Fait partie du dossier : Visite d'État en Suisse.

Le Président Emmanuel Macron s'est rendu en Suisse pour une visite d’État les 15 et 16 novembre 2023, à l’invitation du Conseil fédéral suisse. La deuxième étape de cette visite s'est effectuée à Lausanne.

Après s'être rendu à la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, lieu de conservation de documents relatifs aux origines et aux développements de la construction européenne, le Président de la République a échangé avec des étudiants depuis l’Université de Lausanne.

Le chef de l'État s'est notamment exprimé sur la souveraineté et sur l'avenir énergétique de l'Europe, deux sujets pleinement liés. 

Revoir les échanges :

16 novembre 2023 - Seul le prononcé fait foi

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ÉCHANGES DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE AVEC LES ÉTUDIANTS DE L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE.

Merci beaucoup, Monsieur le Président, cher Alain, 
Mesdames et Messieurs les ministres, 
Monsieur le Recteur, 
Madame la Présidente, 
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités, chers professeurs, chers étudiants. 

Alors, votre Président, à l'instant, vient de démontrer admirablement que la Suisse était inséparable de l'Europe géographiquement, historiquement, philosophiquement, et donc, je ne reviendrai pas sur ces liens, sur les discussions en cours, sur les associations, je l'espère, à venir et sur tout ce qui nous permettra de continuer de faire route commune, tant je suis convaincu, ici, qu'en effet, la Suisse et l'Union européenne ont mutuellement, énormément à s’apporter. Mais on m'a demandé de parler d'Europe. 

C'est un caractère un peu étrange dans le moment que nous vivons mais néanmoins indispensable. Étrange, parce que l'Europe - et il y a un peu plus de 5 ans, je parlais devant d'autres étudiants d'une autre université à la Sorbonne - j'essayais de dire quelle était ma vision de l'Europe et ce sur quoi nous avons ensuite travaillé. J'avais coutume de rappeler, ce qui est, je crois, historiquement vrai. L'Union européenne est un projet de paix, de prospérité, qui fait que notre continent ne connaît plus la guerre depuis sept décennies, ce qui n'était jamais arrivé dans notre Histoire. Parce que l'Europe est le continent des guerres civiles. C'est l'histoire des millénaires précédents. Et l'Union européenne est une construction unique qui a mis fin à des histoires d'hégémonie et de guerres civiles pour bâtir un équilibre de paix et de stabilité entre les différents pays. En nous mettant ensemble, c'est l'intuition géniale de MONNET et SCHUMAN, ce par quoi nous nous faisions la guerre : le charbon et l'acier. Puis, progressivement, mettant en place un marché unique sur le socle de valeurs communes. Or, au moment où je vous parle, les fondements mêmes de notre Europe n'ont jamais, sans doute, été aussi bousculés.
La guerre revient sur notre sol. C'est la guerre d'agression russe lancée contre l'Ukraine, début de l'année 2022, mais elle avait au fond commencé dès 2014. La guerre revient partout à nos portes et je pense évidemment à l'attaque terroriste contre Israël et maintenant aux bombardements sur Gaza. Les principes et le fonctionnement même de nos démocraties sont bousculés par les usages nouveaux, les innovations technologiques, la montée de la désinformation et de l'usage des réseaux sociaux, et maintenant l'intelligence artificielle, les fondements mêmes de la confiance démocratique, la force de l'opinion publique, ce par quoi on s'informe, on échange les idées, et sont en train d'être bousculés. Les peurs reviennent et transforment notre modèle de prospérité. 

Nous devons continuer de bâtir une économie forte qui permet d'avoir des modèles sociaux exigeants et de répondre aux défis immenses de la biodiversité et du changement climatique. Et donc, vous le voyez, les défis sont là et font que notre Europe est, au fond, au milieu d'une multi-crise qui attaque ses fondements mêmes et ce qui avait jusqu'alors fait sa force, et qu'au fond, la paix est menacée en Europe. La prospérité est bousculée par ces changements et l'esprit démocratique est aussi profondément bousculé. On le voit par la montée des extrêmes, par la fascination parfois pour l'autoritarisme qui parcourt et traverse tout notre continent. 

Alors, dans ce contexte, pourquoi je pense que l'Europe est un projet plus encore essentiel ? D'abord, parce que répondre aux défis contemporains en reproduisant les erreurs d'hier serait absolument terrible. Pensez que face à tous les défis que j'ai - Et je ne voulais pas être trop long dans le constat - la réponse qui serait de revenir au nationalisme, aux conflits entre les uns et les autres, et d’abandonner ce qui nous a porté serait une catastrophe. La question c’est quelle ambition nouvelle et quels sont les défis nouveaux pour répondre à tout ce que j’ai évoqué là ? Je vais le faire en environ dix minutes pour qu’on ait surtout le temps pour les questions-réponses, et je pourrai détailler mon propos à travers vos interrogations. 

Je voulais insister, moi, sur deux choses, trois choses – mais je vais tenir en dix minutes quand même : l’unité, la souveraineté, la démocratie. Et ce faisant, je poursuis le fil des propos que j’avais tenus à la Sorbonne. Dans le contexte que j'évoque, l’Europe a besoin de plus d'unité. Et c'est pourquoi, le président BERSET l'a dit tout à l'heure, j'ai proposé en mai 2022 qu'on mette en place cette Communauté politique européenne. Notre défi, c'est qu'on a l'Union européenne. Et si vous regardez une carte, cette Union européenne a perdu les Britanniques avec le Brexit, et puis elle a plein de trous. La Suisse en fait partie, on a les Balkans occidentaux, et puis on a d'autres pays, plus au nord, qui ne sont pas forcément européens mais qui ont des liens essentiels. Je pense à nos amis norvégiens et à plusieurs autres. Et puis on a maintenant l'est de l'Europe, bousculé par la guerre. L'Ukraine, la Moldavie, sous forte pression, qui sont aussi à nos portes. Et donc si on veut que l'Europe réponde aux défis que j'évoquais, elle a besoin d'être plus unie. Et donc, cette unité suppose d'abord qu'on prenne conscience de cela et qu'on ait de l'audace institutionnelle et politique pour inventer de nouvelles formes. 

Si on veut répondre aux défis climatiques, au sujet des migrations, à la question énergétique, à la question de notre défense et de notre sécurité, nous ne pouvons pas rester comme nous sommes. On ne peut pas le faire si on n'a pas avec nous, par exemple, les Balkans occidentaux et les Britanniques. C'est une route migratoire, elle est unique. On ne peut pas parler énergie si on ne le fait qu’entre membres de l'Union européenne. On a plein de connexions énergétiques avec la Suisse. On en a énormément - également - avec les Balkans occidentaux. On ne peut pas parler de notre défense si on n'intègre pas la question ukrainienne, la Moldavie également, qui est l'objet de cyberattaques ; l'Europe du Nord, y compris lorsqu'elle est hors de l'Union européenne. 
Et donc, nous avons plus encore, qu'avant le retour de la guerre sur notre sol, un besoin d'unité face à tous ces grands défis. Cette unité, on doit la tresser à travers des projets concrets. 

