Le Président Emmanuel Macron s'est rendu en Albanie les 16 et 17 octobre 2023 pour une visite officielle. Il s’agissait de la première visite bilatérale d’un Président français depuis l’indépendance de l’Albanie en 1912.

Cette visite a mis à l’honneur la dynamique très positive des relations entre la France et l’Albanie. Il était question de coopération économique, notamment au service de la transition énergétique, mais aussi de coopération culturelle et éducative, qui est particulièrement dense. 

En présence d’acteurs culturels de nos deux pays, le Président de la République a remis à Ismaïl Kadare, figure centrale de la littérature européenne, les insignes de Grand Officier de la Légion d’honneur. Le Français étant la troisième langue la plus enseignée en Albanie et vecteur important de coopération entre nos deux pays, le Président de la République a également inauguré le nouvel Institut français de Tirana : KubFrance

L'avenir de l'Albanie est pleinement européen

Lors d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre de l'Albanie, Edi Rama, le Président de la République s'est exprimé sur l'avenir de l'Albanie en Europe et plus largement sur l'intérêt de l'élargissement de l'Union européenne pour ses pays membres

Revoir la conférence de presse : 

17 octobre 2023 - Seul le prononcé fait foi

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CONFÉRENCE DE PRESSE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE AUX COTES DU PREMIER MINISTRE EDI RAMA.

Merci beaucoup Monsieur le Premier ministre, cher Edi, 
Mesdames et Messieurs les ministres, 
Mesdames et Messieurs les ambassadrices et ambassadeurs, 
Mesdames et Messieurs. 

Je peux dire que je suis heureux d’être là, sans aucune précaution diplomatique ou langage de référence. Heureux d’être à vos côtés aujourd’hui dans un moment si difficile pour notre Europe qui est soumise à la bascule du monde, au retour de la guerre sur son sol avec ce que vit l’Ukraine depuis d’un an et demi, avec le retour de la guerre dans le Caucase, et le retour malheureusement du terrorisme sur notre sol. Je veux avoir une pensée pour nos amis belges et nos amis suédois puisque, hier Bruxelles a été en effet attaqué et ceux sont deux compatriotes suédois qui ont été touchés par des attaques terroristes. Donc j’ai une pensée toute particulière pour nos amis belges et suédois en ce moment. 

Je disais être à vos côtés aujourd’hui c’est marquer une forme de réengagement de la France dans cette région et dans votre pays, parce que c’était en quelque sorte une aberration profonde que depuis 1912 et l’établissement de nos relations diplomatiques, il n’y avait jamais eu de Président de la République pour venir pas simplement visiter mais cheminer ensemble. Il était temps. Cette visite officielle a donc quelque chose d’une réparation, si je puis m’exprimer ainsi, en tout cas d’un réengagement profond et d’une réinvention de nos relations.

Mais je ne veux pas tellement regarder le passé mais plutôt l’avenir et la délégation qui m’accompagne témoigne de la volonté qui est la nôtre. D’abord, d’assumer ce qui nous nous lie très profondément, qui est l’histoire culturelle, intellectuelle, linguistique. Vous en êtes l’exemple vivant, Monsieur le Premier ministre. Nous l’avons vu hier et j’étais très heureux et très fier de pouvoir remettre l’insigne de Grand officier dans l’ordre de la Légion d’Honneur à Ismail KADARE. Nous avons pu avoir des magnifiques moments de culture avec Angelin PRELJOCAJ et Tedi PAPAVRAMI durant le dîner que vous nous avez offert, avec aussi plusieurs musiciens au premier plan. Tout cela marque, témoigne, traduit de la relation si forte qu'il y a entre nos cultures. L'accord qui a été signé sur le cinéma aujourd'hui est une étape importante pour bâtir un imaginaire franco-albanais et pleinement européen, et œuvrer ensemble. C'est tout le sens aussi du projet KubFrance dans lequel nous nous rendrons - et merci de nous avoir réservé cette place de choix dans la pyramide - et de la Villa 31 portée par la fondation Art Explora, où nous allons aussi nous rendre tout à l'heure, qui est une véritable audace de votre part et une volonté que nous avons d'avancer avec vous. 

Je souhaite que nous puissions continuer ce chemin aussi en investissant encore davantage dans la langue française, en accompagnant mieux encore nos alliances françaises et notre réseau, et nous avancerons de concert pour le lycée français de Korça, comptez sur moi. 

