Le Président Emmanuel Macron s'est rendu à Münster pour la troisième journée de sa visite d'État, où il a reçu le "Prix international de la paix de Westphalie".
Depuis sa création en 1998, ce prix est remis à de hautes personnalités en reconnaissance de leur action en faveur de la paix.
Le Président Emmanuel Macron s'est vu remettre ce prix par le Président allemand Frank-Walter Steinmeier à l'Hôtel de ville de Münster.
Revoir les discours :
A l'issue d'un déjeuner de travail au Château de Wilkinghege, les deux Présidents ont fait une déclaration à la presse pour clôturer cette visite d'État.
Revoir la déclaration :
En marge de la visite d'État en Allemagne, Le Président Emmanuel Macron a rejoint le 24ème Conseil des ministres franco-allemand, en présence du Chancelier Olaf Scholz, au château de Meseberg.
Conclusions du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité.
Revoir la conférence de presse conjointe :
28 mai 2024 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe du Président de la République et du chancelier allemand lors de la visite d’Etat
Merci beaucoup, Monsieur le Chancelier, cher Olaf.
Mesdames et Messieurs, bonjour à tous.
Je suis très heureux de pouvoir me retrouver à tes côtés à Meseberg pour la dernière étape de cette visite d'Etat qui a commencé dimanche. Et je veux ici vraiment remercier Monsieur le Chancelier et le Monsieur Président fédéral STEINMEIER, pour leur accueil et, de Berlin à Dresde, Münster et maintenant à Meseberg, cette plongée ensemble face aux défis qui sont les nôtres, avec des étapes très variées et beaucoup d'avancées.
Et je suis très heureux de me retrouver à tes côtés pour pouvoir en effet, de manière très concrète, ensemble, relever beaucoup des défis qui sont les nôtres. Et c'est ce que nous allons faire dans notre Conseil des ministres franco-allemand, le 24ᵉ du nom, et dans ce Conseil franco-allemand de défense et de sécurité.
Évidemment, le premier enjeu - Monsieur le Chancelier vient de le rappeler - est celui de l'Ukraine, de la sécurité de notre Europe, de notre paix. Là-dessus, la position de l'Allemagne et de la France est commune depuis le début, main dans la main, et notre soutien à l'Ukraine durera aussi longtemps et aussi intensément que nécessaire.
Nous avons intensifié celui-ci ces derniers mois ensemble et nous avons aussi bâti des canaux bilatéraux multilatéraux nouveaux pour mettre en œuvre des axes d'effort que nous avions définis lors de la conférence du 26 février dernier à Paris. Et je veux d'ailleurs remercier l'Allemagne pour l'action immédiate en matière de défense aérienne, qui a été coordonnée par vous et qui s'inscrit pleinement dans cette ligne. Nous sommes en train aussi de compléter et d'accroître notre soutien et j'aurai l'occasion dans les prochains jours - nous en avons parlé avec le Chancelier - de revenir sur des capacités additionnelles et la poursuite de notre aide à l’égard de l’Ukraine.
Au-delà de cela, comme l’a dit le chancelier, nous convergeons pour apporter une aide financière supplémentaire comme depuis le début. Nous l’avons fait en Européens en bâtissant des accords pour avoir de nouvelles facilités, de nouveaux financements européens de soutien à l'Ukraine depuis le début de cette année, et notre souhait est que nous puissions poursuivre le même effort à l'échelle du G7. Nos ministres ont commencé le travail et nous travaillerons de concert pour que d'ici au G7, qui se tiendra à la mi-juin, nous puissions avoir une initiative commune impliquant tous les pays du G7 afin de renforcer justement le financement à l'Ukraine, de donner plus de clarté et plus de profondeur de champ à celui-ci en utilisant différentes techniques qui sont aujourd'hui sur la table. Nous pouvons y revenir si des questions se posent.
Au-delà de l'Ukraine, c'est évidemment la question du renforcement de notre sécurité, de notre défense commune en Europe et en Européens qui nous tient à cœur et c'est ce dont nous allons discuter dans un instant à travers là aussi des réponses robustes, crédibles et communes. Je pense en particulier à la défense antimissile pour laquelle nous voulons renforcer notre autonomie, aux frappes dans la profondeur - le Chancelier vient de l'évoquer - sur lesquelles nous sommes prêts à lancer une coopération de long terme ensemble.