C'est par exemple ce qu'on a su faire ces derniers jours sur la cryosphère. C'est un défi immense. Nos scientifiques l'ont instruit et on l’aborde en européens. On a signé ensemble hier un accord important de recherche et d'investissement, et on va le faire avec nos grands partenaires sur la cryosphère, qui étaient à mes côtés l’autre jour : la Suisse, la Norvège, Monaco. Quelle meilleure démonstration que l'Europe ? Ça ne s'arrête pas à l'Union européenne. On a besoin de cette unité qui va passer par plusieurs leviers. 
D'abord, au fond, une Europe politique et de projet, c'est la communauté politique européenne. Elle doit être agile, ambitieuse, mais répondre à peu près à tous les défis que j'évoquais tout à l'heure. 
Deuxièmement, une Union européenne qui s'élargit. Et il est clair que cette perspective qui est donnée, souhait d'intégrer l'Union européenne de plusieurs pays, nous devons le considérer. Ça suppose que l'Union européenne se réforme, parce qu'elle ne peut pas fonctionner à 30, 35, peut-être même plus, comme elle le fait aujourd'hui à 27, mais l'élargissement est un élément stratégique de cette unité. Sinon, on laissera en notre sein d'autres puissances venir nous affaiblir, pousser leur agenda, et on le voit dans les Balkans occidentaux, où la Russie tantôt, la Turquie d'autrefois, la Chine aussi de plus en plus, viennent pousser leurs intérêts et nous diviser, et se faisant menacer notre propre sécurité, parfois nos propres intérêts, à coup sûr. 
Et puis, ça passe par des accords d'associations ambitieux, qui là aussi, se font touche par touche. Donc, vous l'avez compris, pour moi, face à tous les risques d'écartèlement, de retour au nationalisme, l'Europe est la réponse aux défis qui sont les nôtres. Et pour cela, il faut bâtir des nouvelles formes d'unité.

Le deuxième élément sur lequel je voulais insister, c'est la souveraineté. Alors, la souveraineté, ça a pu surprendre quand j'en ai parlé pour la première fois pour l'Europe, parce qu'on attache ça, et on a raison, à la souveraineté populaire, qui existe au niveau des Etats-nations. Néanmoins, nous avons progressivement bâti - il est encore imparfait - un démos européen. Un Parlement européen qui existe depuis 1979, on a réussi à mettre en place des débats. Je souhaiterais qu'on puisse aller plus loin. J'ai défendu l'idée de listes qui soient justement les mêmes à travers tous les pays de l'Union européenne. Je pense qu'on a besoin de faire beaucoup plus pour qu'une opinion publique européenne se forge ; même si j'ai le sentiment que ces dernières années, grâce à nos jeunesses d'ailleurs, elle se forge de plus en plus. Mais je crois très profondément qu'il y a une souveraineté européenne. Elle est imparfaite, elle est incomplète, et c'est tout le chemin institutionnel qui nous reste à conduire, mais elle est là. 

Au fond, cette souveraineté, c'est quoi ? C'est l'idée de dire, nous, Européens, nous voulons décider pour nous-mêmes de ce qui est important pour nous. C'est la base de ce que l’on a appelé “autonomie stratégique” dans certaines discussions ou “indépendance” dans d'autres. Ça n'est pas le repli de l'Europe sur elle-même. Ce n’est pas l'autarcie, l'indépendance, mais c'est l'idée de dire qu'on ne peut pas parler d'Europe et relever tous ces défis si progressivement. 

Parfois, même sans nous en apercevoir, nous laissons l'Europe dépendre d'autres puissances et ne plus pouvoir décider pour elle-même. Et je pense que c'est là l'une des plus grandes responsabilités de ma génération à l'égard de la vôtre. C'est cette indépendance, cette souveraineté européenne. Parce que si on regarde les choses en prenant deux pas de recul, géographiquement et à travers le temps, la grande menace qui pèse sur les Européens, c'est d'être un continent qui apprend et innove moins que les Américains et les Chinois, qui construit moins de technologies, qui construit moins les instruments de défense pour lui-même, qui construit moins les réponses à la transition climatique, et qui donc, de proche en proche, a des dépendances si importantes qu'il ne peut plus totalement décider de son avenir. 

Une fois que j'ai dit ça, notre histoire, et je crois encore en notre présence, c'est que nous sommes une grande puissance scientifique, culturelle, d'innovation, économique. Mais, quand on regarde les chiffres, on investit aujourd'hui sur l'intelligence artificielle beaucoup moins que les Américains et que les Chinois. On a pris l'habitude, ces dernières décennies, d'acheter beaucoup d'équipements américains et de dire : la défense, on va vivre sous leurs ombrelles. On a pris, ces derniers temps, l'habitude de dire : on peut dépendre de la Chine, même quand il s'agit des masques. On a vu ce que ça voulait dire en temps de pandémie. Et ces dernières années, on a redécouvert le coût des dépendances. 
Rappelez-vous, quand le monde s'est fermé avec le Covid, on s'est aperçu que quand on dépendait de certaines choses qui nous paraissaient totalement banales, on était bien malins, nous, dirigeants, à dire : mettez des masques, faites ceci, faites cela, quand on n'en avait plus. 

On a reconnu ce coût de la dépendance énergétique avec le début de la guerre en Ukraine. Lorsque l'Europe s'est aperçue qu'elle dépendait massivement - ce n'est pas tellement le cas de la France mais je parle en tant qu'Européens - massivement du gaz russe. Ce qui veut dire que nous devons avoir, nous Européens, une vraie stratégie d'autonomie, d'indépendance, de souveraineté. Ce qui veut dire que nous devons assumer d'investir massivement dans le savoir, la formation des esprits, nos universités, nos chercheurs, nos artistes, parce qu'il en est de la science, comme des arts, qu'elles forment les esprits, qu'elles forgent à la fois ce qui fait l'indépendance d'un pays et de ses opinions publiques. Et de l'intelligence artificielle au quantique, jusqu'à la capacité à former des esprits qui vont écrire des scénarios, des films, à avoir des acteurs, du metaverse ou de la création artistique est absolument essentielle à notre indépendance intellectuelle et culturelle. 