Ce que nous souhaitons faire, c'est aussi défricher des terres nouvelles, en tout cas sur lesquelles nous étions insuffisamment présents. Le ministre est venu il y a quelques semaines avec une importante délégation du MEDEF, et vous l'avez rappelé, nous signons plusieurs accords structurants et nouveaux dans le champ de l'énergie, des renouvelables, du photovoltaïque - Voltalia est une marche en avant. Les infrastructures, le secteur de l'eau, l'agriculture, l'innovation, la logistique et le retail aéroportuaire, on le signera là aussi tout à l'heure, nous permettent de continuer d'avancer, de défricher. Et je souhaite que nous soyons à vos côtés dans l'ambition qui est la vôtre pour le tourisme - et avoir un groupe français de premier plan à cet égard à nos côtés est important aujourd'hui - et que nous puissions non seulement vous aider à ouvrir des établissements de premier plan, mais à former encore davantage, et nous avons longuement évoqué le fait que la France s'engagera à vos côtés pour pouvoir former les jeunes Albanaises et Albanais au métier de l'hôtellerie, de la restauration, mais aussi toutes celles et ceux qui seraient intéressés par les métiers d'avenir dans votre pays. C'est aussi pourquoi nous avons cette volonté d'ouvrir une École 42 pour les métiers du numérique. Donc les formations dans tous ces secteurs sont aussi un chantier sur lequel nous voulons avancer. 

Puis nous l'avons vu à l'instant, avec l'Agence française de développement, nous accompagnerons l'Albanie dans ses réformes économiques, ses transitions énergétiques et environnementales : 210 millions d'euros de financement ont déjà été engagés depuis 2019 pour la mise en œuvre de quatre projets, et plus de 650 millions d'euros supplémentaires seront ainsi engagés d'ici à 2027 pour des réformes, projets nouveaux sur vos priorités. 

Donc on le voit bien, l'agenda bilatéral est en train de se transformer, et notre volonté est en effet de pouvoir préparer dans les semaines à venir un accord de gouvernement à gouvernement qui structurera cette relation et nous permettra d'aller beaucoup plus loin. Et je me félicite aussi de ce que nous avons su bâtir ensemble durant ces dernières années en matière, vous l'avez dit, de coopérations sur les questions de lutte contre la criminalité et tous les trafics - je veux vous remercier vraiment d'avoir été d'une efficacité redoutable en la matière - qui nous ont permis de bâtir pas simplement un accord en 2018, mais de le mettre en œuvre et d'en faire un exemple qui a ensuite été répliqué, bouturé dans plusieurs autres pays européens. 

Nous allons donc continuer d'avancer fort de cette dynamique parce que j'en ai la conviction, vous le savez, votre pays est ancré dans l’Europe, pas simplement dans cette région où on a voulu plusieurs fois vous enfermer, alors que vous y avez votre singularité, celle des Balkans occidentaux, mais aussi dans notre Méditerranée et donc au cœur de notre continent. Donc au-delà de l’agenda bilatéral, être avec vous aujourd’hui c’est aussi acter un moment important de ce temps historique que notre Europe vit. Et elle le vit en quelque sorte ces dernières années comme à tâtons, mais nous rentrons dans une ère nouvelle, celle de la réunification de notre continent. Il y a une vingtaine d’années, plusieurs pays ont rejoint l’Union européenne et vous avez marqué en 2022 une étape importante avec la première conférence intergouvernementale. C’est une étape sur laquelle vous avez beaucoup travaillé, qui a justement marqué ce chemin maintenant inexorable de l’Albanie vers l’Union européenne. Et je veux ici saluer l’agenda de réformes, de transformation, d’ambition que vous portez. Vous l’avez dit vous-même, vous êtes un pays et un peuple qui aimait et voulait l’Europe. Je pense que c’est l’essentiel de ce temps de réunification. 

Cette réunification, ce n’est pas un processus imposé depuis Bruxelles ou d’autres capitales qui viendraient donner des leçons de réforme à des peuples souverains. Si nous nous y prenons ainsi, cela ne vaudra rien et cela construira du ressentiment. Mais nous sommes à un moment où on doit tout à la fois donner à vous-mêmes et à toute la région une visibilité historique : oui, votre avenir est pleinement dans cette Europe. Le respect qu’on doit à un peuple souverain : oui, c’est vous qui choisissez le chemin, qui l’assumez, qui le conduisez ; et oui, nous marquons ce chemin par un investissement politique. C’est ce que nous avons voulu avec la Communauté politique européenne : une réunion entre pairs qui n’est pas une espèce de conférence qu’on fait une fois par an où les États des Balkans occidentaux viennent à Bruxelles comme on va à Canossa, expliquer toutes les réformes qui ont été faites, se faisant donner la leçon par quelques autres parce que c’est terrible ; mais plutôt une réunion entre pairs où de manière respectueuse, nous parlons des questions que nous avons en commun : la défense, les questions migratoires, l’énergie, la géopolitique. 