Autant de sujets sur lesquels, au fond, nous voyons bien que nous avons à bâtir un cadre commun de défense et de sécurité, définir des concepts communs, partager nos besoins, définir des capacités communes et renforcer à long terme la défense européenne, notamment par un soutien accru à la base industrielle et technologique de défense européenne. C'est ce que nous avons ensemble poussé, ce qui a été confirmé par la Commission il y a quelques mois dans les propositions faites. Et l'enjeu est maintenant de réfléchir à des options de financement innovantes et crédibles sur lesquelles le Conseil européen a prévu de revenir le 27 et 28 juin prochain, avec justement l’idée que nous puissions aller davantage en priorité vers les industries et les projets européens.
Notre Conseil à cet égard permettra aussi de faire le point sur nos coopérations bilatérales en matière d'armement. Je pense aux systèmes de combat aérien du futur et au système principal de combat terrestre, aux projets d'avions de combat du futur et de char du futur sur lesquels nos ministres ont signé, le mois dernier, encore un nouvel accord à Paris qui précise la répartition des responsabilités industrielles. Tout cela participe de la construction d'un cadre commun de paix et de sécurité en Europe, avec l'Union européenne, avec l'OTAN, avec la Communauté politique européenne. Et à cet égard, la coopération franco-allemande est déterminante.
Au-delà de ce sujet, nous allons pouvoir revenir sur aussi les questions économiques, financières et de croissance européenne. Au fond, nous sommes convaincus l'un et l'autre que notre Europe a besoin d'innover, d'avoir encore plus de croissance et d'être au cœur de l'innovation, qu'il s'agisse des technologies vertes ou de l'intelligence artificielle.
Pour cela, il nous faut un choc d'investissements au sein de notre Europe - et nous y reviendrons, ce sera au début de nos échanges dans le Conseil des ministres franco-allemand - aller vers cette union de l'épargne et de l'investissement. Depuis plusieurs années, nous en parlions - et je veux vraiment dire qu'il y a, et c'est pour moi l'un des acquis et l'un des résultats très importants de ce Conseil des ministres que nous avons traduits dans un texte commun dans la presse, de manière raccourcie aujourd'hui, et un texte plus long qui sortira de ce Conseil. La convergence entre nous deux est inédite à cet égard et je ne doute pas qu'elle entraînera maintenant un mouvement fort accéléré au sein de toute l'Europe. Elle était nécessaire et nous y sommes arrivés.
C'est en effet grâce à cela que nous pourrons bâtir, au fond, une véritable Europe des marchés de capitaux, c'est-à-dire une Europe de l'épargne et du financement commun. Nous avons aujourd'hui énormément d’épargne dans notre Europe. Cette épargne ne s’alloue pas aux bons endroits et dans les bons secteurs, et elle quitte aussi encore trop souvent - environ 300 milliards d'euros par an - le sol européen pour aller s'investir vers les capitaux américains. Nous avons donc décidé ensemble d'appeler à la création d'un produit d'épargne européen - épargne financière, je le disais, massif, 35 000 milliards d'euros - et ce produit d'épargne qui va être fléché sur nos priorités de long terme, transition verte, intelligence artificielle, innovation, défense, c'est pour nous un élément de cohérence, d'efficacité, d'utilisation de cette épargne.
Ensuite, nous souhaitons que la Commission avance rapidement sur la question de la titrisation, qu'elle fasse des propositions opérationnelles au Conseil dans les tout prochains mois, là aussi sans tabou, avec les réponses prudentielles adaptées pour que les acteurs financiers prennent plus de risques dans ces domaines.
Enfin, nous donnerons mandat à nos ministres des Finances lors de ce CMFA, ce Conseil des ministres franco-allemand, pardon, pour mettre en œuvre notre ambition commune en matière de supervision des services financiers, en matière également d'harmonisation du droit de nos faillites, droit des affaires et fiscalité, et d'une plus grande convergence en matière fiscale. Nous devons avoir aussi une réflexion robuste sur la transposition des règles prudentielles bancaires et assurantielles qui aujourd'hui écartent par trop du risque. Ce chantier est majeur, il peut paraître technique, il est décisif pour le financement de nos économies et pour pouvoir mobiliser l'argent privé qui existe vers nos priorités. Et c'est pour moi véritablement en acte, le couple franco-allemand, qui montre des résultats concrets par cette décision.
Le second sujet de ce Conseil des ministres sera notre contribution conjointe à l'agenda stratégique de l'Union européenne pour les 5 ans à venir, et un texte que nous allons ensemble donc signer et transmettre. Je n'entrerai pas ici dans le détail, le chancelier a déjà insisté sur plusieurs actes. Mais au fond, quand on regarde les défis économiques auxquels l'Union européenne fait face, les pandémies, la compétition croissante, l’Inflation Reduction Act des États-Unis et la conséquence sur la réallocation des facteurs, évidemment, la guerre, les grandes transitions que j'évoquais en matière de climat et de numérique, nous sommes donc face à un impératif qui est de soutenir la production sur notre sol, innover encore davantage, mobiliser plus d'investissements, prendre plus de risques pour que l'Europe ne soit pas distancée par les autres grandes puissances.