Nous devons, nous, Européens, investir massivement dans notre indépendance technologique. On ne peut pas dépendre des composantes technologiques chinoises. On ne peut pas dépendre des réponses en matière d'intelligence artificielle qui seraient totalement américaines. On ne peut pas dépendre des solutions en matière de cleantech, comme on dit en bon français, et donc, d’industrie verte qui serait ou chinoise ou américaine quand je vois la force qui est mise par les investissements, les subventions d’Etat, de part et d’autre. Nous devons avoir nos solutions européennes. Et nous devons aussi le faire pour notre propre défense : avoir nos équipements, nos industries, nos capacités militaires pour nous protéger. Cet axe est absolument essentiel, sans quoi nous aurons d’ici 10, 20 ou 30 ans peut-être de formidables débats entre Européens ; mais si nous avons perdu la souveraineté scientifique, technologique, industrielle ou militaire, vous aurez devant vous des dirigeants qui ne sont pas totalement maîtres chez eux et vous deviendrez des dirigeants qui seront peut-être des commentateurs du monde, mais qui n’en seront plus les décideurs. C’est un axe décisif qui suppose des investissements massifs. 

L'Europe a pris, plutôt, les bons choix stratégiques, mais elle doit investir beaucoup plus pour le faire. On pourra y revenir, je l'espère, si on parle de climat et de biodiversité où nous sommes sans doute le continent qui est le plus ambitieux, mais où nous investissons insuffisamment pour bâtir cette souveraineté des industries vertes. 

Et le dernier point, c'est la démocratie. L'Europe est le continent où nous avons inventé et nous avons, si je puis dire à cet égard, une responsabilité - sans faire de jaloux-, il ne serait pas totalement faux de dire que l'esprit des Lumières est une coproduction franco-suisse. Vous avez accueilli Voltaire et il paraît que Rousseau avait des liens. Et donc, à ce titre, nous avons une responsabilité énorme. Et je crois que nous avons aujourd'hui en particulier à refonder le rapport entre l'information, la formation de l'opinion publique et la démocratie à l'heure des réseaux sociaux et de l'intelligence artificielle. C'est un débat qui est technologique, mais c'est aussi un débat éthique et démocratique. Il y a quelques semaines en France, nous avons lancé les Etats généraux de l'information avec justement à la fois des scientifiques, des philosophes, des sciences dures, des sciences humaines, comme vos universités d’ailleurs en permettent le dialogue. Et on va associer toute la nation à ce débat. C'est un débat profondément européen. 

Mais je le dis parce qu’on voit revenir et on le voit partout dans nos démocraties, la propagande de puissances autoritaires, les faux comptes qui poussent des fausses informations, l'intelligence artificielle qui est capable, aujourd'hui, de créer des contenus totalement faux, dont la réalité est très difficile à vérifier. Et des modèles mêmes dans lesquels nous allons échanger, d'intelligence artificielle, qu'elle soit liée aux industries ou qu'elle soit générative et qu'elle soit utilisée par des citoyens, ont des biais de formation énorme, qui peut complètement changer la manière dont on voit le monde. Parce que si on a des modèles d'intelligence artificielle qui sont totalement fondés sur des modèles anglo-saxons, c'est un immense biais. Si on a des plateformes, les réseaux sociaux, qui sont formés sur des algorithmes qui sont déloyaux, sur lesquels on n'a pas une vraie visibilité, qui ne peuvent pas faire l'objet d'un dialogue éthique, démocratique, on peut avoir d'énormes biais. Et même avec les meilleurs systèmes démocratiques du monde, les plus anciens, les plus solides, la démocratie n'existe et ne fonctionne bien que si les esprits sont bien formés et que si le débat démocratique est bien préparé. Ça peut être un instrument de destruction massive. 

Notre Europe a une responsabilité pour le refonder, c'est-à-dire le réguler, c'est-à-dire le penser, permettre d'innover, de créer sur notre continent, mais aussi d'en redonner les termes pour qu'il corresponde à nos valeurs profondes, notre philosophie. C’est ce qui a été au cœur de l'Europe pour bâtir la démocratie et la paix. 

J'avais pris un engagement de ne pas être trop long, je vais donc m'arrêter là. Mais compte tenu des multi-crises que nous vivons, de tous ces défis, vous l'avez compris, je pense que l'Europe est la meilleure échelle pour les relever. Et je pense que l'Europe, quelles qu'en soient les formes institutionnelles, a besoin aujourd'hui d'unités, d'indépendance et donc d'ambition d'investissements, et de retrouver une vitalité démocratique, en particulier compte tenu de ces innovations technologiques qui viennent la bousculer. Je vous remercie et maintenant, je vais répondre et échanger avec vous.
 
Animateur
Si la Suisse entrait dans Horizon Europe, ça serait super en fait, non ? 

Emmanuel MACRON
Les ministres en discutent, et nous, on est très pour. Non, mais je pense qu'honnêtement, et ça, je suis très respectueux du débat, des échanges et du rythme qu'il doit y avoir, il ne faut mettre aucune pression. Je le disais hier, de fait, la Suisse est déjà européenne. On a 11 000 étudiants français qui viennent étudier en Suisse. Donc, c'est déjà énorme, le lien. On a beaucoup d'universités, pas seulement ici, qui sont liées. Nos centres de recherche, on a d'immenses chercheurs qui ont un pied des deux côtés. Et donc, nous, notre souhait, c'est qu'on puisse, en effet, continuer à agréger tout ça, donc, ce serait super. 

Animateur
Sondage : L’Europe a-t-elle la puissance pour jouer un rôle prépondérant dans la résolution des crises mondiales ? On voit qu’il y a une grosse confiance dans l’Union européenne dans la salle. Ça m’intéresserait évidemment, ça nous intéresserait Président MACRON, Président BERSET d’avoir vos commentaires là-dessus. 


Emmanuel MACRON
Je suis parfaitement d'accord avec ce qu'a dit le Président. Je voudrais juste ajouter que pour ça, on a besoin d'unité. Parce que, oui, et je salue la confiance qu'il y a derrière ce sondage, mais notre défi, c'est d'avoir une réponse unie avec la même puissance de feu, parce que la grande difficulté, c'est que quand les États-Unis ou la Chine parlent, c'est des gros marchés domestiques, si je puis dire, et des grosses puissances unies par définition. Et donc, nous, il faut qu'on parle d'une même voie. C'est ça qui rend l'Europe audible dans ce monde. Quand on parle changement climatique, quand on parle géopolitique, il faut qu'on soit unis.

