c'est très vrai qu'en effet, les Franco-Portugais, les Portugais vivant en France, les Français vivant au Portugal maintenant, c'est une histoire toujours de conquête économique, de volonté de faire et de transformer les choses. Et je dirais qu'il y a des croisements, comme ça, migratoires. Les Portugais ont aidé à bâtir la France de l'après-guerre de manière incroyable, et qu'on a beaucoup de Français qui ont aidé à bâtir la tech au Portugal de manière incroyable aujourd'hui. Et ces choses-là lient de manière fondamentale. Et je crois que l'un comme l'autre, comme vous, je pense, qui êtes là aujourd'hui et qui travaillez dans ce lieu où vous le faites vivre, et comme Roxane le fait admirablement à Station F à Paris, réussir par l'innovation à changer les choses, c'est, je crois, ce qui nous motive beaucoup. Souvent, moi, on m'a caricaturé en disant que j'étais la start-up nation, le copyright est déjà déposé par Israël.

Mais je crois, en tout cas, fondamentalement que l'innovation, d'ailleurs la recherche fondamentale, la recherche appliquée, l'innovation sont des choses qui apportent beaucoup à des sociétés et donc ce que vous faites ici. Parce que d'abord, ça apporte des solutions concrètes, ça crée des emplois, de la dynamique, mais ce sont des leviers de transformation sociale extraordinaires, parce que ça crée de la mobilité dans une société, énormément. Et ça permet, par la capacité à inventer une entreprise, à percer un marché ou à inventer un marché parfois, à travers la transformation, que ce soit des usages ou des technologies, eh bien, ça permet aussi à des tas de gens qui n'auraient pas forcément réussi par le salariat ou dans des grandes entreprises de percer dans la société.

Et donc, c'est pour ça que je trouve très inspirant que votre capitale ait fait ce choix. Et en ça, je demandais à Carlos avec quelle ville vous travaillez, mais qu'il y ait cette connexion avec Paris et notre écosystème, Lisbonne, Berlin aussi, et d'autres capitales européennes, c'est une vraie chance. Et ça, c'est une des forces de l'Europe. Et je dis souvent, l'Europe, ce n'est pas Bruxelles. L'Europe, ce sont nos capitales et parfois même nos grandes métropoles liées les unes avec les autres, avec cette densité, justement, de vitalité, de différences. Mais merci aux Franco-Portugais qui font vivre en particulier la relation et ce lieu.

Roxanne VARZA

Super, merci. Monsieur le Président, on est d'accord, c'est la première fois que vous venez ici à la Unicorn Factory. Donc, Monsieur le Maire, est-ce que vous ne voulez pas nous dire un peu plus sur ce lieu et sur ce projet, justement ?

Carlos MOEDAS

Bon, l'histoire, elle commence avec le Président MACRON, et elle commence en 2017, je pense, dans un grand speech qu'Emmanuel, tu as fait à la Sorbonne. Et pour la première fois, il y avait un Président qui parle de l'innovation de rupture, qui parlait d'innovation radicale. Il n'y avait pas un autre président, on regardait le monde, il n'y avait personne qui parlait de l'innovation. Et ce jour-là, c'était le jour où, en fait, j'ai pris Jean-Claude JUNCKER et j'ai dit, écoute, il faut qu'on fasse quelque chose. C'est le Président de la France qui le demande. Et pourquoi ? Parce que l'innovation de rupture, le Président le disait, c'est celle qui crée de l'emploi. On peut innover, en améliorant un produit, en faisant des choses qui vont un peu mieux, mais ça ne crée pas d'emplois. L'innovation de rupture crée des nouveaux marchés et donc crée vraiment de l'emploi. Et tu étais le premier Président à dire et transformer le mot innovation dans le mot emploi sur l'innovation de rupture. Et c'est là qu'on a créé le Conseil européen de l'innovation. Et après, quand je me suis lancé à être Maire de Lisbonne, je me suis dit, mais c'est les villes, quoi. Il faut que je trouve cette ambition, cette audace que tu as amenée à la politique, quand tu es devenu président. Je me souviens, c'était l'Europe, l'ambition, l’audace. Tout cela, et de l’amener dans une ville et de faire le pipeline de projet de la ville vers l’Europe. Et donc, on a passé 3 ans d'abord à créer une dynamique.

