Le Président de la République s'est rendu ce mercredi au Conseil constitutionnel et a prononcé un discours à l’occasion du 65ᵉ̀ᵐᵉ anniversaire de la Constitution de la Vᵉ̀ᵐᵉ République.

Le Président Emmanuel Macron s'est exprimé sur les possibles évolutions à venir de la Constitution sur des sujets clés : le Référendum, la décentralisation, la protection du climat, l'interruption volontaire de grossesse ou encore l'indépendance du parquet. 

Le chef de l'État a également rappelé la nécessité de défendre la Constitution qui est la plus stable de notre Histoire

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4 octobre 2023 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE À L’OCCASION DU 65e ANNIVERSAIRE DE LA CONSTITUTION DE LA Ve RÉPUBLIQUE.

Merci beaucoup Monsieur le Président. 

Madame la Première Ministre, Monsieur le Président du Sénat, Madame la Présidente de l'Assemblée Nationale, Messieurs les Ministres, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Commissaire. Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les Présidentes et Présidents de Cours Constitutionnelles étrangères et de Cours européennes, Monsieur le Vice-Président du Conseil d'État, Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental, Madame la Défenseur des Droits. Monsieur le Premier Président de la Cour des Comptes. Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités, chers amis. 

Merci Monsieur le Président pour votre invitation, vos mots et merci tout particulièrement aux membres du Conseil constitutionnel, pas simplement pour votre accueil aujourd'hui, mais pour votre engagement, votre travail en toute indépendance, tout particulièrement durant ces mois où, parfois dans notre République, la pression a pu se faire un peu inhabituelle sur vos travaux. Je vous remercie d'avoir avec placidité, fermeté et conscience fait votre devoir. 

L'anniversaire que nous commémorons aujourd'hui est celui d'une Constitution devenue la plus stable de toute notre histoire. Vous venez de le rappeler. Le secret de cette stabilité se trouve dans l'esprit même du texte de 1958. Et veiller au respect de la Constitution, comme c'est la charge du chef de l'État aux termes de son article 5, c'est aussi être scrupuleusement fidèle à son esprit. L'esprit de notre Constitution, voulu et proposé par le général De Gaulle aux Français, puise sa source dans des principes essentiels dont la substance pourrait être définie par 3 mots. Et je voudrais ici développer : transmission, révolution et action. La transmission d'une histoire dont nous sommes les dépositaires, la révolution comme principe de renouvellement perpétuel et l'action au service de nos concitoyens. 

Transmission. Il est souvent dit que la Constitution de 1958 est une synthèse. Plus qu’une synthèse, elle est la transmission d’une longue histoire de France. Revenons sur l’immédiate après-guerre dans ses mémoires d’espoir. Le général De Gaulle écrivait que sa grande querelle consisterait désormais à doter la nation d’une République capable de répondre de son destin. Cette République, le général en avait dessiné les principes à Bayeux en 1946. Elle devrait comporter un Parlement composé de deux chambres, élues selon des modalités distinctes. Et le discours de Bayeux établissait surtout le rôle du chef de l’État, élu plus largement, placé au-dessus des partis et dont procéderait donc directement le gouvernement responsable dans l'Assemblée. L'objectif était clair : que nos institutions démocratiques nouvelles compensent par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique. C’est-à-dire, pourrait-on dire aujourd'hui, en même temps, prendre en compte le pluralisme consubstantiel aux démocraties et à notre nation, et refuser que les querelles si fréquentes et les manœuvres de rapprochement et d'éloignement des partis et des groupes, les tensions qui les animent, fassent dériver l'action publique vers l'impuissance. Et pour cela, instaurer, comme garants et arbitres, ce président, élu d'abord largement pour reprendre la formule de Bayeux par la totalité du suffrage universel, ensuite président de la République de qui dépendrait la définition et la composition et donc l'orientation de l'exécutif, rendu de ce fait indépendant des autres pouvoirs. Cette République respectueuse du pluralisme est enfin capable d'agir dans le temps long, cette République répondant au caractère de la nation miroita pendant 12 ans dans les yeux de ceux qui l’espéraient, gaullistes bien sûr, mais aussi responsables de cette quatrième République qui s'achevait dans l'impuissance, faisant le constat amer qu'il n'avait ni le temps, ni les moyens de conduire l'action du gouvernement lorsqu'ils le dirigeaient. Et bientôt la guerre d'Algérie rendit intenable l'instabilité ministérielle et la perte de l'autorité de l'État. 