Le deuxième défi, à mes yeux, pour qu'on pèse vraiment face aux crises, c'est qu'on ait vraiment une ligne européenne. Et on le voit bien depuis, je trouve, la crise Covid, le grand risque des Européens, c'est d'être poussés vers l'ouest ou vers le nord, dans les débats géopolitiques du moment. Nous avons ces valeurs. On a des alliés. Nos alliés sont beaucoup à l'ouest et au nord, mais ce serait une énorme erreur de dire que, par exemple, les démocraties n'existent qu'au nord ou à l'ouest. C'est faux. Ce serait une énorme erreur de penser que notre agenda, il est limité à l'Europe ou à l'Axe transatlantique. C'est faux. Nous devons, nous aussi, être les garants d'un multilatéralisme efficace et équilibré qui sait parler avec les grands émergents, avec les pays du Sud, avec tous les continents. 

Animateur
Merci. Nous allons passer à deux questions maintenant qui ont été collectées par Internet, par le réseau numérique, ici. Des gens dans la salle ont posé les questions et on a fait une sélection de deux questions sur la question de l'Europe face aux crises mondiales. Donc, je vous propose de les afficher. Donc, est-il possible de réformer l'Europe afin de la rendre moins opaque et plus représentative ? On a vu, en discutant notamment avec les représentants d'étudiants tout à l'heure, il y a une vraie question : quels sont les outils, quelle est la question de la représentativité ? Vous en avez parlé, bien sûr, Président MACRON, dans votre discours. Comment faire mieux, tout simplement, pour en faire une démocratie plus agile ? 

Emmanuel MACRON
Sur ce point. D'abord, on a un Parlement européen qui est très vivant, très vibrant et qui vit, qui agit, qui avance. Quelles sont les difficultés, les limites qu'on a aujourd'hui ? C'est qu'au fond, beaucoup de sujets sont dans la main de l'exécutif et de la Commission. Elle fait l’objet d’un contrôle par le Parlement européen, mais il n’est pas exactement aussi fort qu’il ne l’est dans nos Etats, dans les démocraties. Et donc, c’est pour ça que je disais qu’on a un système démocratique européen qui s’est beaucoup amélioré ces derniers temps. On a un système de transparence qui s’est beaucoup amélioré, et il faut reconnaître toutes les avancées qui ont été faites, le travail qui a été fait par la Commission européenne, par le Parlement européen. Mais c’est incomplet, pour plusieurs raisons. 

D’abord, à mes yeux, on n’a pas de vraies élections européennes. On a des élections européennes au même moment dans chaque pays, mais avec des listes nationales et où les débats restent quand même très nationaux. Si on veut vraiment aller au bout, pour les élections européennes, on devrait avoir une liste pour l’Europe, et on devrait avoir vraiment un débat européen, le même dans les pays. Donc ça, c’est un sujet sur lequel, moi, je pousse beaucoup pour qu’on avance. Ensuite, il y a la question de l’ancrage des parlementaires européens, qui est un débat qui revient toujours, pour permettre justement aussi un retour sur le territoire, et ça fait partie de cette réforme sur laquelle il faut qu'on engage avec les collègues. Mais moi, je suis en tout cas très demandeur qu'on ait cette réforme pour la question de la représentativité. 

Ensuite, je pense qu'il faut qu'on ait plus, sur ce qui est des compétences communautaires. Parce que vous savez que vous avez les compétences communautaires, qui sont détenues par la Commission. Là, je pense qu'il faut qu'on renforce le contrôle démocratique, la transparence démocratique et le dialogue avec le Parlement. C'est ça qui permettra de répondre à votre question. Et à côté de ça, il faut assumer qu'on ait toute une série de sujets qui restent de l'intergouvernemental. Moi, je défends aussi cet équilibre, c'est-à-dire qu'il y a des matières, qu'on n'a pas transférées à une instance communautaire, mais qui relèvent d'un débat entre les chefs d'Etat et de gouvernement. Là, c'est démocratique parce que chacun doit rendre compte à son peuple et chacun a une légitimité démocratique dans son pays. Et ça, il faut bien reclarifier la ligne de partage entre ce qui est le communautaire et ce qui est l'intergouvernemental. Voilà quelques-uns des points, à mes yeux, clés.

Intervenant 
Quelle est la position de vos pays dans le conflit israélo-palestinien ? Le conflit est désastreux et nous avons beaucoup de mal à comprendre vos positionnements 


Emmanuel MACRON
Sur le sujet, il y a eu une position européenne qui a été prise lors du dernier Conseil européen, qui est assez claire et qui est une position d'unité, mais il y a beaucoup de différences sur ce sujet entre les pays. Parce que nous avons des histoires et des traditions démocratiques qui sont différentes sur la région et parce qu'on a un rapport au conflit israélo-palestinien et à la guerre qui est en cours, qui est très différent. Les réactions, d'ailleurs, on le voit bien, dans tous nos pays, montrent que c'est un sujet de politique internationale, mais c'est un sujet domestique, au même moment. Parce que ce sujet est aussi la matrice de quelque chose de beaucoup plus profond, historiquement, culturellement. 

Alors, quelle est la position de la France depuis le premier jour ? Je vais essayer de le dire de la manière la plus simple et séquencée, et puis vous me direz si ce n'est pas clair. 

Premièrement, le 7 octobre, il s'est passé quelque chose de terrible qui est l'attaque la plus massive, la plus ignoble contre Israël et son peuple qui a été lancée par le Hamas, groupe terroriste, et qui a tué plus de 1 200 personnes, des bébés, des femmes, des personnes âgées dans des conditions abominables. Nous avons condamné évidemment avec la plus grande fermeté cette attaque terroriste, apporté notre soutien à Israël et réaffirmé — parce que c'est la politique de la France depuis toujours — le droit d'Israël à se défendre et l'importance de sa sécurité dans la région. 
C'est le fruit de l'histoire et c'est la nécessité de défendre le droit de ce peuple à vivre en sécurité dans une région qui lui est aussi hostile. C'est absolument indispensable. Il n’y aura pas de paix s'il n'y a pas d'Israël en sécurité et de peuple juif qui vit en sécurité dans cette région.
À la même minute, j'ai dit, parce qu'Israël est une démocratie, ce droit à se défendre, à se protéger, il s'inscrit comme d'ailleurs pour nous tous – nous avons été, nous aussi, malheureusement, touchés par le terrorisme –  il doit toujours respecter le droit de la guerre, le droit international humanitaire et les textes que nous avons signés. 

Ça veut dire que la manière de se défendre, de se protéger ne peut pas être la guerre totale, sans règles. Ça veut dire oui pour aller chercher et s'attaquer aux terroristes, mais non pour toucher les populations civiles. 
C'est pourquoi, et là, il n'y a pas une position unie pour être honnête au niveau européen, vous l'avez vu, et je suis transparent avec vous, la France, très tôt, a fait des résolutions avec, par exemple, le Brésil, avec ensuite la Jordanie, qui est une proposition qui ensuite a porté, ce que j'ai moi-même porté la semaine dernière à la conférence humanitaire pour Gaza, qui était la première que nous avons organisée, qui est de demander une trêve immédiate conduisant à un cessez-le-feu humanitaire. 