Mais au fond, ce nouveau paradigme de croissance et de compétitivité que nous portons ensemble, c'est produire plus et plus vert, c'est simplifier les règles - comme vient de le dire à l’instant, Monsieur le Chancelier - massivement, c'est accélérer la politique industrielle européenne pour devenir leader d'ici 2030 dans les industries et technologies clés comme l'intelligence artificielle, le quantique, le spatial, la 5G et la 6G, les biotechnologies, les technologies à zéro émission nette et la chimie ou la mobilité. C'est gagner la bataille de l'innovation et de la recherche en prenant plus de risques, c'est définir une politique commerciale capable de défendre nos intérêts plus équilibrés et c'est stimuler davantage d'investissements publics et privés, comme nous venons de le dire. C'est, là aussi, à mes yeux, l'un des résultats importants de ce Conseil.
Et cette stratégie commune que nous défendons est, à mes yeux, un cadre structurant pour la Commission européenne et nos actions pour les 5 années à venir, car comme je le rappelais encore hier et ce matin, il y a à cet égard urgence et le risque est grand pour l'Europe, si nous ne prenions pas les décisions rapides importantes que nous venons de citer l'un et l'autre, de se voir distancer par les autres puissances et de perdre notre capacité à bâtir notre prospérité.
Enfin, je veux avoir un mot pour la situation au Proche-Orient. La situation, en effet, à Rafah est effroyable et je ne veux pas revenir sur ce que j'ai déjà dit hier, il faut que les opérations israéliennes cessent à Rafah. Il n'y a aujourd'hui pas de zone sûre pour les civils palestiniens. La Cour internationale de justice a appelé Israël à mettre un terme à cette offensive qui met à risque les populations civiles, déjà déplacées plusieurs fois pour éviter les combats.
Notre position est claire depuis le premier jour : nous avons condamné avec fermeté l'attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, et le Hamas est responsable de cette situation. Nous avons reconnu le droit d'Israël à se défendre, mais en respectant, comme toute démocratie, le droit international, le droit humanitaire. Nous avons constamment mis au cœur de nos priorités la libération de nos otages, et je veux à mon tour remercier les puissances médiatrices qui nous aident à cet égard, et nous réitérons notre soutien à toutes les initiatives en ce sens. Mais dès le mois d'octobre, nous avons appelé à un cessez-le-feu car nous voyons bien que la réponse face au terrorisme du Hamas ne peut pas être une opération terrestre qui continue.
C'est pourquoi nous soutenons la demande algérienne de réunion d'urgence et nous bâtissons avec l'Algérie, et tous nos partenaires au Conseil de sécurité, une résolution commune visant, sur le terrain, à répondre à cette urgence humanitaire mais aussi à apporter des réponses en termes de cessez-le-feu et à donner un mandat onusien clair sur Gaza.
La sortie, plus largement, et c'est le dernier point important de réponse que nous apportons depuis le premier jour, ne peut être que politique. Et c'est ce que je rappelais dans l'échange que j'ai eu avec nos partenaires arabes vendredi dernier : nous sommes prêts à travailler activement une solution de paix. Elle est atteignable, avec une volonté politique. Elle passe par un chemin, celui du jour d'après pour Gaza, plus largement pour un État palestinien, ce qui suppose beaucoup de réformes, des évolutions, un équilibre régional, des éléments de sécurité garantis pour Israël. C'est cette réponse politique d'ensemble qui est aujourd'hui une nécessité.
Monsieur le Chancelier, à mon tour, je veux vous remercier pour la qualité de nos échanges à l’instant et la richesse de ce Conseil des ministres franco-allemand, vous remercier pour tout le travail commun et redire ici que, au-delà de notre amitié commune bâtie à l'aune des crises, je crois pouvoir dire que les décisions que nous avons prises à la fois face à la guerre en Ukraine lancée par l'agression russe, mais face à tous les défis des temps qui sont les nôtres, nous avons constamment pris des décisions communes, je crois, qui ont permis à l'Europe d'avancer. Et ce que nous faisons à l'égard de ce Conseil, à l'occasion de ce Conseil des ministres, tant sur le financement de soutien à l'Ukraine que sur les questions justement de défense, que sur l'Union des marchés de capitaux ou la compétitivité et la croissance de l'Europe s'inscrivent dans cette ambition franco-allemande.