Cette Cinquième République donc, vit le jour le 4 octobre 1958. Le texte en avait été écrit l'espace d'un été. L'engagement avait été pris que les Français se prononcent. Ils le firent le 28 septembre 1958. 82 % d'entre eux répondirent oui à cette cinquième République. C'était considérable. Une fois établie, cette nouvelle République serait-elle capable de répondre de son destin ? Le général De Gaulle et ceux qui l'entouraient en avaient la certitude. Le peuple français formait pour cela ses vœux d'espoir. De manière irréfutable en tous cas, le texte répondait de notre histoire, de sa rigueur, de sa grandeur en bloc. La Cinquième République est l'héritière de la Révolution française, en témoignent les tous premiers mots de son préambule : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale, tels qu'ils ont été définis par la déclaration de 1789 ». Passent dans ces mots ce souffle, ce refus du privilège et de la fatalité qui trame toute l'histoire de notre nation, selon Michelet, celle d’un vieux pays capétien devenu Nation souveraine. Ainsi, au fil de chacun de ses articles, le texte de 1958 déroule la chaîne des temps français en retenant les progrès et en repoussant les excès. Le débat entre un État représentatif et un État démocratique avait agité Sieyès, Mirabeau, et les premiers révolutionnaires. La Constitution de 1958 tranche en combinant les deux : la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et désormais aussi par la voie du référendum. 

Puisant aux sources premières des Républiques passées, elle réussit à allier les principes d’un régime parlementaire avec la force de gouverner d’un exécutif enfin assuré de pouvoir agir. De Bonaparte et de l’Empire, est conservé mais transcendé, cet idéal d’un État capable de tenir l’unité de la Nation et d’assurer l’indépendance du pays. De la Seconde République, est conservé et augmenté l’idéal démocratique et fraternel d’une République qui assure aussi à chacun sa dignité sociale. De la Troisième République, notre Constitution retient les grandes lois de libertés : liberté de la presse, liberté d’association, liberté syndicale, tant et tant de libertés nouvelles qui démontraient que l’idéal républicain, au fond, n’était plus seulement les mots de Gambetta, Jaurès, Briand, Waldeck-Rousseau, Clemenceau, Blum, mais devenaient là aussi, dans la trame du pays, une école communale, un instituteur, un maire, un préfet, une poste, une gare. De la Troisième République, notre constitution a enfin hérité de la laïcité, notre laïcité qui n’assigne aucune identité définie par la culture, la religion ou l’origine, protégeant ainsi la liberté de conscience. De la Quatrième enfin, demeurent dans notre Constitution les droits du Préambule de 1946, eux-mêmes inspirés par le Conseil national de la Résistance, droits nouveaux, politiques, économiques et sociaux, qui enrichissent notre tradition de solidarité. Au fond, 1958 referme la quête du bon gouvernement, ce moment politique ouvert par la Révolution française. Loin de l’esprit de sortie de la Révolution qui agitait les Bonaparte du 18 Brumaire ou du 2 décembre 1851, loin de l’esprit de contre-révolution qui guidait les sinistres créateurs de l’État Français du maréchal Pétain en juillet 1940, cette Constitution représente l’avènement d’un régime qui combine la liberté et l’autorité, l’ordre et le pluralisme, la démocratie et l’unité dans un mélange heureux, français, républicain. Il nous a fallu, pour y parvenir, et c’est ce qui doit nous donner beaucoup d’humilité devant ce texte, il nous aura fallu un Consulat, deux Empires, deux Rois de France de la branche des Bourbons, une Monarchie de Juillet, un État Français, et quatre Républiques. Mais désormais, la Cinquième République, forte de ses 65 ans, est inscrite dans le temps long de l’histoire de France. 