Donc, on est allé chercher 14 licornes qui sont venues à Lisbonne. Eux, ils ont apporté des entreprises technologiques autour de 70. Et on a créé avec tout ça plus de 15 000 emplois. Et donc, c'était vraiment cette idée que l'innovation est quelque chose qui est dur, qu'en fait, il faut le travailler, que c'est un processus, donc une usine, donc l'idée de l'usine. Et après, l'idée des intersections. Et ça, c'est quelque chose que le Président français aussi a apporté à la discussion. C'est cette idée de l'intersection entre les disciplines. Tu sais, on a ici beaucoup d'exemples, mais on a Nuno RAMOS qui est là, qui a une entreprise absolument incroyable. Nuno, il a quelque chose qui a très rare. Il est un juriste qui est devenu un chimiste. Et donc, quand je l'ai connu, j'ai pensé à un prix Nobel qui s'appelle Frances ARNOLD, qui est une dame qui a gagné le prix Nobel de la chimie, qui avait comme formation la littérature. Et lui, il a développé avec des scientifiques, aujourd'hui, des traitements pour le cancer, sa boîte, qui a commencé avec un million d'euros avec l'investissement de quelques boîtes portugaises comme Ovion, il l'a vendue pour un milliard d'euros, un milliard d'euros, parce qu'il a fait ça, transformer la connaissance dans quelque chose d'utile, transformer la connaissance dans un produit. Et donc, c'est ça un peu que c'est notre idée ici, c'est comment est-ce qu'on transforme quelque chose qui est super en Europe, c'est la connaissance, dans des produits qui changent des vies. Et Nuno, on est très fiers de lui. C'est un type incroyable.

Roxanne VARZA

Bon, on est quand même dans un lieu d'innovation, donc on est obligé, je pense, de parler de l'IA, de l'intelligence artificielle, surtout à Paris. On vient d'avoir le sommet de l'IA avec plein d'enthousiasme et beaucoup d'annonces, mais encore un peu de pessimisme qui traîne en Europe. Les gens qui pensent que face aux Américains, face aux Chinois, on ne veut pas y arriver. Monsieur le Président, qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce que vous dites à ça ? Et est-ce qu'il y a quelque chose au-delà de Mistral ?

Emmanuel MACRON

D'abord, moi, je pense qu'on peut toujours y arriver si on se donne les moyens et qu'on a énormément de capacité à y arriver en Europe. Alors, il y a à la fois des gens qui en font peut- être trop, enfin, qui résume tout à ça et d'autres qui pensent que c'est terrible. En vrai, l'IA, si je devais le dire, ça existe depuis assez longtemps. C'est ce qu'on appelle avant et qu'on appelle le machine learning. C'est-à-dire, au fond, on a répliqué un système neuronal et on arrive par la démultiplication et des capacités de calcul, en effet, à transformer les choses, donc à traiter beaucoup plus de données.

Et ce qui a impressionné tout le monde avec l'IA et ce qui a créé une forme de vertige, c'est quand on l'a appliqué au langage. Et c'est les fameux LLM, les larges langages modèles, qui ont un peu déstabilisé tout le monde en se disant, ce truc est comme une personne humaine. Or, ce n'est pas vrai. C'est une machine qui, par sa capacité de calcul, réussit à mettre des mots après les autres. Mais elle ne ressent pas la même chose que vous et moi dans les phrases. Je dis ça tout de suite, parce que moi, je ne crois pas du tout à l'idée que ce sera une intelligence qui se substituera aux humains. Par contre, c'est un outil extraordinaire pour innover beaucoup plus vite et réussir à perforer, justement à faire de l'innovation de rupture dans plein de domaines.