Je le dis depuis la France, cette réunification européenne est bonne pour nous. Parce que qui peut parler d’Europe puissance si nous laissons au milieu de l'Europe des pays être influencés, bousculés par des puissances qui veulent simplement le démantèlement de l'Europe ? Qui peut parler d'une Europe puissance si nous décidons que nos questions énergétiques, migratoires, de défense ou de technologie suivraient la carte d'une institution politique qui n'est pas terminée ? Il suffit de la regarder. Si l'Europe veut se penser comme puissance, veut avoir un destin géopolitique, elle a besoin de se réunifier. 

Et à ce titre, je le dis ici aussi avec beaucoup d'humilité et d'ambition : ce n'est pas un cadeau qui est fait à l'Albanie, à son peuple, que celui justement du processus qui a commencé ; c'est bon pour vous, c'est bon pour nous. C'est un choix géopolitique et une volonté commune. Parce que vous avez l'intelligence et la volonté de porter justement cette ambition, de mener avec courage les réformes et je ne sous-estime pas ce que cela veut dire dans un pays qui a vécu pendant tant de décennies le joug du totalitarisme et de l'idéologie. Mais il y a ici un amour de la dignité humaine, des principes fondateurs de notre Europe qui en sont le sel même. Donc ce chemin, vous allez le conduire ; et nous, notre devoir, c'est de l'accompagner avec respect, mais avec aussi des preuves d'amour. C'est-à-dire des investissements concrets, c'est-à-dire un engagement et la possibilité de vous donner une place politique pleine. La Communauté politique européenne est une première étape, mais je souhaite que dans les prochains mois, nous Européens, sachions trouver le chemin de réunification qui nous permet de rendre ce mouvement totalement inexorable et puissant. Le risque, sinon, dans toute la région, est que ces processus qui n'en finissent pas, finissent par décourager les opinions publiques les plus europhiles en donnant des objectifs qui sont peu clairs, qui deviennent trop bureaucratiques, et un horizon qui n'en finit pas de reculer. Ça n'est pas ce que je veux, c'est pour ça que j'ai toujours été sincère sur cette mécanique, et je la veux plus politique que technique, je la veux plus amoureuse que bureaucratique. Parce que c'est cela, la vie des peuples. Nous vivons dans des temps de passion où si face au coup de l'actualité, on finit par avoir une Europe de tel chapitre après tel chapitre qui est ouvert, on n'y construit rien. 

Donc je veux justement que notre Europe soit le moyen pour votre pays de continuer à avancer sur le chemin de la culture et de l'émancipation, de continuer à avancer sur le chemin de la transition énergétique, de continuer à avancer sur le chemin d'un équipement militaire pleinement souverain, de continuer à avancer sur le chemin de l'indépendance technologique. Et c'est ensemble que nous le ferons. 

Donc vous l'avez compris, je suis parmi vous aujourd'hui convaincu que l'ère qui s'ouvre, dans laquelle vous avez un rôle éminent à jouer, Monsieur le Premier ministre, c'est celle de cette réunification de notre Europe, qui va supposer de savoir régler plusieurs tensions qui existent dans la région, celles que nous connaissons entre Belgrade et Pristina, celles qui doivent nous conduire à régler tous les différends qui nous préoccupent mais sur lesquels il y a chemin, une volonté. Nous l’avons montré avec, pour le sujet que j’évoquais, la feuille de route franco-allemande posée ces derniers mois et sur laquelle nous continuerons d’avancer. 