J'assume totalement cette position, parce que je pense qu'elle est cohérente : reconnaître le droit d'Israël à se défendre ne justifie pas de bombarder des civils et d'avoir des enfants, des familles qui sont tués sous ces bombardements. C'est notre devoir en tant que chefs d'État et de gouvernement, je le crois, compte tenu de nos valeurs, de dire qu'il n'y a pas de double standard et que nous ne pouvons pas rester indifférents face à la peine et aux atrocités que vivent à Gaza toutes ces familles et les familles palestiniennes. 
C'est pourquoi nous condamnons très clairement ces bombardements qui sont faits contre les civils ou contre les infrastructures civiles ou les hôpitaux, que nous demandons cette trêve humanitaire immédiate conduisant à un cessez-le-feu, parce que je considère qu'elle est compatible avec le droit à se défendre, mais que c'est le pilier humanitaire que nous protégeons. 

Et puis, le dernier point, je l'ai aussi redit dès le début, c'est que nous appelons à une reprise immédiate du dialogue politique pour permettre au peuple palestinien d'avoir un Etat, parce que c'est une cause légitime. 
La France n'a jamais changé de politique ces dernières années, y compris quand il y a eu des revirements, que certains autres ont abandonné littéralement la cause palestinienne, sont allés reconnaître Jérusalem pour capitale unique d'Israël. Nous avons toujours refusé ces changements. J'ai continué à recevoir le président de l'autorité palestinienne. Et si on veut être cohérents et dire : le Hamas, c'est une attaque terroriste, il ne représente pas le peuple palestinien, ce qui est vrai, alors on ne peut pas avoir une réponse qui n'est que sécuritaire sur la question palestinienne. On doit avoir une réponse qui est politique. 
Nous devons reprendre ce dialogue avec les autorités politiques légitimes du peuple palestinien, avec l'ensemble des pays de la région, avec les autorités du peuple israélien, et conduire à une solution.
Je ne veux pas ici en préempter les formes. Certains se remettent à avoir des idées, disent : il faut une solution confédérale, certains disent : c'est les deux États. On a d'ailleurs des textes internationaux qui ont été signés et qui n'ont pas été respectés qui allaient dans ce sens. Mais il faut absolument reprendre ce dialogue. 

Voilà notre position. On est clair sur la condamnation, on est évidemment très ferme sur la lutte contre le terrorisme. On a une bataille essentielle pour l'humanitaire et on veut la reprise du dialogue politique. 

Le tout dernier point qui est le premier dans ce contexte, c'est qu'au moment où je vous parle, nous avons des otages. Il y en a du monde entier, mais nous, Français, nous avons des otages et des binationaux et le préalable à tout ça, et je le dis comme un préalable, parce que ça n'est même pas un sujet de discussion. C’est la libération de l’ensemble des otages, parce que c’est un chantage odieux fait par un groupe terroriste, et ça c’est la priorité des priorités de notre politique dans la région. 


Intervenant 
Vous avez parlé avant des Balkans occidentaux. Est-ce que vous craignez qu'un nouveau conflit éclate là-bas, notamment quand on voit toutes les tensions autour de la Serbie, du Kosovo ou alors de la Bosnie-Herzégovine ? Je vous remercie. 

Emmanuel MACRON
Merci de parler des Balkans occidentaux aujourd'hui parce que c'est un sujet, je pense, essentiel pour notre Europe. Nous sommes inquiets et c'est pour ça qu'on est engagés. Il y a une montée des tensions, en particulier depuis ce qui s'est passé à la fin de l'été au nord du Kosovo. Donc, il y a une très forte montée des tensions entre la Serbie et le Kosovo. Alors, on a proposé en franco-allemands, une feuille de route de capitales. On a revu les dirigeants. Ils étaient tous les deux d'ailleurs à nos côtés à Paris, pour le Forum de Paris sur la paix, et j'ai pu les voir. Je pense que les tensions sont un peu retombées aujourd'hui. La KFOR joue un rôle très important et je remercie la Suisse pour son engagement au sein de cette force de l'OTAN qui maintient, vous le savez, la paix et la stabilité à la frontière. Moi, je pense renforcer d'ailleurs cet engagement pour maintenir, vraiment, la stabilité. 

La solution, là aussi, je dirais là surtout, elle est politique. Et donc là, on a une feuille de route qui consiste au fond à réorganiser les élections dans les municipalités du nord, à avoir une reconnaissance des municipalités serbes par le Kosovo et de permettre d'avoir un chemin politique qui apaise les tensions. Et donc, les prochaines semaines seront clés pour que les dirigeants des deux côtés mettent en œuvre la feuille de route sur laquelle on s'est mis d'accord. Ça reste très fragile. Nous sommes très engagés. Je pense qu'il est possible d'éviter une reprise des tensions qui iraient dans le même sens parce qu'il y a quand même un sentiment de responsabilité, mais ça reste extrêmement fragile. 
En Bosnie-Herzégovine, les 3 présidents étaient là, là aussi à Paris, je les ai vus tous les 3. Je suis également inquiet de la situation parce qu'il y a une remontée là aussi d'une approche, je dirais, ethnique dans ce pays, et c'est son histoire même, les accords de Dayton-Paris, qui avaient constitué la Bosnie-Herzégovine en refusant ça. Et je pense que c'est très important parce que se joue le modèle même européen, c'est-à-dire le fait que le fait politique et la capacité à coexister, quelles que soient les origines, quelles que soient les religions, ensemble, c'est ce qui nous caractérise. 
Les tensions qui sont en train de se rejouer en Bosnie-Herzégovine, qui sont poussées d'ailleurs et entretenues, si on est clair, par la Russie, visent à démanteler ce modèle, à fragiliser ce pays et à ce qu’il se re-décompose en des minorités ethniques qui se sépareraient et n'auraient plus rien à faire ensemble. J'ai très clairement exprimé la vision de la France, ce serait terrible parce que ce serait l'ouverture de la guerre à nouveau dans nos Balkans occidentaux, mais plus largement. 
Ça rejoint ce qu'on disait sur les conflits tels qu'ils se passent partout. C'est le retour, en quelque sorte, du risque ethnico-religieux partout à travers le monde. C'est-à-dire qu'on a des gens qui se disent « on va faire la guerre parce qu'on ne veut plus vivre ensemble. On est différents, on ne vient pas du même peuple, on n'est pas de la même religion, on va décider de prendre l'État à nous tout seul, on va refaire les frontières. ». Regardez ce qui se joue du Proche/Moyen-Orient au Caucase jusqu'au ventre de l'Europe, c'est ça. C'est un recul historique, historique. 