Notre amitié est en actes, elle est faite d'une histoire, elle est faite de liens personnels qui nous unissent, mais aussi de décisions fortes prises au bon moment. Et je crois que c'est le bon moment de prendre celle que nous actons aujourd'hui.
Merci Monsieur le Chancelier, cher Olaf. Vielen Dank.
Journaliste
Bonsoir. Guten Abend. Juste à propos, pour rebondir sur ce que vous venez de dire sur Gaza et sur Israël et Rafah. Cette résolution que vous proposez, donc c'est une résolution, c'est une façon de faire rebondir le projet français de résolution en Conseil de sécurité, c'est ça, en lien, en coopération avec l'Algérie ? Dans quelle mesure êtes-vous sûr que l'ensemble des Européens voteront cette résolution, en particulier l'Allemagne ? Bon, ça, c'était la question de rebond sur ce que vous venez de dire.
Et puis sinon, sur l'Ukraine, je voulais savoir si, Monsieur le Président de la République, vous avez en tête d'envoyer des instructeurs français, effectivement, sur le terrain en Ukraine ? Où en est-on ? Les Ukrainiens ont dit qu'ils étaient prêts, ont quasiment dit que les instructeurs étaient même arrivés sur place. Pour quoi faire des instructeurs français en Ukraine ?
Est-ce que vous pensez Monsieur SCHOLZ… Was halten sie von dieser perspektive Französische instruktoren nach Ukraine zu schicken ? Vous avez été très sceptique il y a quelques mois sur l'envoi de troupes occidentales en Ukraine. Est-ce que c'est une bonne idée d'envoyer des instructeurs français ?
Et puis, dans ce contexte, pourquoi parler autant de négociations et de paix ? Pendant le voyage, à plusieurs reprises, vous avez parlé de négociation, je crois, Monsieur MACRON, alors que la situation s'enlise sur le terrain, les combats s'enlisent, les Russes sont à l'avantage. Pourquoi relancer l'idée d'éventuelles négociations ? Merci.
Emmanuel MACRON
Sur votre première question, l'objectif qui est le nôtre, et ce sera tout le travail de nos diplomates dans les prochaines heures et les prochains jours, est d'apporter une réponse complète à la situation, pas simplement le projet qui avait pu déjà être avancé, mais de le compléter, de l'enrichir aussi au vu de la dégradation de la situation et de ce qui s'est passé ces derniers jours et qui est absolument dramatique. Et je le dis parce que c'est notre devoir à tous égards.
Donc, nous allons compléter ce travail, le poursuivre, et ce sera le travail des prochains jours, en effet, de convaincre l'ensemble de nos partenaires. Et j'ai tout à fait confiance dans notre capacité à trouver justement des décisions et aussi une manière de les exprimer commune avec en particulier nos partenaires européens, mais de convaincre au-delà, ce qui pourrait bloquer une résolution indispensable pour la situation à Gaza.
Si vous faites référence à ce qui a été hier émis sur certains canaux de communication par nos partenaires ukrainiens, je crois qu’eux-mêmes ont corrigé ces phrases. Donc, je n’ai pas pour l'habitude de commenter des rumeurs ou des décisions qui pourraient arriver.
Nous avons un cadre précis d'action : c'est soutenir l'Ukraine ; faire tout ce qui est nécessaire et aussi longtemps que nécessaire. Je me suis déjà exprimé à plusieurs égards et j'aurai l'occasion, lorsque le président ZELENSKY se rendra en France à l'occasion donc du D-DAY la semaine prochaine, de le recevoir, et à ce moment-là, de m'exprimer très précisément pour annoncer ce que nous allons faire. Mais je ne ferais pas de commentaire sur ce qui a été des communications non coordonnées et malheureuses.
Ensuite, j'ai parlé de paix à plusieurs reprises, parce que je crois que c'est notre objectif. Et il se trouve que ce matin à Munster on parlait de paix. Je ne crois pas avoir parlé de négociations. Il se trouve que l'Ukraine a pris l'initiative avec la Suisse d'organiser une conférence qu'elle a appelé elle-même de paix. Donc je ne pense pas que ce soit un gros mot y compris pour les Ukrainiens, mais c'est comme ça qu'ils veulent finir.