En tout cas, je veux vous remercier pour votre accueil, votre amitié, mais plus que cela. Pour ce que je sens, je mesure ici pleinement en étant parmi vous, pour la force du rêve européen. Pour citer un auteur qui n’est pas Ismaïl KADARÉ que j’ai beaucoup cité hier soir et qui est d’une autre partie de cette Europe à un moment séparé, Milan KUNDERA qui nous a quittés il y a à peine quelques mois, vous faites partie de cet occident kidnappé, d’un pays qui a toujours regardé l’Europe, qui s’est toujours pensé comme européen et méditerranéen et que les vicissitudes de l’histoire ont plusieurs fois ravi à lui-même. Un peu comme dans le mythe d’Europe au demeurant, pour essayer de l’emmener sur une autre rive, celle de l’Empire Ottoman, puis celle d'une idéologie totalitaire qui s'évolue de moins en moins européenne et de moins en moins conforme, d'ailleurs, à cette identité de l'Europe, en niant la dignité des femmes et des hommes et la souveraineté du peuple. C'est tout cela, ce que vous avez restauré par vous-mêmes durant ces dernières décennies. C'est tout cela qui vous rend résolument, terriblement européen. 

Je vous remercie.

Journaliste
Monsieur le Président, vous avez pu visionner la vidéo de Mia SHEM, diffusée par le Hamas. Sa mère vient de supplier les dirigeants du monde à la faire libérer. Quelle a été votre réaction et pouvez-vous nous dire s’il y a eu des avancées pour la libération des otages ?
Deuxièmement, plusieurs de vos homologues dont Joe BIDEN et Olaf SCHOLZ se rendent ces jours-ci en Israël et dans la région. Avez-vous prévu d’y aller également et notamment au sommet qu’organise l’Egypte samedi ?
Et enfin pensez-vous qu’il soit possible d’éliminer le Hamas sans provoquer un bain de sang parmi les civils et un embrasement dans la région. Et si oui, comment ?

Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. 
Écoutez, oui, j'ai comme vous, comme nous tous, visionné cette vidéo et je veux ici dire évidemment à la famille de Mia SHEM notre soutien, notre affection et le dire à l'ensemble des familles qui ont des enfants ou des proches portés disparus. La ministre a eu l'occasion de voir les familles lors de son déplacement dimanche. La France s'est pleinement mobilisée pour tout faire pour obtenir leur libération. Nous avons des contacts, d'abord avec les autorités israéliennes, nous avons aussi des contacts par plusieurs puissances amies intermédiaires avec le Hamas pour obtenir la libération de nos otages et la libération de tous les otages.  La France a toujours condamné avec la plus grande fermeté ces pratiques. Mais avoir pris des otages civils, comme militaires, et avoir pris des otages de toutes nationalités et faire le chantage, en cette période, est absolument odieux et inacceptable. Et donc nous sommes en train de mettre en place, en effet, tout ce qui est en notre pouvoir pour obtenir cette libération. Je veux, ici, me montrer très prudent. Vous comprendrez que je n’en dise pas davantage pour d’abord ne pas créer des attentes qui seraient déçues, et, surtout, pour ne pas mettre en péril les discussions intenses que nous sommes en train de conduire. Mais elles avancent. Nous sommes, heure par heure, au suivi de ces discussions. 

Je veux dire en tout cas à la famille de Mia SCHEM et à toutes les familles, que nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir pour obtenir sa libération, comme celles des autres otages. J'ai eu l'occasion, dès les premières heures, d'échanger avec le premier ministre NETANYAHOU, avec le président de l'Autorité palestinienne, avec aussi le président HERZOG et avec tous les dirigeants de la région. Et je l'ai fait plusieurs fois depuis maintenant dix jours. J'ai pu d'abord exprimer notre solidarité à l'égard d'Israël et du peuple israélien face à l'attaque terroriste qu'ils ont subie. Et dire tout notre soutien pour qu'Israël puisse se défendre. Et puis j'ai pu, ces derniers jours, aussi, passer des messages d'alerte demandant le respect du droit humanitaire, du droit international et des populations civiles à Gaza, en Cisjordanie et de la non escalade du conflit au Liban. Et nous restons extrêmement vigilants et engagés. 

Je me rendrai dans la région. J'ai demandé, donc, à la ministre des Affaires étrangères de le faire. Elle l'a fait par une tournée régionale. Pour ma part, je me rendrai dans la région, dès que je considérerai que nous avons un agenda utile et des actions très concrètes à y conduire. Je vais continuer les consultations, les discussions, mais ma volonté, c'est de pouvoir m'y déplacer quand nous pourrons obtenir un accord concret, soit sur la non escalade, soit sur les questions humanitaires et plus largement sur le tout. Et je l'ai dit pour la France, la sécurité d'Israël, la lutte contre tous les groupes terroristes, mais aussi le processus de paix et la solution politique sont un tout inséparable. Et c'est cet agenda qu'il faut retrouver. Et je pense que ce moment extrêmement dur pour le peuple israélien aujourd'hui, pour les civils palestiniens et pour toute la région, montre que ceux qui avaient pu croire que, au fond, la question n'était devenue qu'économique et sécuritaire ont omis le fait qu'elle est aussi politique et qu'on ne peut pas la régler sans réengager avec ambition le processus de paix. C'est cela sur quoi nous travaillons et c'est sur cette base là que je me rendrai dans la région, peut-être dans les prochains jours, peut-être dans les prochaines semaines. C'est un critère d'utilité et d'efficacité que je retiendrai. 