En 1958, comme aujourd’hui, cette Constitution est une évidence parce qu’elle est une réconciliation, après la césure politique de la Révolution. Cette Constitution est l’aboutissement. Elle est la traduction politique de l’esprit public français. Elle est tout à la fois un régime et un projet. Ce régime, ce projet, sont exprimés dans son premier article. Celui qui, précisément, contient tous les maillons de notre chaîne républicaine. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Tout est dit et chaque mot compte. C’est notre contrat social, propre à notre pays, nourri par son histoire. Le contrat passé par chaque citoyen avec la Nation, et par la Nation avec elle-même. Indivisible, laïque, démocratique et sociale. Les 4 piliers de l’idéal des Lumières, de la Constituante et de la Convention. Sur eux repose l’école de nos instituteurs, cette école qui émancipe et forme nos citoyens. Sur eux reposent notre Sécurité sociale et notre système de solidarité nationale. Sur eux reposent notre Justice, garante de liberté, d’égalité et fraternité. Sur eux repose notre souci constant de faire prévaloir de l’ordre républicain contre toutes les formes d’oppression ou de décivilisation. Sur eux reposent notre rapport au monde, notre ambition de porter partout le progrès humain, moral et matériel. Sur eux repose cette idée : la Nation qui est notre communauté de destin qui est aussi le premier degré vers l’universel. 

Adossée à ce socle fondamental, enracinée, du premier article, la Constitution déploie ses titres, ses chapitres, ses articles.  Elle déploie surtout la force de ses institutions au service de ce projet républicain. Elle donne au peuple et à ses représentants les moyens d'agir. Elle offre à la Nation ce qu’il faut pour répondre de son destin. Même avant son adoption, la fièvre réformatrice permit, dès le mois de mai 1958, de mettre en œuvre des transformations profondes. Et en quelques mois, de grands serviteurs de l’État devenus ministres, et d’anciens ministres qui avaient conforté l’autorité de l’État révolutionnèrent quasiment tout, de la justice des mineurs aux centres hospitalo-universitaires, réformes longtemps remisées. Et une fois installée, la Constitution leur offrit les moyens d’aller encore plus loin et plus vite dans leur ambition pour la France. En quelques années, l’économie fut assainie, le commerce extérieur ouvert, le marché commun bâti ; les bases de notre dissuasion étaient jetées ; l’Algérie devenait indépendante ; l’armée se rénovait radicalement ; la pilule contraceptive était autorisée. Notre rang de puissance indépendante était affermi quand notre culture rayonnait. Cette République, sœur des Trente Glorieuses, favorisait le progrès économique, qui seul garantit l’indépendance de la nation. Ce fut un moment de régénération – un souffle français. « La République se renouvelle ; elle reste la République », écrit encore le général De Gaulle à propos de cette époque. Comme en écho aux mots de Charles Péguy qui l’inspira tant : « Une Révolution n'est pas une opération par laquelle on se contredit. C'est une opération par laquelle réellement on se renouvelle. »

Cette Constitution suscita bien une Révolution fidèle à l’enseignement de 1789. Elle a à cet égard la force qui permet d’agir et en particulier dans les moments de bascule que nous traversons. Parce qu’elle porte un projet républicain en lui donnant les moyens institutionnels de trouver sa voie. Parce qu’elle repose sur la souveraineté du peuple. Parce qu’elle est fondamentalement démocratique. Certes, la Ve République naquit d’une crise majeure, qui le 13 mai 1958, du fait des événements d’Alger, autorisa le retour du général De Gaulle aux affaires. Sans doute François Mitterrand, de son point de vue, pouvait-il la considérer, selon ses mots, comme l’enfant d’un « coup de force » immédiat devenu un « coup d’Etat permanent ». Mais le fait est que des quatre Républiques précédentes, elle fut la première République à succéder à une République. Et qu’à travers le temps, vous l’avez rappelé Monsieur le Président, elle a su, in fine, rassembler autour d’elle toutes les forces politiques du pays. 