Alors aujourd'hui, en fait, on a des forces en Europe. Je pense qu'il y en a beaucoup dans la salle. Notre grande force en Europe, c'est les talents. On est sans doute rapporté au nombre d'habitants l'endroit du monde qui forme le plus de chercheurs, de génies de l'IA. Parce qu'on a plutôt des bonnes écoles et des bonnes formations en maths, en data scientist. C'est vrai en France, mais c'est vrai dans beaucoup de pays européens. Et donc ça, c'est un vrai trésor.

Le problème, c'est qu'on en a beaucoup qui partent travailler sur la Silicon Valley ou ailleurs. Et donc il faut en former davantage, mais il faut qu'on arrive à les garder. Ça, c'est la première chose. Et donc, c'est tout ce qu'on a commencé à faire avec des chaires d'excellence pour mieux payer nos chercheurs en IA, etc. Et puis, il faut avoir un écosystème qui permet de développer des entreprises qui vont les rémunérer, leur permettre de vivre mieux et de répondre à leurs défis. Ensuite, là où on est décroché en Europe, c'est les capacités de calcul. Parce que comme vous l'avez compris, si on veut réussir dans l'intelligence artificielle, il faut avoir ces énormes bêtes que sont les data centers ou les usines d'IA. Et là, on a un problème, c'est qu'on est quand même très décroché. On a aujourd'hui environ 5 % des capacités de calcul dans le monde, là où il faudrait avoir 20 % si on était à peu près au prorata de ce que nous représentons. Et beaucoup de ces capacités sont aux États-Unis, juste après, c'est la Chine. Et elles sont souvent d'ailleurs dans des mains privées. Et moi, je suis très à l'aise avec le privé. Je dis simplement, quand une innovation est 100 % dans le secteur privé et que les chercheurs académiques n'ont pas la capacité de suivre, ça peut devenir un problème. Donc là-dessus, nous, on s'est dit : il faut foncer, comment on a plus de datacenters ? Et donc on a commencé à réduire nos dépendances au niveau européen, c'est toute la stratégie qu'on est en train de bâtir. Et pour ça, on a aussi un avantage, et je le dis ici dans votre pays qui est un des champions du renouvelable, c'est que la clé, il y a deux sujets quand on parle des datacenters et de l'IA, qui sont des sujets au fond de goulots d'étranglement, c'est les semi-conducteurs et c'est l'énergie.

Les semi-conducteurs, là, on a un problème, c'est que la catégorie de semi-conducteurs utilisée pour l'IA, les Européens sont un peu décrochés. Donc on a, on produit des semi-conducteurs, mais plus pour la partie automobile, télécommunications. Pour l'IA, comme vous le savez, ces acteurs sont taïwanais, sud-asiatiques et américains. Et donc là, il faut qu'on rattrape et qu'on investisse, y compris pour faire des projets conjoints, mais qu'on fasse des semi-conducteurs chez nous, de cette catégorie. Par contre, l'énergie, en vrai, on est mieux placée que les Américains. Parce que quand vous entendez parler des 500 milliards du grand projet américain, ils n'ont pas encore les capacités énergétiques pour se brancher. Et qu'est-ce qu'ils feront ? « Drill, baby, drill ! » C'est-à-dire qu'ils vont faire des énergies fossiles pour produire cette énergie. Et nous, comme je le disais d'ailleurs au sommet, j'ai dit « Plug, baby plug ! » parce que nous, sur l'énergie disponible.

