De ses mille vies, Claude Alphandéry avait acquis une autorité morale qu’il exerçait avec la même flamme que celle qui l’étreignait, à vingt ans, dans les maquis ardéchois. Figure de l’économie sociale et solidaire, cet homme de dépassement chercha tous les chemins pour réconcilier le marché et la justice, la liberté et l’égalité, la singularité française et la fraternité humaine. Avec sa disparition, la France perd un bâtisseur qui écrivait toujours le mot résister au présent.

Né en 1922 à Paris, Claude Alphandéry avait pour ancêtre Léon Alcan, franc-maçon, acteur des Trois Glorieuses de 1830 puis de la Commune, médecin et financier, et Jules Tréfousse, maire républicain de Chaumont au XIXe siècle. Au soir de sa vie, Claude Alphandéry, redécouvrant la trace de ces héros familiaux, ne pouvait s’empêcher de constater les résonnances avec son propre destin d’engagement, de révolte, de combat républicain.

Sa vie fut très tôt marquée par la marche du siècle. Etudiant en hypokhâgne à Bordeaux puis à Lyon, victime et témoin de l’antisémitisme de l’Occupation, il estima que son devoir l’appelait à la lutte clandestine. Haute silhouette, tempérament flamboyant, courage à toute épreuve, il rejoignit la Résistance à l’hiver 1942. L’année suivante, son charisme le désigna pour diriger le Mouvement uni de Résistance dans la région de la Drôme et de l’Ardèche. Il réussit l’union des communistes et des gaullistes, et mena avec héroïsme les combats de la Libération comme lieutenant-colonel des Forces Françaises de l’Intérieur.

Dans les maquis, Claude Alphandéry frotta son esprit aux idées de son temps. Bientôt militant communiste, il rejoignit l’ambassade de France à Moscou en 1946. Cet homme qui semblait mener plusieurs destins en parallèle fut l’un des seuls à réussir deux fois le concours de l’ENA, ayant démissionné de l’administration pour poursuivre en URSS son roman russe d’amour et d’engagement. Puis, cherchant toujours à dépasser ses propres frontières, philosophiques et politiques, il voulut connaître les Etats-Unis. Conseiller économique aux Nations-Unies à New-York, acteur résolu de la solidarité et du développement international, il assista de près dans les années 1950 à la naissance de la « société d’abondance » américaine.

Revenant en France en 1960, Claude Alphandéry participa à la fondation de la Banque de la construction et des travaux publics, dont il prit la tête quatre ans plus tard, tout en présidant la commission de l’habitat au Commissariat général au Plan. Banquier du logement social, synthèse et dépassement de ses aspirations et de ses talents. Ses convictions humanistes le menèrent aussi dans les séances du Club Jean-Moulin, fondé par Daniel Cordier et Stéphane Hessel, puis dans celles du club Échanges et projets de Jacques Delors.

Claude Alphandéry s’engagea pour défendre la candidature de François Mitterrand à la présidence de la République en 1974 et intégra le groupe d’expert économique du Parti Socialiste, aux côtés de Michel Rocard et de Laurent FABIUS. Esprit libre, lassé de son rôle de banquier, éloigné des postes ministériels, Claude Alphandéry devint le porteur de l’économie sociale et solidaire (E.S.S) en tant que président du conseil national de l’insertion en 1991. Il avait fondé trois ans plus tôt France active, qui, jusqu’à aujourd’hui, soutient les entreprises créatrices d’emplois par du microcrédit. En 1996, avec Edmond Maire, il signa un « manifeste pour une économie solidaire », qui finit de l’inscrire, dans le paysage politique et économique français, comme le visage de cette autre conciliation possible du marché et de l’humain.

Militant toujours ardent, passeur d’expérience et de combat, il marqua ainsi des générations de femmes et de d’hommes engagés, concourut à la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire comme force vive de la République, et ne cessa de porter son message humaniste devant les défis du temps.

Le Président de la République et son épouse saluent un siècle d’esprit français, de Résistance et de progrès, guetteur et artisan des « jours heureux ». Ils adressent à ses proches, ceux qui l’aimaient, ceux qui furent marqués par ses combats, leurs condoléances sincères.

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