Mais notre Constitution, hier comme aujourd'hui, peut-être même aujourd'hui davantage qu'hier, est pleinement démocratique. Dès son adoption en 1958, cette France guidée par une administration dévouée et un personnel politique rassemblé, n'avait en rien perdu en vigueur démocratique. Si le Gouvernement pouvait faire adopter par une procédure nouvelle le fameux article 49-3 des textes majeurs, il arriva que le Gouvernement fût mis en minorité et même renversé. Mais l'action et la conduite de l'État ne s'interrompaient pas. Et depuis 1958, conformément à l'idéal des Lumières, la souveraineté du peuple préside à toutes nos évolutions institutionnelles. Cette souveraineté est parfois directe. Les référendums permirent à de nombreuses reprises de l'exprimer pour des questions dont l'importance le nécessitait. En cela, le référendum est un choix souverain de la nation regardant son avenir. Cette souveraineté du peuple s'accorde aussi avec l'idéal d'État de droit. Car un régime qui respecterait l'État de droit. 

Et j'entends parfois cet argument monter dans notre temps, j'entends les deux. Je voulais y répondre ici. Un régime qui respecterait l'État de droit mais aurait perdu le sens de la souveraineté du peuple ne serait plus une république. Il pencherait vers un gouvernement juridictionnel. À l'inverse, un gouvernement élu qui ne respecterait plus l'État de droit reviendrait à acquiescer la tyrannie de la majorité, la persécution des minorités, l'oppression des oppositions. Une République tient toujours sur cet équilibre le plus souvent harmonieux entre la voix du peuple et la force de nos droits fondamentaux. Une République, c'est un peuple qui s'exprime et se détermine de manière souveraine, mais au sein d'un univers de valeurs démocratiques qui l'a précédé et lui survivra. Aussi les évolutions de notre Conseil constitutionnel avec d’abord la faculté de saisine des parlementaires. Puis la question prioritaire de constitutionnalité, permirent chaque fois d’assurer que la République demeurait la République, et que la Constitution demeurait la Constitution. Car comme le proclame l’article 16 de la Déclaration de 1789, sans séparation des pouvoirs et garantie des droits, point de Constitution. La nôtre permet ce mariage de la souveraineté et de nos valeurs, de force démocratique et d’intangible qui nous fondent. 

Cette souveraineté du peuple, enfin, s’enchâsse dans notre Europe. Le Conseil constitutionnel a dans son office la charge de s’assurer que la mise en conformité de nos lois nationales avec les règles européennes que nous choisissons respecte, chaque fois, « l’identité constitutionnelle de la France ». L’Europe n’est donc jamais une dépossession. C’est au contraire la saisie plus forte de notre avenir, en toute souveraineté. Et il fallait sans doute cette Constitution-là pour nous permettre de bâtir l’Europe telle qu’elle est. Parce que cette Constitution est si française, dans son premier article 1er, dans l’Histoire qu’elle récapitule, qu’elle nous permet de nous dépasser avec confiance, d’être pleinement français et européen. 

Constitution de transmission de notre histoire républicaine, constitution qui permet la régénération, la rénovation, et même la Révolution. Sans se perdre, ni se renier, de manière démocratique par la souveraineté du peuple et l’État de droit. Constitution qui clôt la quête du bon Gouvernement et met en place le vrai Gouvernement républicain, celui qui agit ou se démet, celui qui avance et répond de ses actions, celui qui demeure tant qu’une majorité contraire n’existe pas. Constitution qui nous permettra aussi, j’en suis sûr, de relever les défis du temps et surmonter les obstacles devant nous. 