La France, l'année dernière, elle a exporté 90 TWh d'énergie décarbonée produite avec le nucléaire. Et donc c'est pour ça qu'on a pu annoncer 109 milliards d'investissements. C’est des investissements d'Américains, de gens du Golfe, en France, parce qu'en fait, ils vont faire plusieurs centres de données. Alors, c’est des trucs très capitalistes, mais on a notre énergie, on a des sites disponibles, on va aller vite, on mobilise les financements parce qu'en ce moment, c'est très chaud et on doit retrouver. Et ça, c'est ce qu'il faut faire partout en Europe où on peut pour, en quelque sorte, rattraper ce retard. Je dis ça parce que c'est clé. C'est la possibilité d'avoir des bons acteurs et d'avoir des acteurs compétitifs. Sinon, dès qu'on aura des champions, ils seront attirés ailleurs pour aller entraîner leurs modèles ou développer leurs capacités là où il y aura ces datacenters.

Donc là, en Europe, il faut foncer pour faire des datacenters avec de l'énergie décarbonée et rattraper ce retard. Et puis après, il y a en fait deux choses. Il y a en effet les LLM, donc on a Mistral, que Roxana a évoqué, qui est un champion européen. Il y en a d'autres qui sont en train d'émerger. Et au fond, notre conviction, c'est qu'on peut avoir des modèles plus frugaux que les Américains. Les Américains sont très forts. Ils sont partis sur des modèles généralistes ouverts comme OpenAI. Ça demande beaucoup d'énergie, beaucoup de capacité de calcul. Ça va un peu dans tous les sens. C'est une très belle réussite. Mais on peut les prendre de deux manières.

La première manière, c'est ce qu'ont fait les Chinois avec DeepSeek, c'est par le haut. On met quelques chercheurs pour aller récupérer ce qui est en innovation ouverte et on essaie de tirer un autre modèle. Moi, je souhaite qu'il y ait des Européens qui fassent un DeepSeek européen. C'est clé. Mais il y a une autre manière de faire qui est de dire : on fait des modèles de langage qui sont un peu plus frugaux, un peu mieux finalisés, un peu plus adaptés à leurs clients et leur utilisation. Et là, on est assez bon. Et c'est ce qu'a fait Mistral et il y aura d'autres Mistral européens. La clé derrière ça, si on veut être bon, autre message. Premier message, on utilise notre énergie et on fait des datacenters en Europe. Deuxième message, on garde nos talents. Troisième message qui est clé, on développe des modèles à nous et on les utilise. Et là où on n'est pas très bon en européen, c'est qu'on a souvent tendance à utiliser les solutions des Américains. Et à chaque fois qu'il y a une solution européenne, utilisons européen parce qu'en fait, on crée des clients de la profondeur de marché et on arrive aussi à créer une IA qui sera nativement européenne.

Et l'IA, c'est plein de biais, parce que vous comprenez que l'IA se forme, que ce soit un modèle de langage ou autre, sur la capacité de données qu'elle va collecter. Et donc, comme nous tous, on a des biais qui sont notre enfance, les livres qu'on a lus, les gens qu'on a croisés, on a plutôt envie qu'elle lise nos livres et qu'elle croise les gens qu'on aime, l'IA, cette IA. Et donc, que ce soit une IA européenne. Mais il faut qu'on ait une préférence européenne, en général, moi, j'en suis convaincu, dans l'industrie et l'innovation, mais en particulier pour l'IA. Et donc il faut vraiment qu'on développe ces écosystèmes et c'est pour ça que des lieux comme celui-ci, Station F, créent des écosystèmes. C'est très important parce que ça va permettre aussi de croiser les usages et de permettre à des IA européennes de s'installer.

Et puis enfin c’est les utilisations verticales. La révolution de l'IA, c'est lorsqu'on peut l'utiliser, par exemple en santé, par exemple dans l'énergie. Et l'IA, vous parliez à l'instant de santé, l'IA, c'est en effet une révolution en matière de santé parce que c'est avec l'IA qu'on va pouvoir affiner des jumeaux numériques, qu'on est en train de bâtir des traitements et des diagnostics qui sont beaucoup plus simples. Avec l'IA, on est en train de commencer à pouvoir, par exemple, sur la base juste d'un cliché, détecter des pathologies qui supposaient avant de faire des biopsies. Donc, vous voyez que ça va beaucoup plus vite, c'est beaucoup plus prédictif, ça améliore la médecine préventive, ça l'individualise, et ça, c'est avec l'IA. Et donc là, la clé, c'est la même chose que ce qu'il a dit, c'est-à-dire de ne pas laisser l'IA dans son sillon. C'est de mettre l'IA avec le SQR et la bioscience, c'est de mettre l'IA avec les meilleures de l'énergie, et ça, c'est la stratégie du cluster.