Ensuite, je soutiens la volonté d'Israël de se défendre, de lutter contre tous les groupes terroristes. Elle est légitime. Je pense que celle-ci doit s'articuler. C'est l'honneur et le devoir d'une démocratie, ce qui est la singularité d'Israël dans la région. Ceci doit toujours être compatible avec le respect du droit international, du droit humanitaire et en particulier le respect des civils et des populations. Et nous avons toujours veillé à distinguer le Hamas, qui est un groupe terroriste, des autorités palestiniennes, et plus encore, du peuple palestinien

Journaliste 
Président MACRON, la France, sous votre direction, a été l'un des pays qui a entravé l'élargissement aux Balkans occidentaux. Maintenant, comme vous avez changé d'approche, pouvez-vous dire quand est-ce que l'Albanie deviendra membre de l'Union européenne en tenant compte des dernières évolutions régionales et internationales ? 

Emmanuel MACRON
Alors, c'est tout à fait vrai. En 2018, le Premier ministre était là. J'ai été l'empêcheur de tourner en rond. Mais parce qu'on tournait en rond et que ça ne mène nulle part. 
Il y avait un processus qui était en cours. La réunion s'était tenue, on peut le dire, dans une indifférence certaine et totalement hypocrite. Il y avait une espèce de revue bureaucratique des processus d'élargissement, et on disait à ceux qui étaient là depuis longtemps : « ça va encore durer longtemps », « vous êtes à tel chapitre du livre ». L'horizon était impossible, et on disait à votre pays et à d'autres : « la prochaine fois, je vous promets, vous allez voir, ça va être super, continuez, avancez … », et on ne se disait rien. 

Donc oui, à ce moment-là, j'ai dit : ce processus ne marche pas. Premièrement, il doit être beaucoup plus politique, ce qui a conduit à réformer le processus. On n'en a pas encore tiré toutes les conséquences, elles commencent à être tirées avec ce qui se met en place et justement, ce nouveau plan de croissance pour la région qui était de dire, au fond, ça ne doit pas être un processus bureaucratique où on ouvre des chapitres et des articles. Personne n'est heureux d'ouvrir un chapitre de négociations parce que ça ne change rien à la vie des Albanaises et des Albanais. Mais on va se dire : on ouvre une phase de transformation pour notre pays et à ce moment-là, il doit y avoir un engagement et un investissement des Européens, ce qu'on ne faisait pas. Donc on a repolitisé le processus, il y a une vraie réforme, et on doit en tirer toutes les conséquences pour que ce soit tangible. 

C’est aussi fort de cet esprit que j'ai proposé il y a deux ans de créer la communauté politique européenne pour dire : on doit se réunir entre pairs : c'est ce mécanisme de respect. Donc j'ai voulu mettre fin, en quelque sorte, à une mécanique que je trouvais froide, hypocrite et qui n'était pas efficace parce que je la voyais nourrir du ressentiment chez plusieurs de vos voisins. 

Vous avez des pays voisins, je pense à la Serbie, pour qui j'ai beaucoup de respect, qui est engagée depuis des années dans un processus qui avance trop lentement. Et vous voyez d'ailleurs l'adhésion à l'Europe qui est en train de reculer dans ces pays. Donc premièrement, le repolitiser, deuxièmement, dire : “nous, Européens, on doit accompagner ces réformes d'un vrai investissement”, ce qu'on va d'ailleurs faire là maintenant, concrètement. 
A côté de ça, c'était de dire : nous qui sommes dans l'Union européenne, on doit faire des réformes parce que ce n'est pas vrai qu'on peut indéfiniment s'élargir avec nos modes de fonctionnement actuels, puisque cette Europe ne fonctionne pas toujours de manière optimale. Là aussi, il faut être lucide. On doit le faire pour nous et c'est un très bon déclencheur. Voilà l'esprit dans lequel, si vous voulez, j'ai voulu engager ces transformations : on a amélioré les choses. 