Le modèle auquel nous croyons nous, qui est notre essence même, c'est de dire avec des langues différentes, avec parfois des histoires différentes, des minorités qui peuvent venir de pays différents, on veut vivre ensemble, faire ensemble, bâtir ensemble, parce qu'on crée les formes politiques qui permettent de réduire ces différences sans les effacer. Donc, je suis inquiet dans les deux cas. Je pense malgré tout qu'on n'aura pas une reprise de conflits parce qu'on a un engagement politique très fort, mais il suppose d'être très vigilant. 

Animateur
Merci pour cette réponse. On a des questions ici. 

Intervenant
Bonjour, Monsieur le Président. J'avais une question concernant le climat et l'urgence climatique qui parcourt l'Europe et le monde entier. Vous avez parlé de l'élargissement de l'Union européenne, l'ouverture à d'autres pays, que ce soit la Moldavie ou encore l'Ukraine ou aussi la Bosnie Herzégovine qui ont fait leur candidature. 
Comment est-ce que vous comptez agir concrètement à travers l'Union européenne sur l'urgence climatique, quand même au sein actuellement de l'Union européenne, il y a des divergences parce que chaque pays a ses besoins et prend ses actions un peu de manière nationaliste, sans prendre en compte l'urgence climatique, chacun a des degrés différents, donc comment est-ce que vous comptez agir concrètement au niveau de l'Union européenne sur cette urgence climatique ? 

Emmanuel MACRON
Alors, je vais peut-être plus nuancer, je ne veux pas être trop technique. L'Europe et l'Union européenne est la seule plaque géopolitique qui a pris des engagements aussi forts pour réduire ses émissions à 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce qu'on appelle le “Fit for 55”, notre plan vert justement, ce sont des textes, des règles, des normes qu'on a mis en place en Européens, il n'y a pas d'équivalent, et avec déjà des mécanismes de contrainte qui avancent. Donc, ça, c'est vraiment un acquis de l'Union européenne qui assume et qui a commencé à décliner dans ces textes. Après, chaque pays prend les textes en vigueur et en effet, là où vous avez raison, c'est que les modèles en particulier énergétiques sont nationaux, c'est le fruit de l'histoire. Ce serait quasiment impossible d'avoir là, pour le coup, un modèle européen tout de suite parce que, par exemple, moi, je suis le Président d'un pays qui produit son électricité quasiment aux trois quarts à partir du nucléaire. À côté de moi, j'ai des voisins qui ont décidé de totalement sortir du nucléaire, qui sont, si je prends les Espagnols maintenant, presque, eux, aux trois quarts avec du renouvelable, si je prends les Allemands qui étaient à plus de 50 % avec du gaz, qui maintenant rouvrent des centrales à charbon et montent le renouvelable. Donc on a des modèles qui sont très variés. Mais on a un chemin commun, on s'est mis des contraintes, il y aura, si je puis dire, des pénalités. 

Au fond, le défi qui est le nôtre, c'est que la guerre en Ukraine a beaucoup contrarié la transition parce qu'elle nous a obligés à articuler deux choses : la baisse de nos émissions et la souveraineté énergétique. Et on ne l'avait pas prévu. Donc, qu'est-ce qu'on doit faire ? On doit aller encore plus vite. Alors, il y a des choix qui ont été faits qui vont un peu à l'envers à court terme. Il faut que les autres pays reconvergent maintenant le plus vite possible. 

Nous, on a une politique qui est très claire, qui est de développer 3 axes. La sobriété énergétique, consommer moins, ça, ça vaut pour toute l'Europe. La production nucléaire, parce que c'est une production non-intermittente décarbonée, elle est bonne pour la transition et la souveraineté, parce qu'on la produit sur notre sol. Et produire plus de renouvelable parce que c'est une production décarbonée, mais elle, elle est intermittente.  Il faut les deux. On ne peut pas avoir du 100% nucléaire, cela n’aurait pas de sens. On ne peut pas avoir du 100% renouvelable, ça n’aurait pas de sens parce que sur les réseaux, ça met une énorme pression parce que c’est totalement intermittent. Et maintenant, qu’est-ce qu’on doit faire au niveau européen ? Pousser tous les pays qui sont plus loin à faire cette transition et donc sortir d’abord en totalité du charbon, puis du gaz, pour aller vers un modèle qui est renouvelable, nucléaire et efficacité énergétique. 

On a un énorme effort à faire pour faire de l’interconnexion électrique parce que, en fait, l’Europe peut se décarboner en restant souveraine si elle échange beaucoup mieux, si je puis dire, les électrons décarbonés. Et donc c’est le libre marché des électrons verts qu’il faut organiser. Et donc ça, c’est un énorme travail d’interconnexion. Et c’est exactement ce qu’on doit faire avec les pays de l’élargissement, certains pays d’ailleurs ayant des modèles très différents. L'Ukraine a une histoire nucléaire, elle a encore des centrales nucléaires qu'on essaie de protéger et qui sont menacées. D'autres pays sont beaucoup plus dépendants du gaz, c'est le cas de la Moldavie. Donc là aussi, les modèles sont très différents pour ces pays. Donc c'est converger vers les modèles de production énergétique qui sont bons, faire nos interconnexions, électriques principalement, et les autres, par exemple l'hydrogène vert, et mettre en œuvre la stratégie qu'on a décidée. Parce que les textes sont pris, c'est de la mise en œuvre. Qu'est-ce qui nous manque le plus à mes yeux aujourd'hui ? C'est le niveau d'investissement. C'est-à-dire que le grand risque, c'est que la plupart des technologies qu'on utilise pour faire cette transition soient produites en Chine ou aux États-Unis. Et d'ailleurs, regardez, quand partout en Europe, il y a 15-20 ans, on a déployé massivement des panneaux photovoltaïques, on avait abandonné la filière, on a importé de Chine des panneaux photovoltaïques. C'était une énorme erreur industrielle. Et donc en même temps, nous, il faut réinvestir pour que les solutions technologiques soient pensées dans nos centres de recherche et qu'on produise, qu’il y ait toutes les filières qui permettent de faire cette transition. Parce que c'est ça qui permettra aussi de créer des emplois et de ne pas être dépendant. Et c'est pour ça qu'on doit aller beaucoup plus vite, surtout après l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, qui permet de produire beaucoup là-bas. On doit produire beaucoup chez nous. Voilà la stratégie. 


Intervenant
On a parlé de l’agenda très strict autour du climat et de l’Europe, comment on balance la compétitivité du marché autour de pays comme les Etats Unis et la Chine qui vont être beaucoup moins critiques sur le climat et passer beaucoup moins de lois ? 