J'ai rappelé simplement des choses très simples durant ce voyage. La paix, ce n'est pas la capitulation de l'Ukraine. Ça c'est un point très important parce qu’aujourd'hui, il y a des faux-pacifistes en Europe, dans tous nos pays, des gens qui disent : « nous, on est pour qu'on arrête tout de suite ». D'ailleurs, si on suit aujourd'hui la voix d'une partie des autorités russes, du Président, il va à travers le monde en disant : « moi, je suis pour la paix. Ils ont quand même donné les territoires que j'ai envahis par la force ». Ce n'est pas la paix, ça. Ce n’est pas notre vision de la paix. Je l'ai dit et rappelé, la paix ne peut être que durable et donc dans le respect du droit international.
Ensuite, je pense que personne ne croit que la paix reviendra uniquement par les armes. Et donc nous, nous avons un principe simple, c'est que nous sommes pour les négociations. Mais le jour où elles seront décidées par les deux parties, en particulier par les Ukrainiens, et qu'elles se feront dans des conditions souhaitables et bonnes pour eux, qu'elles ne leur soient pas imposées ; c'est l'inverse de la capitulation. Ce n'est pas le jour, ce n'est pas l'heure, vous l'avez très bien dit. Par contre, il faut constamment parler de paix pour rappeler que nous bâtissons par notre aide à l'Ukraine, les conditions de la paix. On aide un pays qui est envahi par une puissance révisionniste impérialiste, à se défendre lui-même pour pouvoir un jour ouvrir des négociations de paix. Faisant référence aux discussions de ce matin, j'espère ardemment que ce ne soit pas dans 30 ans.
Journaliste
[Traduit de l’allemand]
Monsieur le Président, l’Allemagne a initié un système Sky Shield le bouclier antimissile, il y a un grand nombre de pays qui participent déjà. Quand est-ce que la France décidera de participer à ce projet ?
Et pour l'Ukraine, le Président ukrainien voudrait, à côté des instructeurs occidentaux, une permission de pouvoir attaquer des positions russes avec des armes occidentales. Est-ce que la France serait prête à donner cette autorisation, par exemple, pour les missiles de croisière SCALP ?
Et Monsieur le Chancelier, pour le ESSI, le bouclier antimissile, on pense que c’est important pour vous que d'autres pays tels que la France ou l'Italie participent, et comment vous imaginez, le financement, est-ce que vous pouvez imaginer un financement européen tel que proposé par la Pologne et la Grèce ?
Et concernant les instructeurs en Ukraine et les attaques sur le territoire russe avec des armes occidentales, là, il faut se poser la question si ce serait une participation directe à la guerre, si cela signifierait une telle participation, c’est quelque chose que vous avez exclu ? Est-ce que ce serait donc une participation ? Est-ce que ce serait une ligne rouge ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup pour vos questions. D'abord sur la question donc d'une défense et d'un bouclier et d'une défense sol-air et initiative qui a été prise par l'Allemagne, nous sommes dans une situation stratégique et capacitaire qui est très différente entre l'Allemagne et la France. Et ceci parce que la France est une puissance dotée de l'arme nucléaire avec une capacité aérienne et océanique, ce qui lui donne une capacité de dissuasion et ce qui nous place de fait dans des positions très différentes au regard des risques auxquels nous sommes exposés. Et donc, il est légitime que chaque pays en Europe regarde les risques auxquels il est exposé et cherche à se protéger au mieux et en fonction à la fois de son histoire et de ses préférences. Et donc, c'est en fonction de ces différences que nous appréhendons les choses.
Donc, je pense que l'initiative allemande a le mérite de poser cette question de manière tout à fait pertinente pour tous les pays qui n'ont pas la dissuasion. Et dans un cadre qui a changé et que je rappelais moi-même - cela paraît antédiluvien au vu du rythme de l'actualité - mais en 2019, lorsque les États-Unis, de manière unilatérale, avaient décidé eux-mêmes de sortir du traité FNI - nous plaçant dans une situation en quelque sorte, nous Européens - on était exposés à certaines armes détenues par les Russes sans cadre. Donc, c'est fort de ces différences qu'on n'a pas forcément les mêmes initiatives.
La clé, ce que nous allons ensemble poser lors de ce conseil franco-allemand de défense et de sécurité - et je pense que c'est à cet égard que, pour moi, le moment que nous vivons est très structurant - c'est qu’enfin, nous sommes en train de nous poser les questions les plus fondamentales. Qui est quels sont nos ennemis aujourd'hui ? Quels sont nos adversaires ? Quelles sont leurs capacités et les risques qu'ils nous font courir ? Quels sont leurs potentiels alliés ? Quels sont les risques que nous avons demain ? Et fort de cela en Européens, indépendamment des alliances que nous avons — et de l'OTAN — indépendamment de celles-ci et en complément - parce que c'est exactement comme ça qu'est pensée l'initiative dite Sky Shield - eh bien de bâtir des réponses stratégiques puis de capacitaires européennes. Et de la défense sol-air à la question des tirs dans la profondeur, de la manière d'intégrer dans une stratégie européenne le fait que plusieurs puissances britanniques et français aient une capacité de dissuasion propre, tout ça est à intégrer dans un cadre commun de sécurité et de défense. C'est ça que nous sommes en train de bâtir et que nous allons maintenant structurer.