Est-ce qu'on est arrivé au bout ? Pas du tout. On a encore énormément de choses pour cette nouvelle ère de réunification qui s'ouvre. C'est pour moi un des défis immenses de notre Europe pour les prochains mois, et il faudra le faire en bousculant un peu les habitudes et dire : on doit permettre d'aller plus vite aux pays qui le souhaitent. On doit permettre d'investir davantage. 
Il ne faut pas attendre que les pays soient dans l'Europe pour mettre beaucoup d'argent pour qu'ils convergent, il faut au contraire les arrimer dans notre Europe géopolitiquement, en investissant quand ils sont sur ce chemin et entretenir cet attachement à l'idée européenne. 

Vous l'avez dans votre pays à des niveaux extraordinaires, que très peu de pays qui sont dans l'Union européenne depuis des décennies ont, ça s'entretient. Et puis nous, en même temps, avoir le déclic et bouger. La date n'a pas de sens. Je vous le dis très sincèrement. D'abord parce que si vous avez un accident démocratique dans votre pays, si d'un seul coup, vous avez des dirigeants qui arrivent et qui disent : « moi, je ne fais plus aucune réforme, on s'est engagé sur une date ». Non. Ça va avec un engagement du pays. 
Vous avez un Premier ministre qui est engagé sur un agenda européen, qui est là. Tant qu'il est là, oui, tant qu'il tient ses réformes, oui. Et après, c'est basé sur le mérite, comme vous l’a dit votre Premier ministre. 
Est-ce que le jour où un pays avance plus vite, fait plus de transformations, il doit être ralenti par telle crise régionale ou telle autre ? Pas forcément. Donc la date rigide, elle est un peu contraire à cet esprit-là. Alors peut-être que nous aurons un moment géopolitique, une crise, une espèce de bascule qui se jouera compte tenu de la guerre sur notre sol et autres, ça, je n'exclus pas, mais le déclencheur sera plutôt un déclencheur géopolitique externe, qu'une date qu'on aura mise comme une butée. 

Je voudrais insister sur un point, si vous me le permettez, en concluant cette réponse. Ne sous-estimez pas l'importance du chemin lui-même. Il est fondamental parce que vous le faites pour vous-même. Et il y a deux choses dans le fonctionnement de notre Europe qui sont très importantes à saisir, je le dis par rapport aux mots qu'a eus le Premier ministre, à la seconde où vous rentrez autour de la table, et moi, je considère que c'est déjà ça dans la Communauté politique européenne, il n'y a plus de grands-parents et de petits-enfants. Il n'y a que des ego. C’est ça le génie de cette Europe. C'est que l'Europe s'est toujours perdue en guerre civile parce que c'était une histoire d'hégémonie. On disait : il y en a un ou deux qui vont décider ou un tout seul. La France a contribué à cette aventure d'hégémonie à travers son histoire. 
L'Union européenne, il n'y a pas d'hégémonie. Chaque voix compte. Alors après, on peut décider de voter à la majorité qualifiée, donc on peut faire des alliances. Mais chacun est respecté entre pairs.
C'est vrai que si on n'a pas la même culture, ce sens des responsabilités, ça peut bloquer, mais personne ne peut dire : « moi, je suis celui qui sait parce que j'ai une autre histoire que toi ou je suis un plus grand pays ». Et ça, c'est formidable parce que c'est la clé de notre nouvel équilibre depuis 70 ans. 

La deuxième chose, c'est que l'Europe, c'est un transfert de souveraineté choisi. Chaque mot a son sens. On décide de mettre ensemble des choses, on décide souverainement parfois en le mettant au référendum de nos peuples, ou en demandant à nos parlements de le choisir, mais on transfère des compétences. Ça veut dire qu'on se dessaisit par notre propre choix de faire des choses que nous faisions nous-mêmes. C'est un choix très difficile et il faut le faire en conscience. Dans des pays qui ont vécu le totalitarisme, dans des pays qui ont vécu parfois sous le joug de puissances étrangères ou sous la dictée, quand ça vient trop vite, c'est utilisé par des nationalismes pour alimenter l'idée anti-européenne. 