Car cet anniversaire de notre texte constitutionnel le plus pérenne advient dans un moment de doutes. Nous vivons un triple dérèglement. Celui du climat, de la civilité et de l’ordre international. Ces secousses ont un retentissement plus grand qu’ailleurs pour notre Nation. Nos vies quotidiennes comme notre imaginaire français sont façonnés par nos paysages, notre terre, nos saisons, et la crise climatique bouleverse tout cela. La France porte une vision de la civilité, de la fraternité, de la civilisation humaniste, et la place comme le pouvoir grandissant des réseaux sociaux bouscule cet ordre. La France, fidèle à un pacte séculaire avec la liberté des peuples, défend la coopération des États, la paix, l’union des bonnes volontés en faveur du bien commun, quand des puissances impériales brisent toutes nos règles universelles, les règles nées elles aussi au temps des Lumières. À commencer par le respect de la souveraineté des États et de leur intégrité territoriale. Oui, en France, cette Nation si politique, ce pays bâti par la volonté autour d’une langue et d’un État, ce pays où l’unité est un combat à toujours recommencer, ces bouleversements menacent tout particulièrement de ronger notre cohésion. Et je crois, à ce titre, que cette Constitution, notre République peuvent une nouvelle fois nous permettre de garder notre avenir entre nos mains. 

Alors, une constitution ne peut pas tout. Et face à ces défis du temps, on voudrait parfois voir dans le changement d'un texte constitutionnel la réponse aux situations que nous vivons. Elle ne peut pas tout. Et la morale publique, le sens des responsabilités, l'exemplarité des élites, comme le sens du devoir de chaque citoyen, sont des fondements qui ne dépendent pas d'un texte. Mais, sans notre sursaut à tous. C'est d'ailleurs là la vraie leçon de 1958. Mais cette Constitution, je le crois, permet de trancher tous les nœuds gordiens qui sont devant nous. À la fois régime présidentiel et parlementaire, capable de pencher nettement vers le premier en temps de crise et vers le second par temps calme. Caractère hybride, impur, c'est ce qui fait sa force. L'histoire l'a prouvé et elle a survécu durant ces décennies à tant de crises. Dès lors, cette constitution stable, souple, adaptative, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, parce qu'elle permet d'agir, est un bien précieux à préserver. 

De là où je suis, c'est ainsi que j'entends la charge qui m'a été deux fois confiée par les Français. Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de la France, ni dans la cohérence de son histoire de changer de République. Je le dis comme président investi du devoir de la défendre, mais aussi avec la conviction du citoyen qui, pendant ces années, a observé et réfléchi au mouvement de notre peuple, à ce que nous apprend notre histoire et à ce que nous devons conclure des accidents des autres démocraties. Pour moi, ce serait tout à la fois inutile et présomptueux, nos institutions conservent, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, toutes leurs forces. Aussi, pour préserver la Constitution, non seulement dans ses ressorts, mais aussi dans l'adhésion que les Français lui portent. Il faut d'abord la faire vivre. User de tout ce qu'elle permet et s'interdire tout ce qu'elle ne permet pas et ne céder à aucun débat, aucune mode du moment, qui consisterait à dire qu’appliquer la Constitution deviendrait non démocratique, ne serait plus à la mode. 

Dans ce programme, a priori, banal réside une grande ambition, croyez-moi. Car notre Constitution dispose d'outils légitimes et leur usage est toujours justifié, sauf à raturer notre histoire républicaine, sauf à remettre en cause le principe même d'un Gouvernement républicain de celui-là en particulier avec son équilibre réel façonné par l'esprit des institutions et la pratique. Notre Constitution comporte aussi des limites, des points de transgression, entre autres, l'intangibilité du droit d'asile, l'égalité des citoyens devant la loi. Et sauf, comme je l'ai dit à l'instant, à vouloir nier notre héritage, obscurcir notre horizon, il faut s'abstenir de les franchir. 

