Avocat par caractère, avocat de profession, il était pour les Français, une voix qui plaide, scande, s’indigne et convainc, une haute silhouette qu’ils avaient appris à aimer, qu’ils ne cessaient d’admirer. Il restera, dans notre Histoire, l’homme de l’abolition de la peine de mort, un combattant des Lumières et des droits de l’Homme et du Citoyen, un grand destin français. Avec la disparition de Robert Badinter, à l’âge de 95 ans, la France perd l’un de ceux qui portèrent au plus haut ses idéaux.

Cette soif de justice qui anima Robert Badinter toute sa vie l’avait étreint dès sa jeunesse. Car Robert Badinter, né à Paris en 1928, éprouva dans sa chair l’antisémitisme nazi et celui du régime de Vichy. Sa famille fut pourchassée, son père, Simon, fut arrêté, déporté et mourut au camp de Sobibór. Rescapé après des mois de clandestinité, dévasté, Robert Badinter s’engagea ensuite dans des études de lettre et de droit, et, après un passage au Etats-Unis, s’inscrivit comme avocat au barreau de Paris en 1951. Brillant juriste, avocat à la voix chaude et aux raisonnements implacables, il se fraya une carrière fulgurante, jusqu’à s’associer, en 1965 à Jean-Denis Bredin. Au sein de leur cabinet, Robert Badinter figura comme l’un des jeunes ténors de l’époque, au gré de procès médiatique et de clients prestigieux. 

Mais le parcours de Robert Badinter prit un véritable tournant en 1972. Défenseur de Roger Bontems, complice de meurtre, il échoua à lui éviter la peine capitale. Profondément choqué qu’un homme puisse être mis à mort alors même qu’il n’a pas lui-même tué, il entama un long combat contre la peine de mort et défendit avec force sa position dans L’Exécution. En 1976, il assura la défense de Patrick Henry, accusé du meurtre d’un garçon de sept ans. Sa plaidoirie contre la peine de mort, où les arguments philosophiques s’ajoutaient à un appel à l’humanité et à la compassion permit de sauver l’accusé de la guillotine, les juges optant pour la réclusion criminelle à perpétuité. Par la suite, Robert Badinter évita la peine de mort à cinq autres personnes. Peu à peu, pour l’opinion, il devint l’homme d’une cause : l’abolition. Et l’intraitable vigie, sa vie durant, contre l’antisémitisme et le négationnisme. En 1981, il fit condamner pour ses propos négationnistes Robert Faurisson qu’il accusait d’être un « faussaire de l’histoire ».

Ce fervent militant des droits de l’homme, qui avait adhéré au Parti socialiste en 1971, devint l’un des compagnons de route du Premier secrétaire, François Mitterrand. A l’élection de ce dernier à la Présidence de la République, en 1981, ce fut logiquement que Robert Badinter devint ministre de la Justice. Garde des Sceaux, il mena les débats sur l’abolition avec son éloquence grave, la force de ses principes, lors d’un discours historique où passaient les accents de Victor Hugo, de Clemenceau, de Blum.  Enfin fut votée la loi du 9 octobre 1981 qui abolit la peine de mort en France. Robert Badinter pesa ensuite de tout son poids pour que cette mesure devienne irréversible, ce qu’il obtint quatre ans plus tard lorsque l’Assemblée nationale ratifia le sixième protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme. Ministre, Robert Badinter engagea sur tous les fronts le combat pour la promesse républicaine, avec une action en faveur de l’égalité de droits des personnes homosexuelles, l’amélioration des droits des victimes et des détenus, ou encore en faveur de la suppression de la Cour de sûreté de l’État et des tribunaux permanents des forces armées.

Nommé en 1986 président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter incarna l’institution pendant neuf ans avec son indépendance d’esprit, sa force de caractère, son intransigeance républicaine. Il renoua ensuite avec l’engagement politique, en devenant sénateur socialiste des Hauts-de-Seine pendant plus de 16 ans. Il participa à la réforme du Code du travail, fort de son expertise exposée dans Le Travail et la Loi. Son engagement en France et ses qualités exceptionnelles de juriste le conduisirent enfin à exercer des responsabilités à l’échelle européenne : participant à la Commission d’arbitrage de la Conférence de paix sur la Yougoslavie, il était aussi président de la Cour européenne de conciliation et d’arbitrage.

Robert Badinter était un érudit, et rien des affaires du monde ni l’humaine condition ne lui était indifférent, de l’opéra aux conflits internationaux, de la laïcité à la littérature, de l’Europe au judaïsme, de la mémoire à l’avenir. Il vécut, comme il combattit, dans les prétoires, dans ses essais, devant les Français : en homme des Lumières, en humaniste, en enfant de la Révolution, en citoyen de la Nation dont les mots et les idées furent forgées par Condorcet, Victor Hugo, Emile Zola. Avocat flamboyant devenu sage de la République.

Le Président de la République et son épouse s’inclinent devant la mémoire d’un homme qui après avoir vécu la tragédie du siècle, en aura incarné la plus belle part d’espérance. Ils adressent à son épouse, Elisabeth, à ses enfants, à ses proches, à tous ceux qui portent le chagrin d’un modèle de liberté et de courage, leurs condoléances émues.

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