Par exemple, à Villejuif, tout près de Paris, on a l'institut Gustave Roussy qui est un des champions européens de la cancérologie. C'est le premier d'Europe, quatrième dans le monde. On a décidé de mettre plusieurs centaines de millions d'investissements pour y mettre de l'IA. Et on a déjà commencé à bousculer des traitements et des diagnostics en croisant les deux. Donc voilà ce qu'il faut, à mes yeux, faire pour l'IA. Donc aujourd'hui, on est en retard par rapport aux Américains, mais on a une capacité pour rattraper ce retard qui est 1) tout à fait présent et réel, et 2) possible. Mais il faut qu'on aille beaucoup plus vite, beaucoup plus fort et qu'on attire ces investissements en essayant de travailler autour de ces quelques points de stratégie.

Roxanne VARZA

Entièrement d'accord. Merci beaucoup.

Emmanuel MACRON

Parce qu’en fait, j'ai dit tout ça, mais elle connaît beaucoup mieux l'IA que moi.

Roxanne VARZA

Du tout, Monsieur le Président. Je n'oserai pas. Non, mais franchement, entièrement d'accord. Et Monsieur le Maire, on vient d'évoquer l'Europe et une possibilité pour nous aussi de prendre cette place devant nous. C'est un sujet que vous, vous connaissez très bien. Nous, on s'est connus quand vous étiez commissaire. Et au cœur de plein de décisions en lien avec la science et la tech, qu'est-ce qui reste à faire ? Et surtout, comment les villes comme Lisbonne, comme Paris, comme plein d'autres villes en Europe peuvent faire partie de la solution ?

Carlos MOEDAS

Bon, je dirais que quand j'entendais le Président, et là je voulais vous dire comme Portugais, monsieur le Président, qu’on est très rassurés de vous voir aux États-Unis. Le monde est dans un moment très compliqué et la façon comme vous avez été avec le Président TRUMP, ça a été très, très important pour l'Europe et on se sentait rassurés. Je vous entendais parler là et je suis désolé, mais je voulais le dire. Merci. Merci comme Européens.

Donc Roxanne, elle m'a aussi beaucoup aidé quand j'étais commissaire, puisqu'elle était dans ce rapport que je voulais te rendre ce jour-là. Je voulais dire quelque chose. On a the best. Dans la science, on est les meilleurs. Tu sais, en 2014, je me souviens d'avoir cette conversation avec le Président. J'étais commissaire. Il y a trois personnes qui sont allées me voir. Les trois étaient européens. Un s'appelait Ugur SAHIN. Il est allemand. Il a développé le vaccin Pfizer pour le Covid. Le deuxième était Ingmar HOERR. Il était Autrichien. Il avait une boîte qu'on appelait CureVac et il a aussi développé un vaccin avec l'ARN. Et le troisième, c'était Stéphane BANCEL qui a créé Moderna, que tout le monde connaît bien ici.