Quand j'entends aujourd'hui, parfois à Budapest ou ailleurs, des gens qui nous disent : cette Europe, c'est comme Moscou : jamais de la vie ! Vous l'avez choisie, Bruxelles, vous l'avez votée, vous l'avez voulue, elle vous paye. Mais vous l'avez choisie souverainement. Ça crée de la confusion dans l'esprit des gens parce que le transfert de souveraineté, quand on a vécu très longtemps sans avoir la pleine souveraineté et sans l'exercer démocratiquement, ça peut créer un trouble. Ce chemin est important parce qu'il faut aussi que tout le monde ait conscience que l'aventure européenne, on décide de mettre ensemble des choses et donc de transférer de la souveraineté. Moi, je crois que ça nous rend plus grand. C'est totalement compatible avec la souveraineté nationale et ça crée une souveraineté plus grande qui est européenne, mais il faut que ce soit bien digéré. 
C'est un chemin qu’il n'est pas bon de faire trop vite s'il n'est pas dit en vérité et s'il n'est pas partagé avec les peuples. Pardon de cette réponse longue mais je voulais apporter cet éclairage. 

Journaliste
Bonjour, Monsieur le Président. Trois jours après l’assassinat d’un professeur à Arras, deux Suédois ont été tués hier soir à Bruxelles dans une attaque terroriste. Première chose, redoutez-vous une vague d’attentats en Europe ? Après le renforcement des frontières, envisagez-vous d’autres mesures pour protéger les Français ? Par ailleurs, vous avez récemment demandé de passer au peigne fin les fichiers des radicalisés expulsables, cela veut-il dire qu’il y avait jusqu’ici des défaillances ? Et enfin est-ce que cela sera suffisant et, face à ces menaces, n’y a-t-il pas au fond une forme d’impuissance de l’Etat aujourd’hui ? Je vous remercie.

Emmanuel MACRON
Ecoutez, malheureusement, nous l’avons encore vu hier à Bruxelles, tous les Etats européens sont vulnérables et il y a un retour en effet de ce terrorisme islamiste, et nous avons tous une vulnérabilité, c'est celle qui va avec des démocraties : des États de droit où vous avez des individus qui, à un moment, peuvent décider de commettre le pire. 
Je veux ici redire notre solidarité à nos amis belges, et je serai très prudent sur ce qui s'est passé et sur la qualification du terrorisme. Mais nous avons pris immédiatement, en coordination avec les autorités belges évidemment, et comme on le fait à chaque fois, des mesures de suivi. Comme vous le savez, nous avons une coopération sécuritaire et judiciaire exemplaire avec la Belgique, qui a été encore renforcée depuis 2015 et les attentats que nous avions subis, qui impliquaient des groupes qui avaient des organisations transfrontalières. Et je le rappelle, la France, depuis 2015, a un contrôle des frontières que nous n'avons jamais cessé, que permet le règlement de Schengen, et que la situation sécuritaire, nous l'avons toujours estimé, nous a conduit à maintenir. 

Ensuite, je vous le rappelle aussi, depuis les attentats que nous subissons depuis plus de 10 ans, nous avons mis en place un apparatus juridique, technique qui nous a d'abord permis — je le rappelle parce qu'on l'oublie — mais depuis 2017 de sortir de l'état d'urgence. 
Et au fond, nous avons construit collectivement, et je crois que c'est une force de la France, un modèle qui nous permet d'être le plus en sécurité possible hors de l'état d'urgence. Parce qu'on ne peut pas vivre avec un état d'urgence permanent, qui suppose une suspension de certaines libertés pour tout le monde alors même que la menace persiste. 

Nous avons réinvesti massivement dans notre sécurité, dans nos services de sécurité intérieure et extérieure. Nous avons mis en place des mesures de suivi des personnes qui sont considérées comme les plus dangereuses, qui sont le maximum de ce qu'on peut faire sous le contrôle du juge constitutionnel, avec d'ailleurs plusieurs des mesures de suivi qui ont parfois été censurées, sur lesquelles nous sommes revenus, y compris après les détentions pénitentiaires. 

Nous avons réinvesti dans les services de renseignement, pénitentiaire aussi. Nous avons mis en place une coordination nationale, nous avons réinvesti dans notre police, gendarmerie, etc. etc. Et nous avons, là aussi durant le premier mandat que j'ai effectué, massivement investi sur le suivi des profils les plus dangereux et sur leur expulsion. Donc là-dessus, je n'ai pas vu de défaillance de nos services et du ministère de l'Intérieur et de l'ensemble des parties prenantes lors de l'attentat qui a été perpétré à Arras. 