Pour ce qui est de votre deuxième question, qui a été soulevée en effet par certains de nos partenaires et alliés qui ont manifesté de manière explicite leur intention de permettre, la France a toujours le même cadre d'action en Ukraine : nous soutenons l'Ukraine pour résister et défendre son territoire, et nous ne voulons pas d'escalade. C'est le même cadre dans lequel nous voulons intervenir.
Ce qui a changé, c'est que la Russie a un peu adapté ses pratiques. Plusieurs d'entre vous, dont un bon journal du soir en France, a sorti cette carte qui est très juste, mais qui vous montre que le sol ukrainien, vous voyez, est attaqué de fait depuis des bases et qui sont en Russie. Alors comment on explique aux Ukrainiens qu'il va falloir protéger ces villes et au fond tout ce qu'on voit en ce moment autour de Kharkiv ? Si on leur dit « vous n'avez pas le droit d'atteindre le point d'où sont tirés les missiles », en fait, on leur dit « on vous livre des armes, mais vous ne pouvez pas vous défendre. »
Donc nous, on reste exactement dans le même cadre : on pense qu'on doit leur permettre de neutraliser les sites militaires d'où sont tirés les missiles et au fond, les sites militaires depuis lesquels l'Ukraine est agressée, mais on ne doit pas permettre de toucher d'autres cibles en Russie, évidemment des capacités civiles ou d'autres cibles militaires. Quand c'est depuis des cibles identifiées en Russie que l'Ukraine est agressée, eh bien, je pense qu'on doit pouvoir leur permettre de le faire si on veut véritablement retenir notre objectif. Et je crois pouvoir dire que factuellement, nous ne sommes pas escalatoires en faisant cela, puisque c'est la Russie qui s'organise de cette façon.
Journaliste
Bonsoir Monsieur le Chancelier, Monsieur le Président. Vous avez évoqué tout à l'heure, vous-même, ces frappes israéliennes qui ont tués 45 personnes, selon les Autorités palestiniennes. Et aujourd'hui, elles évoquent 21 personnes tuées dans une autre frappe, ça a créé beaucoup d'indignation. On l'a vu notamment cet après-midi en France, où il y a un incident à l'Assemblée nationale. Je ne sais pas, Monsieur le Président, si vous souhaitez le commenter.
Mais au-delà de cela, sur le fond, on a entendu tout à l'heure et dans vos communiqués les mots de nos deux pays pour condamner ces frappes. Mais au-delà des mots, est-ce que vous comprenez ? Et qu'est-ce que vous répondez aux critiques de ceux qui dénoncent, selon eux, une impunité d'Israël, voire une passivité de la part de nos pays ? Est-ce qu'il est envisageable, pour vous, de songer à des sanctions, par exemple, financières, ou sur les livraisons d'armes à Israël ? Et est-ce que vous envisagez aussi pour envoyer un signal, comme l'ont fait des partenaires comme l'Espagne ou comme l'Irlande et la Norvège, eh bien, de reconnaître à court terme l'Etat de Palestine ? Je vous remercie.
Emmanuel MACRON
Je ne veux pas ici redire, répéter ce que j'ai évoqué dans mon propos initial. Sur la situation, je veux être très clair : il n'y a pas pour nous de doubles standards. Et donc le respect du droit international vaut partout et la considération que nous avons pour les vies est la même pour toute vie. C'est d'ailleurs pourquoi il n'y a pas, à nos yeux, non plus d'impunité et que nous soutenons la justice internationale, son travail partout où elle doit le faire et où elle le fera.
Au moment où je vous parle, nous considérons que l'action la plus utile est en effet d'obtenir un cessez-le-feu et un cadre international qui permette tout à la fois d'assurer la sécurité d'Israël, le respect du droit humanitaire et la protection des populations à Gaza, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Et on ne peut pas accepter une situation où est présentée comme irréconciliable, où en quelque sorte, il faudrait choisir entre la sécurité d'Israël et la protection des populations civiles à Gaza. C'est impossible.
