Notre pays et l’Europe ont perdu en Alfred Grosser, qui s’est éteint à l’âge de 99 ans, un historien, politologue, et analyste majeur du monde contemporain, qui fut sa vie durant un trait d’union entre les sociétés française et allemande.
Son inlassable engagement pour le rapprochement de nos deux pays tirait ses racines de sa propre histoire, qui s’écrivit à travers les frontières : né à Francfort-sur-le-Main en 1925, il avait dû s’exiler en France avec sa famille à l’âge de huit ans, pour échapper aux persécutions antisémites. À ce premier arrachement s’ajouta la douleur de perdre son père et sa sœur, en 1934 puis en 1941. Dans le soutien de sa mère, et dans son amour de la France, Alfred Grosser trouva une double raison de continuer son chemin, embrassant la culture française sans jamais oublier ses origines.
Ce chemin fut jalonné par l’agrégation d’allemand en 1947, étape initiatique pour ce bilingue désireux d’apprendre autant que de transmettre, puis en 1951 par sa fonction de premier assistant d’Edmond Vermeil, germaniste influent de l’université française. Cependant, sa passion de l’histoire politique l’emporta sur son goût de la germanistique, et sur sa thèse, restée inachevée.
L’acuité de son regard sur le monde contemporain fut confirmée par le succès critique de son premier ouvrage, L’Allemagne de l’Occident, publié en 1953. Sur les vestiges de la Seconde Guerre mondiale, il aida nos deux peuples à relever la tête, et à regarder vers l’avenir, main dans la main, dissipant les idées reçues, luttant contre la conflictualisation identitaire de l’histoire et les malentendus culturels.
Plus encore qu’un historien, il fut un penseur, esprit brillant qui signait des articles dans le journal Combat, des chroniques politiques au Monde puis dans La Croix ou Ouest-France, sachant parler à chacun, quelles que soient sa génération et ses opinions. Trente-six promotions d’élèves de Sciences Po furent marquées par ses conférences d’actualité mémorables du jeudi soir, et par ses cours qui nourrissaient ses nombreuses publications, tant sur la quatrième République que sur le nazisme, la morale politique et la mémoire. Des universités américaines à celles de Tokyo et de Singapour, il enseignait une méthodologie qui entrecroisait les disciplines et les savoirs pour mieux déchiffrer le monde.
Pratiquant une diplomatie des savoirs, Alfred Grosser fut un médiateur éclairé, œuvrant aussi bien au dialogue entre les citoyens qu’entre leurs visions de l’histoire et entre la France et l’Allemagne, ne cessant de développer les échanges culturels et universitaires, et d’expliquer à la France le fonctionnement intime de leur grand voisin. Quand le mur de Berlin tomba, c’est lui qu’Antenne 2 vint chercher au beau milieu d’un cours d’histoire pour commenter en direct les évènements, parce que nul mieux que lui, avec son alliage d’érudition et d’émotion, sa bienveillance alerte, ne pouvait nous rendre sensible, par-dessus le Rhin, l’histoire en marche.
Le président de la République regrette la disparition de cette figure de la réconciliation qui s’attela, sa vie durant, à lire le XXe siècle avec le recul que donne l’histoire et l’optimisme que permet la foi en l’avenir. Il adresse à sa famille, ses proches, ses élèves, ses lecteurs, ses condoléances émues.
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