Et donc, la science fondamentale, c'est notre fort. Et quand on pense au futur, le futur ne sera pas le passé. Donc, comme on me dit alors quelle va être la prochaine Google ou la prochaine Amazon, non, le futur, ça va être de la science fondamentale transformée avec l'intelligence artificielle, avec la technologie quantum, avec tout ça, avec la mécanique et la physique qui croisent avec la science sociale. Alors quand on parle des problèmes, oui, on a des problèmes et on les connaît bien, on connaît bien les problèmes. Le premier, c'est l'échelle. Il y avait un très grand astronaute italien qui un jour me disait, « tu sais quand il y a une pyramide et tu veux lever le sommet, il faut élargir la base ». Et donc l'Europe aujourd'hui, quand on voit que le financement pour l'innovation au niveau public en Europe, il est 7 % de tous les financements de tous les pays européens, c'est-à-dire qu'on n'est pas en train de le faire avec l'Europe, on est en train de le faire pays à pays. Et c'est là que je pense que c'était extraordinaire, là, avec le sommet de l'IA, c'est de mettre tout le monde autour de la table et de dire combien vous donnez ? 109 milliards, c'est ça, mais on le fait ensemble. Et donc l'échelle est très importante dans l'innovation et nous, en Europe, pendant des années, on était là chacun de notre côté. Donc c’est en train de changer et je pense que le futur sera mieux.

Deuxièmement, c'est le financement. On a aujourd'hui un problème que aussi le Président MACRON a beaucoup travaillé, c'est les marchés de capitaux. Aujourd'hui, le financement de l'innovation en Europe, c'est 70 % les banques, 30 % le financement des marchés comme le VC, le private equity. Aux États-Unis, c'est le contraire, 30 % c'est la banque, 70 % c'est exactement ces marchés de capitaux. Donc, on a besoin rapidement d'une union des marchés de capitaux en Europe et de le faire. Et donc, je dirais qu'on a ces deux problèmes. Comment est-ce qu'on change d'un paradigme où les banques... enfin, les banques, elles ne comprennent rien à l'innovation. Je suis désolé, je parle comme ça, mais ce n’est pas les banques qui vont résoudre l'innovation, c'est les marchés de capitaux.

Donc, on a un problème d'échelle, un problème de financement qu'on est en train de résoudre, mais je n'ai aucun doute. Aujourd'hui, à Lisbonne, dans des fondations comme la Champalimaud, il y a tous les chercheurs qui viennent. Ils veulent venir aujourd'hui en Europe. Donc on a une opportunité énorme. Et c'est pour ça que j'ai fait ce lien, Président, avec toi, à Washington, parce que je pense que c'est ça, c'est prendre l'opportunité. C'est ce que tu as fait aussi avec le Sommet de l'IA, mettre tout le monde autour de la table et dire 109 milliards, c'est exactement comme aux États-Unis. Et en plus, on a la capacité de le faire. Et donc, il faut arrêter de dire du mal de l'Europe. Il faut arrêter de penser qu'on ne peut pas parce qu'on peut. La preuve, c'est ce que le Président de la France vient de dire. Et donc, quand je vois les gens qui sont constamment avec l'Europe : oui, l'Europe, on est vraiment très bons. Et donc, je dirais qu’il faut changer.

Et c'est cette attitude, je pense qu'il y a une question d'attitude. Et les politiciens européens, pendant des années, étaient dans cette attitude un peu négative. Et donc, ce que j'ai vu, j'ai vraiment eu de la peine de ne pas être là pour le Sommet de l'IA parce qu'il y avait une énergie. Quand tu as parlé à la fin, il y avait tous ces gens autour, tu étais au milieu, tu parlais. C'était incroyable. On sentait la vibration qu'il va y avoir en Europe dans cette ère de l'intelligence artificielle. Donc c'est ça, je ne peux que dire du bien de l'Europe. Je n'arrive pas à faire le contraire mais j’essaie.

Roxanne VARZA

Super. Bon, j'ai une dernière question, surtout parce qu'on m'a mis la pression pour ne pas dépasser l'heure. Monsieur le Président, on a un peu évoqué, du coup, tout ce qui se passe aux États-Unis. Vous étiez à Washington, il n'y a pas très longtemps. Je pense qu'il y a beaucoup d'entrepreneurs qui se posent la question de, est-ce qu'il faut qu'on change de stratégie ? Est-ce qu'il faut qu'on change quelque chose ? Quel est le message que vous avez envie de faire passer ?