Et donc nous allons concentrer notre énergie sur la poursuite des actions humanitaires que nous menons depuis le premier jour : bateaux militaires pour soigner plus de 1 000 Palestiniennes et Palestiniens et enfants ; livraison de médicaments, de nourritures ; largage de ceux-ci aussi dans Gaza. Nous allons le renforcer et le compléter par cette action diplomatique et cette résolution pour essayer très concrètement d'arrêter les choses et d'obtenir ce cessez-le-feu que nous demandons depuis octobre.
Pour ce qui est de la reconnaissance de l'Etat palestinien, je l'ai déjà dit, nous avons toujours défendu, y compris il y a quelques années, quand plus personne n'en parlait, on était là pour le défendre, je le rappelle. parfois même dans la région. Nous avons toujours défendu les deux Etats comme étant la solution politique et en particulier celle qui permettait de répondre aux droits légitimes des Palestiniens aspirant à un État. Il n'y a pas de tabou pour la France et je suis totalement prêt à reconnaître un Etat palestinien.
Mais j'ai toujours dit depuis le début, c'est ce que j'ai encore expliqué vendredi dernier à l'ensemble des ministres des Affaires étrangères de la région qui sont venus, avec lesquels nous avons travaillé sur l'initiative arabe, je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile, c'est-à-dire à un moment où elle s'inscrit dans un processus où les Etats de la région et Israël se sont engagés et qui permet, sur la base aussi d'une réforme de l'Autorité palestinienne, de produire un résultat utile. Je ne ferai pas une reconnaissance d'émotion, si je puis dire. Je pense que face à ce que nous vivons, cette émotion que nous ressentons parce que, comme vous, je suis bouleversé par les images que nous voyons, choqué par ce que nous voyons aujourd'hui à Rafah. Eh bien la réponse, elle doit être politique par la résolution, par justement l'action et de cessez-le-feu immédiat.
Journaliste
[Traduit de l’allemand]
Monsieur le Président, Monsieur le chancelier. Je voulais aborder un sujet où il y a beaucoup de différents avis entre la France et l'Allemagne pour le financement d’autres projets. Vous avez parlé d'un choc d'investissement pour l’Europe. Vous avez proposé hier de doubler le budget de l'Union européenne. Je voulais savoir si c'est vraiment une perspective réaliste ?
C'est également une question dirigée à Monsieur le Chancelier. Nous avons vu ces dernières années que les 27 Etats de l'Union européenne voulait plutôt limiter le budget de l'Union européenne. Qu'est-ce qui a changé pour que vous puissiez réaliser cette vision ?
Monsieur le Chancelier, vous avez parlé des discours inspirants du Monsieur le Président hier à Dresde et d'une Europe géopolitique. Si c'est une Europe géopolitique qu'on veut, est-ce qu'il serait temps pour l'Allemagne d'avoir des chemins de financement communs ? Quelque chose à laquelle l'Allemagne jusque-là s'est parfois opposée - le fonds pour la reconstruction après le Covid, pour ne citer qu'un exemple. Est-ce que ce serait un chemin que vous voudriez emprunter pour ce choc de l'investissement que vous avez mentionné ? Est-ce que c'est le chemin qu'il faudrait prendre dans l'Union européenne ?
Et pour conclure ce point de presse, vous avez parlé de l’harmonie. Ce dernier mois, on a souvent entendu parler de dissonance ou de manque d’harmonie entre vous deux, est-ce que c’est la fin de ce manque d’harmonie entre vous deux ?
Emmanuel MACRON
D’abord, j’ai une bonne nouvelle pour vous, c’est qu’en vrai, il nous est déjà arrivé de doubler le budget européen. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on a besoin, je m'explique, on a besoin d'avoir un financement commun beaucoup plus important aujourd'hui. Mais si vous regardez les huit dernières années, on a eu sous la Commission Juncker un plan Juncker qui a été en plus du budget européen et qui a été un plan massif qui a permis de financer des projets. C'est des prêts, mais ça a offert une capacité commune de financement. Et au moment du Covid, sur la base d'un accord franco-allemand, le Chancelier s'en souvient, il était alors ministre des Finances, nous avons décidé d'abord de lever de l'argent ensemble et on a permis ce plan de relance européen. Et le plan de relance européen, je ne crois pas te trahir en disant que tu avais qualifié ce moment d'hamiltonien. En effet, ça a été un vrai changement de conception du financement de notre Europe et la réalité, c'est que la magnitude de ce plan, c'était la même chose que le budget.