Emmanuel MACRON
Pour moi, il y a un triangle qu'il faut réunir, c'est assez simple. La compétitivité de nos industries. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas faire de transition si on ne continue pas à créer de richesses. Et je le dis dans nos pays parce qu'on a un modèle social qui est très généreux, c'est une force, mais si on dit la transition doit créer moins de richesses et sacrifier la compétitivité économique, elle créera des crises énormes. Parce qu'on va dire on ne peut plus financer la santé, on ne peut plus financer l'école, on ne peut plus financer la recherche. Donc, ça doit être compatible avec la compétitivité. 

Deuxième point du triangle, deuxième sommet, la souveraineté. Ma transition, elle doit me permettre d'avoir des sources d'énergie autres que je maîtrise pour éviter de revivre ce qu'on a vécu au début de la guerre en Ukraine. 

Troisième point, elle doit réduire les émissions de CO2 et préserver voire restaurer la biodiversité. Je tiens toujours les deux ensemble, il ne faut jamais oublier la biodiversité avec le sujet des émissions parce que c'est complètement jumeau. Donc, notre stratégie, elle doit tenir ensemble ces 3 objectifs de manière très simple. C'est totalement faisable mais ça suppose beaucoup d'investissements publics et privés pour changer nos modèles de production et décarboner nos modèles. Et donc, c'est ce qu'on est en train de faire. 

Par exemple, partout en Europe, quand on regarde les choses sur notre partie économique, notre industrie, c'est des secteurs comme l'acier, la sidérurgie, la cimenterie qui produisaient beaucoup. Qu'est-ce qu'on fait ? On investit avec les industriels et leurs actionnaires, mais on met beaucoup d'argent public dans les conversions de leurs modèles, soit pour qu'il y ait moins d'émissions, soit pour changer les modes de production électrique, soit pour changer même les modes de fabrication pour décarboner. 

Ensuite, à côté de ça, qu'est-ce qu'on fait ? On dit, on doit mettre en cohérence notre politique et cette décarbonation avec le vaste monde. Et c'est pour ça que je voulais insister sur ce point et vous y sensibiliser. On est tous et toutes des économies ouvertes, on y tient, on fait du commerce avec le monde entier. Mais notre agenda commercial doit être compatible avec l'agenda climatique. Et donc au moment où on fait ça, on demande cet effort à nos industriels, mais j'aurais pu prendre l'exemple de nos agriculteurs et d'autres, on doit demander la même chose à ceux à qui on fait du commerce et c'est comme ça qu'on tient la compétitivité avec le climat. 

C'est pour ça que l'Union Européenne a mis en place un mécanisme d'ajustement carbone à ses frontières pour dire : si je commerce avec un pays qui fait les mêmes efforts que moi sur son industrie, c'est bien, on pourra rentrer avec les mêmes tarifs. Mais s'il ne fait pas les mêmes efforts que moi et qu'il a du CO2 embarqué parce qu'il n'a pas décarboné, il doit y avoir un mécanisme d'ajustement à mes frontières, il y a en quelque sorte un tarif carbone et biodiversité pour un peu le sanctionner pour qu'il rentre. 
Ça c'est intelligent parce qu'à ce moment-là, non seulement nous décarbonons, on préserve défensivement notre compétitivité pour éviter d'être, si je puis dire, bousculé par des produits qui n'auraient pas fait les mêmes efforts et des industriels qui n'auraient pas fait les mêmes efforts, mais parce que l'Union Européenne est un des grands marchés mondiaux. 
On incite les autres grandes économies à faire comme nous pour pouvoir continuer à importer leurs biens, leurs produits sur notre marché. Et c'est aussi pour ça que moi je pousse pour ce qu'on appelle les « clauses miroirs » et pour dire que quand on a des négociations industrielles ou agricoles, on doit s'assurer que les pays font les mêmes efforts que nous avec leur agriculture, avec leur industrie, s'ils veulent commercer avec nous de manière plus favorable. 

C'est un moment de tension. Tout le monde n'est pas d'accord avec moi en Europe. Le mécanisme d'ajustement, on l'a pris. Lui, il se met en place. Sur les clauses miroirs, on a parfois des discussions. Mais c'est comme ça qu'on peut faire les choses, de l'investissement, de l'accélération, ces mécanismes-là. Le risque, vous avez tout à fait raison, c'est que nous, on soit le continent qui régule beaucoup, mais qui n’investisse pas assez ou qui ne soit pas assez cohérent. C'est ça le risque du moment. Donc il faut qu'on y mette beaucoup d'énergie. 

Je voulais juste dire une dernière remarque un peu en marge, mais pour que ce soit aussi clair pour tout le monde. Nous, on a une responsabilité : nous sommes des grands marchés. Donc si on veut réussir la mise en œuvre des Accords de Paris, pour moi, on a deux choses essentielles à faire. Il faut que les grandes économies riches respectent les Accords. Nous, là, maintenant, depuis 2018-2019, on est dans notre trajectoire en France. On respecte les Accords de Paris. On avait été condamné pour inaction climatique sur la période avant 2018. Depuis, on est sur notre trajectoire. Simplement, on doit faire 2,5 fois plus de réductions d’émissions sur les années à venir donc on ne peut pas s’asseoir et se reposer sur nos lauriers. Tous les pays riches doivent faire cette transition : Etats-Unis, Union européenne, Japon, Corée du Sud. 

Le deuxième élément clé si on veut réussir, c’est sortir les émergents du charbon, si je devais être simple, parce qu'il y a plein d'autres choses à faire. Mais la clé, si on veut vraiment réussir, en tout cas d'ici à 2030, c'est de faire en sorte que la Chine atteigne son pic plus vite, que l'Inde, que les grands émergents commencent à baisser leur dépendance au charbon, même en passant au gaz. C'est beaucoup mieux que le charbon. La sortie du charbon chez les émergents, pour que vous reteniez ça, c'est le cœur de la bataille. Parce que s'ils prennent la route de la croissance avec le charbon, c'est énorme parce que ça vient quasiment annihiler, en tout cas sur le court terme, les efforts que, nous, on est en train de faire. C'est pour ça que, diplomatiquement, c'est là-dessus qu'on met le paquet pour essayer de tout faire pour que les grands émergents sortent de la dépendance au charbon. Et on a mis en place ce qu'on appelle ces contrats de transition juste qu'on a commencés à signer avec l'Afrique du Sud, qu'on discute en ce moment avec l'Inde, qu'on a signés avec le Sénégal, qu'on avance avec l'Indonésie, qu'on travaille avec le Brésil, pour les aider à faire ces sorties-là. 