Emmanuel MACRON

Mais, moi, je suis d'accord avec ce que Carlos a dit. Est-ce qu'il faut qu'on change quelque chose ? Il faut qu'on s'améliore. Mais je crois qu'on vit dans un moment, quand on regarde ces dernières semaines, ces derniers mois, un peu hypnotiques. C'est-à-dire qu'on a l'impression qu'il y a des gens qui sont d'un seul coup totalement fascinés par ce qui se passe, ou d'autres qui sont totalement sidérés parce que le ciel leur tombe sur la tête, mais tout le monde est un peu passif ou fasciné par l'autre. Non. On doit être acteur. Et en vérité, quel autre endroit dans le monde a autant de complexité que l'Europe ? Parce qu'on l'a oublié. Moi, je veux rappeler d'où on vient.

En 45, on était un continent qui était infichu de tenir sans guerre civile plus de 20 ans. C'était ça, ce qu'on faisait depuis deux millénaires. C'était ça, l'Europe, c'était un continent génial. Mais pour reprendre une formule qui était plutôt adaptée aux Balkans, on était un continent qui produisait plus d'histoires qu'il ne pouvait en vivre. Donc il y avait des drames tout le temps, il y avait des génies, il y avait des trucs formidables, c'était la civilisation, mais des guerres civiles en permanence. L'Europe, c'étaient des histoires de guerres civiles aussi, beaucoup. Et donc l'Europe, elle, naît pour produire d'abord de la paix, de la paix et de la prospérité après-guerre. Eh bien, notre Europe l'a fait. Nous n'avons plus de guerre civile européenne, depuis ce moment- là. C'est un trésor. Regardons ça.

Ensuite, deuxième aventure, on s'est dit au début des années 80, on va faire un marché. Donc, on s'est dit, on est trop petit, on va faire un marché pour mieux vivre, pour créer de la prospérité. Ça a été vraiment les avancées formidables de l'acte unique, nous conduisant jusqu'à une monnaie commune. Les gens disaient, c'est une folie à l'époque. On l'a fait. On est devenu un marché. Aujourd'hui, la mue qu'il faut faire, c'est qu'il faut devenir une puissance, parce que nous ne le sommes pas. On se vit, on est un marché, on est un lieu en paix, mais on est un peu amorphe. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est-à-dire, on ne se projette pas suffisamment. Et donc, on l'évoquait un instant en parlant des océans juste avant de vous rejoindre, le Portugal comme la France sont des puissances maritimes. On est toujours parti au large sans savoir ce qu'on allait forcément trouver. On ne peut pas être un continent où tout est déjà écrit, ce n'est pas vrai. Et donc, on doit retrouver davantage de goût du risque et assumer d'être une puissance, nous, les Européens. Et qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'on doit prendre conscience que nous sommes un espace politique de 450 millions de citoyens. C'est plus que les États-Unis d'Amérique. Et donc, on doit produire nos solutions technologiques nous-mêmes. On doit les protéger. On est le seul endroit du monde qui ne le protège pas. Aux États-Unis, il y a un « Buy American Act ». Les Chinois, on les adore, mais je vous défie de rentrer dans le marché chinois quand vous venez d'Europe de manière sympathique.

On est les seuls qui préférons ce qui vient d'ailleurs que chez nous. Donc, il faut produire nos solutions technologiques, il faut défendre nos économies, il faut investir bien davantage, c'est ce goût dans l'avenir que j'évoquais, il faut retrouver le goût du risque en Européen. Or, nous, on a un modèle financier, je ne veux pas être trop technique, Carlos a ouvert, mais qui, par nos régulations d'ailleurs, investit beaucoup trop dans l'obligataire. Nous, on investit sur ce qui est plus sûr, mais à rendement faible et ne finance pas l'innovation. Donc, il faut changer ça très profondément, retrouver ce goût du risque et assumer d'être une puissance, c'est-à-dire aussi de nous défendre. Et donc, nous, Européens, de retrouver cette capacité à nous défendre nous- mêmes sans dépendre en restant dans l'alliance, mais sans dépendre des autres. Et donc, retrouver en quelque sorte le goût du risque, le goût de l'avenir, le sens d'une puissance, c'est ça, le défi.