La grande difficulté que nous avons, c'est la coopération des pays pour renvoyer ces ressortissants et, en l'espèce, le terroriste qui a été emprisonné, l'enquête est en cours donc je ne détaillerai pas, vient d'un pays qui est en guerre et avec lequel tous les retours avaient été suspendus dans la période où il avait été constaté par la CNDA qu'il n'était pas éligible à l'asile. La liste qui a été donnée hier par le ministre de l'Intérieur, ce sont à chaque fois des problèmes de coopération des pays pour le retour, pas un problème de suivi des services et de nous-mêmes. Et vous conviendrez avec moi que lorsqu'un pays ne vous permet pas de renvoyer un de ses ressortissants chez lui, il est assez difficile de… Donc voilà, on en met un maximum en incarcération quand on a des motivations qui permettent de le faire conformément à ce que peut faire un Etat de droit. Donc nous renforçons simplement le contrôle, la pression sur ceux-là dans le contexte.
 
Je veux ici dire que la France s'est dotée ces dernières années d'un système solide sur le plan juridique, qu'elle a réinvesti massivement, et que nous continuerons de le faire. Simplement, nous avons besoin dans cette période d'une meilleure coopération des pays d'origine de plusieurs de ces individus dangereux, et c'est ce sur quoi nous allons accroître le travail. 

Maintenant, je veux dire ici avec le plus grand esprit de responsabilité que jamais il ne sera possible dans un État de droit d'avoir un système où le risque terroriste est éradiqué totalement. C'est pourquoi nous devons vivre dans une société de vigilance, vigilance permanente de celles et ceux qui ont à l’exercer. C'est pour cela que, comme il y a aujourd'hui une augmentation du risque - je l’évoquais quand je me suis exprimé devant nos compatriotes jeudi dernier - parce que les esprits s'échauffent, parce qu'on voit les plus actifs utiliser le contexte international pour pousser des individus au pire, nous devons utiliser tout ce que nous avons mis en place et en quelque sorte remettre de la pression dans le système. Donc vigilance renforcée de tous les services de l'État, de nos forces de sécurité, de nos policiers, de nos magistrats, de toutes celles et ceux qui y contribuent avec beaucoup de professionnalisme ; vigilance aussi dans tous les secteurs d'activité, et je pense que c'est très important, le secteur économique, toutes celles et ceux qui reçoivent du public ont un rôle à jouer pour être encore plus vigilants dans ces périodes ; et vigilance des citoyens pour capter les signaux faible et permettre d'identifier les signaux avancés et de nous aider à réagir aux menaces quand elles peuvent arriver. C'est comme ça qu'on peut se tenir collectivement. Sinon, c'est une suspension des droits et ça n’est, je crois, pas ce que nous voulons parce que c'est le défi qui est le nôtre : c'est de vivre dans des États de droit forts au moment où le terrorisme, au nom des pires idéologies, revient. Et ce serait une défaite extrême de considérer que la réponse serait la suspension de l'État de droit.

[…]
 
Journaliste
J’ai une question pour le président Emmanuel MACRON : Quelle est votre attitude, quelle est votre considération par rapport à l'attitude du président serbe VUCIC par rapport aux tensions qui ont lieu dans le Nord du Kosovo, et surtout par ce qu’il s'est passé le 24 septembre ? 

Emmanuel MACRON
Comme vous le savez, nous suivons avec beaucoup de vigilance la tension qui existe entre Pristina et Belgrade. La France et l’Allemagne ont fait une proposition de feuille de route que je crois solide et bonne et ce que nous attendons, c’est qu’elle soit respectée par les deux parties. Je pense qu’il est de la responsabilité du président VUCIC de condamner avec la plus grande fermeté les actes du 24 septembre, c’est de contribuer à restaurer le calme à la frontière et ensuite, les prochaines étapes et ce que nous attendons des autorités kosovares et serbes est simple : la réorganisation d’élections dans les municipalités où celle-ci a été faite dans des conditions qui étaient inappropriées, la participation des serbes à ces élections et aux institutions, la reconnaissance de l’association des municipalités serbes par les autorités kosovares dans cet ordre-là complètement et totalement. Et j’attends l’esprit de responsabilité du Président VUCIC. J’attends la même chose de la Présidente et du Premier ministre kosovar et je le dis, moi, avec beaucoup de clarté : nous avons fait un geste de confiance sur la question des visas, elle est suspendue pour ce qui est de la France au respect de la parole donnée et la parole aujourd’hui n’est pas tenue. Et donc, j'attends un ré- engagement de part et d'autre de ces deux autorités pour avancer dans les prochaines semaines. C'est la condition même de la paix dans toute la région. 

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