Donc, je ne suis pas en train de dire qu'il faut doubler le budget tel qu'il est conçu aujourd'hui avec les contributions d'États - parce que nous avons tous nos budgets à bâtir et ce serait absolument impossible. Mais mon message à Dresde, à la Sorbonne, c'est simplement d'être lucide. Regardez le mur d'investissement qui est face à nous. Défense et sécurité, cleantech - parce que les Américains mettent beaucoup d'argent avec l’IRA, plus que nous - et intelligence artificielle. Si on prend juste ces trois choses-là, c'est à l'échelle d'Europe, plusieurs dizaines, voire centaines de milliards par an pendant quelques années. Et en vrai, on ne peut pas laisser simplement les Etats chacun faire parce que l’on va casser le marché unique si on fait ça et on ne peut pas le lisser dans le temps parce que l'allocation des facteurs se fait maintenant, les vrais choix d'investissement massifs pour être dans la course ou pas se font maintenant. Donc, il faut qu'on ait ce choc.
Sur la partie publique, je pense qu'on peut bâtir et ça va être tout notre travail, non pas doublement du budget techniquement, en utilisant les mêmes lignes qu'aujourd'hui, mais avoir une capacité de financement commune en utilisant les techniques qui ont été les nôtres, soit pendant le Covid, soit d'ailleurs en étant encore innovant, en utilisant des mécanismes déjà existants. Je ne veux pas préempter d'instruments, mais on a besoin de financements communs pour aller plus vite sur ces transitions et nos initiatives de défense. Ça, ça doit être complété ensuite par des choix nationaux, mais qui sont limités dans la période.
Et puis, l'autre jambe, ce sont les financements privés. Et c'est aussi pourquoi ce que nous portons aujourd'hui dans ce Conseil des ministres est très structurant. C'est que faire l'Union des marchés de capitaux, c'est se donner la garantie de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards par an qui seront mieux dirigés vers nos priorités et de la prise de risque sur la partie privée de ces priorités. Et je vous ai dit tout à l'heure les mêmes : intelligence artificielle, industrie, technologie verte, défense et sécurité. Ça, c'est une nécessité.
Donc, on a un travail devant nous, mais je pense que c'est réaliste aussi parce que je m'appuie sur l'expérience des dernières années et ce qu'on a su faire.
Ensuite, c'est aussi vieux que le couple franco-allemand de dire qu'il est en crise. Ça a toujours existé. Regardez les 70 dernières années. Alors, soit on fait des grandes avancées, puis 6 mois après, on dit que c'est une crise. L'un propose, l'autre ne répond pas tout de suite, que ce soit Sky Shield, que ce soit le budget. On dit : « ah, une crise ». Bah non, c'est un chemin.
Et donc, c'est une maïeutique, l'Europe, et à commencer par le couple franco-allemand. C'est une permanente traduction de l'un à l'autre, c'est un cheminement qu'on fait ensemble pour aboutir à un résultat. Le résultat n'est jamais totalement allemand, ni totalement français, il est franco-allemand. Et après, il devient européen. Et donc, à ce tarif-là, on sera toujours en crise, je vous rassure, et l'Europe sera toujours en crise, parce qu'on ne sera jamais les mêmes. Et c'est une chance. Et je crois que c'est ça la leçon pour moi de l'amitié franco-allemande et à cet égard, c'est en cela qu'elle est la matrice de l'aventure européenne. Nous nous mettons toujours d'accord et nous avançons. Et d'ailleurs, si nous sommes là, c'est que nous avons avancé, survécu aux crises et bâti l'avenir. Mais sans jamais être les mêmes.
Et c'est ce qui fait des Européens, je crois, un continent unique, en tout cas depuis ces sept décennies, un peu plus, et ce qui fait de nous aussi un continent, à mes yeux, plus fort que les autres parce qu'on s'est déjà mis d'accord avec quelqu'un d'autre - ce qui n'est pas le cas des grandes puissances solitaires. Et c'est à ce titre, parce que nous avons ces capacités, qu'on peut toujours aussi avoir un temps d'avance. Je ne vois pas comme un handicap.
Donc oui, il y a des moments où on ne part pas de la même position, du même point de vue, et c'est tout à fait légitime. Il y a beaucoup de sujets sur lesquels nous n'avons pas les mêmes histoires, on n'a pas la même situation aujourd'hui. Notre devoir, c’est de le surpasser pour bâtir une solution commune, qui est bonne pour l’un et l’autre et l’intérêt général franco-allemand, puis européen. Je crois que c’est ce qu’on a su faire et ce qu’on est en train de faire. C’est à ce titre que l’amitié franco-allemande est si importante et que je suis extrêmement heureux de ces trois jours de visite d’Etat et des échanges que nous avons aujourd’hui et au-delà ça, qu’on a tous les jours, avec, mon ami le Chancelier Olaf SCHOLZ.
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