Intervenante non identifiée
Une question sur la crise migratoire, plutôt les réfugiés que l'immigration économique. L'Europe, historiquement, n'a pas été très bienveillante, ni juste, avec les habitants issus de ces pays-là. Est-ce que vous pensez que l'Europe a une responsabilité maintenant, d'aider les personnes qui viennent de ces pays-là et qui voient parfois en Europe le seul moyen de sauver leur vie ? 

Emmanuel MACRON
Alors, je vais vous dire, l'histoire de notre Europe, et de l'Europe en particulier contemporaine, est indissociable de la question des exilés, des apatrides et de l'asile politique. 

L'asile politique, c'est la protection des combattants de la liberté, des femmes et des hommes qui fuient leur pays parce qu'ils sont menacés à raison de leur position, de leur choix, ou parce que leur pays est en guerre. Et c'est ce qui est au cœur, d'ailleurs, de nos textes, même. C'est pour ça que j'ai toujours dit, même si on est bousculé par les phénomènes migratoires, on ne doit jamais perdre de vue ce qui nous a fait.
Pour ce qui est de la France, c'est même dans le préambule de notre Constitution. Ce n'est pas simplement conventionnel, c'est constitutionnel. 

L'Europe, qui n'avait pas fait sa part dans le début du siècle ou avant, et qui était bousculée entre les pays sur ce sujet, l'a fait depuis 45. Depuis une dizaine, quinzaine d'années, parce qu'il y a des guerres qui sont revenues à notre voisinage, la guerre en Syrie, des guerres en Afrique, et parce qu'il y a surtout beaucoup de migrations qui sont venues en parallèle, qui ne sont pas que celles-ci, je vais y revenir, a eu des pressions migratoires inédites ces 10 dernières années, inédites. On n'avait jamais eu autant de gens qui arrivaient. 
Est-ce que l'Europe n'a pas été à la hauteur pour les femmes et les hommes qui fuyaient des pays en guerre ? Je ne serais pas aussi sévère que vous. Je vous le dis en toute sincérité. Parce qu'à chaque fois, on protège et on a des agences nationales qui protègent, qui accueillent. Et quand je regarde par rapport aux autres grandes plaques, on est beaucoup plus généreux, sur ce sujet, que la plupart des autres pays du G20. Enfin, quand je dis pays, des grands ensembles. 

Il n'y a pas de modèle plus généreux sur le sujet de l'asile politique que les Européens. Il faut arrêter de nous flageller. Ce n'est pas vrai. Il n'y en a pas. Et y compris des pays, d'ailleurs, qui donnent des leçons, y compris les grands émergents qui donnent des leçons. Ils refusent généralement l'asile politique chez eux et à des pays voisins. Donc, les Européens, il faut qu'on arrête de se flageller. Ce n'est pas vrai. 

Ce qui m'inquiète aujourd'hui, c'est le fait que des pays sont en train, ou des courants politiques dans certains pays, de dire : la solution pour régler la migration, ce serait de sortir de l'asile politique ou de ces conventions. Terrible erreur. Là où ce que vous dites est vrai, c'est qu'on a tous été sous pression et donc on a des situations humaines, humanitaires dans nos pays, et ça a été vrai aussi en France, qui ont été très dures pour des femmes et des hommes qui fuyaient leur pays et qui étaient donc en situation d'attente de statut. 
Ce qui s'est passé ces 15 dernières années, c'est que se sont aussi constitués des réseaux de migration économique qui, connaissant les règles, sont venus vers l'Europe et sont tous venus s'inscrire à la demande d'asile politique. Et donc aujourd'hui, moi, je vous parle d'un pays qui, depuis ces dernières années, a environ, en moyenne, 80 à 100 000 demandes d'asile par an. Par an. 
Pour beaucoup, quand je regarde les principaux pays — en provenance d'Afghanistan, du Pakistan, on le comprend totalement — mais les principaux pays où il y a ces demandes d'asile, c'est la Côte d'Ivoire, c'est le Sénégal, c'est la Guinée, ce sont des pays où il n'y a pas de guerre et où nous échangeons, nous avons des ambassades, des consulats. 
Donc, vous le voyez bien, qu'est-ce qui se passe ? La demande d'asile politique est aujourd'hui utilisée comme une voie d'arrivée sur nos territoires et, en fait, est une ombrelle à la migration économique. Et c'est ça notre défi. 
Parce que tous nos systèmes sont embolisés, il y a des délais d'attente énormes, on a des femmes et des hommes qui vivent tous et toutes dans une forme de précarité, même si en France, je vous le dis aussi, on soigne et on continuera de soigner, pour être clair, celles et ceux qui demandent l'asile ou qui sont sur notre sol. Parce que c'est un devoir humanitaire et c'est un devoir de solidarité, et c'est aussi un devoir de santé publique. 

Deuxième point, on loge de manière inconditionnelle. Chaque année, on met 2 milliards d'euros en France sur l'hébergement d'urgence, plus de la majorité largement fait pour les personnes qui sont en situation irrégulière sur notre sol ou en demande d'asile ou en demande de statut. Donc, on investit, on continue de le faire, mais notre problème, c'est qu'il y a une confusion des choses. 

Donc qu'est-ce qu'on doit faire si on veut traiter plus humainement ? On doit protéger les femmes et les hommes qui demandent l'asile beaucoup plus vite, qui sont exactement celles et ceux pour lesquels nous avons un devoir moral et politique qu'on ne lâchera pas. Et on doit beaucoup plus vite régler le cas des femmes et des hommes qui relèvent de la migration économique ou autres pour pouvoir savoir s'ils ont vocation à rester sur notre territoire ou s'ils doivent revenir vers leur pays, parce que ça n'est pas un pays en guerre, parce qu'ils sont venus illégalement sur notre sol, etc., etc. 

Je fais cette distinction parce qu'elle est essentielle et parce que le débat public, souvent, fait beaucoup de confusion. Et je veux vous le dire parce que c'est un sujet d'avenir pour notre Europe. L'Europe doit continuer de respecter ce qu'il a constitué en son sein, c'est-à-dire protéger les combattantes et les combattants de la liberté, continuer d'avoir l'asile politique. Mais l'Europe, si nous voulons continuer d'avoir ce modèle humain d'accueil inconditionnel, si nous voulons continuer d'avoir des modèles sociaux très généreux, elle ne peut pas ne pas réguler les migrations économiques et lutter efficacement contre la migration illégale. Et ce serait totalement démagogique de vous dire le contraire, parce qu'à ce moment-là, nos modèles deviendraient totalement insoutenables parce que nos citoyens ne voudront plus continuer à financer un modèle où il suffit de venir illégalement sur notre sol pour pouvoir en bénéficier très rapidement. Et donc, comme toujours, la philosophie humaniste suppose de l'exigence et de l'efficacité dans sa mise en œuvre et de la distinction dans les principes. Voilà ce qu'on continuera de faire. 

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