Et donc, au moment où les États-Unis sont dans un grand changement, qu'est-ce qu'on doit faire ? On doit les garder près de nous, parce que je pense qu'on n'a pas besoin de division, mais on va devoir vivre avec de l'incertitude. C'est ça, la réalité. Parce que les choix que les Américains sont en train de faire, en tout cas, cette administration, elle va produire de l'incertitude géopolitique, mais aussi économique, on a tous entendu ce qui allait se passer sur les tarifs. Et donc, qu'est-ce qu'on doit faire face à l'incertitude ? Agir. Et donc, oui, on est un continent formidable, mais on doit aller plus vite, investir davantage, simplifier les choses, intégrer ce marché pour qu'il soit véritablement un marché où, quand vous créez une startup ici, votre marché domestique n'est pas le Portugal, mais tout de suite c’est 450 millions d'habitants, et se penser, nous penser comme une puissance. C'est ça, la révolution qu'on doit faire. Et ça, c'est un sursaut, parce que ça a un coût, parce que ça veut dire qu'on va devoir investir pour nos enfants. Et ce sont des choix très profonds qui vont changer beaucoup de choses, parce qu'il va falloir créer un budget européen totalement différent. Il va sans doute falloir faire ce qu'on a été capable de faire pendant le Covid, qui a été d'investir ensemble, d'emprunter ensemble. Il va falloir le faire pour préparer l'avenir.

Et donc je pense que la réponse, elle n'est pas dans une soumission. Moi, je ne suis pas pour la vassalisation heureuse. Il y a un choix. Je vois plein de gens dans notre Europe dire : « on va devoir être gentil avec les Américains, ça va passer, il faut courber l’échine. » Il faut être poli, mais il faut défendre ce que nous sommes. Et notre avenir n'est pas dans la vassalisation heureuse, il est dans la défense respectueuse de nos principes, de notre histoire, mais dans une volonté ambitieuse d'aller plus loin. Moi, je veux que l'avenir de nos enfants se passe dans cette Europe qui s'est bâtie sur un processus de civilisation, qui est fière de ce qu'elle est, mais qui doit retrouver ce goût du risque, de l'ambition et de la puissance. Ce n'est pas un gros mot. Au contraire.

Roxanne VARZA

Bon, avant de terminer, Monsieur le Maire, je vous repasse la parole, parce qu'il me semble que vous avez peut-être quelque chose à dire.

Carlos MOEDAS

Alors, j'avais une petite surprise pour toi. Et là, je pense que je vais un peu rompre le protocole parce que je sais qu'il y a un groupe d'étudiants du lycée français de Lisbonne qui est là. Et je voulais faire quelque chose de très protocolaire. Et je voulais qu'ils soient ici avec moi. Donc s'ils peuvent... Les étudiants du lycée français, venez ici avec moi. Parce que... Je vais me lever. Venez, venez, venez. Ce n'était pas prévu. Je suis désolé. Roxanne, viens ici. Et donc, ce que je voulais faire, c'est, au nom des Lisboètes, te donner la clé de la ville de Lisbonne. Et je voulais vraiment de tout cœur… Monsieur le Président, c'est quelque chose qu'on fait pour les chefs d'État, mais pour toi, Monsieur le Président, au nom de l'amitié et de tout ce que tu as fait toujours pour Lisbonne, pour le pays, parce que tu aimes le Portugal, je voulais que tu aies la clé pour rentrer toujours chez toi, que c'est chez nous, c'est cette Lisbonne incroyable avec des gens incroyables.

Emmanuel MACRON

Merci infiniment !

Roxanne VARZA

Et merci à vous deux, Monsieur le Président et Monsieur le Maire.

Emmanuel MACRON

Merci à tous et bon courage ! Et ne lâchez rien !

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