Mais préserver la Constitution, ce n'est pas la figer. Cela suppose d'agir. En 1958, ce fut sa raison d'être. Et elle demeure. Agir pour protéger au quotidien contre les grands bouleversements du monde, pour tenir chaque jour la promesse et l'ordre de la République pour rebâtir l'unité de la nation. Je crois, dès lors, que notre Constitution mérite d'être révisée quand cela est nécessaire, tout en assignant deux impératifs majeurs : être conséquents et être cohérents. La réforme institutionnelle doit toujours répondre à ces deux nécessités. On ne révise pas la Constitution sous le coup de l'émotion, pour répondre à des modes ou pour la beauté du geste. C'est là un acte grave, c'est la raison pour laquelle il n'est jamais simple à accomplir. La Constitution a, chacun le sait, accueilli des changements profonds : l'élection du président de la République au suffrage universel direct, la saisine du Conseil constitutionnel, le quinquennat, la responsabilité pénale du Président, l'extension du champ référendaire, des pouvoirs nouveaux du Parlement, la reconnaissance des droits de l'opposition. Elle a accueilli les évolutions de notre temps, celles en tout cas qui s'inscrivent dans notre idéal républicain : l'inscription de l'interdiction de la peine de mort, l'égalité entre les femmes et les hommes ou la charte de l'environnement. Elle doit accueillir demain de quoi permettre de retrouver le sens de notre destin. Et quelles sont, sans être exhaustif ici, les principales attentes auxquelles il nous faut répondre aujourd'hui ?

D'abord, permettre aux citoyens d'être sans doute davantage sollicités et mieux associés. A cet égard, la question de l'extension du champ référendaire est aujourd'hui posée par de nombreuses formations politiques. En son temps, François Mitterrand avait souhaité l'élargir à tous les sujets de société, en particulier l'école où se joue, en effet, tout. Jacques Chirac, puis Nicolas SARKOZY l'ont étendu à un certain nombre de réformes économiques, sociales, environnementales. Il existe encore des domaines importants pour la vie de la nation qui échappent au champ de l'article 11 de notre Constitution. J'ai ouvert ce chantier, à Saint-Denis, avec l'ensemble des forces politiques représentées au Parlement, et avec le président du Sénat, la présidente de l'Assemblée, le président du CESE, et je souhaite que nous puissions trouver, collectivement, les moyens de mener à son terme ce chantier, en lien étroit avec les présidents de nos assemblées. Mais disons-le avec clarté, étendre le champ du référendum ne peut permettre et ne saurait permettre de se soustraire aux règles de l'Etat de droit, comme je l'ai rappelé. 

De même, la souveraineté populaire peut également s'exprimer directement à l'issue d'un référendum d'initiative partagée. Cette procédure utile est aujourd'hui excessivement contrainte. Sa mise en œuvre doit être plus simple et les seuils permettant son usage, comme peut-être ses procédures, devraient dès lors être revus, et son champ devrait également être élargi pour s'identifier à celui du référendum d'initiative présidentielle du même article 11. 

Champ du référendum donc qui doit pouvoir être discuté et peut-être s'ouvrir à de nouvelles questions, simplification de la procédure référendum d'initiative partagée, mais au-delà de cela une troisième question émerge, derrière le sujet du référendum, celle qui consiste aussi à établir des garanties solides pour éviter la concurrence des légitimités. J'ai été frappé, durant ces dernières années, en écoutant nos concitoyens, comme plusieurs formations politiques, au fond du ressentiment qui était né du vote de 2007 revenant sur les résultats du référendum de 2005. Et il nous faut en tirer la substantifique moelle et cette question, au fond, de la bonne articulation entre les légitimités démocratiques est une question essentielle qu’il nous faut trancher dans la réforme du référendum. Vouloir faire un référendum sur le sujet - qui vient d’être débattu par le Parlement et d'être tranché par une loi - n'est, je crois, pas de l'ordre du bon Gouvernement car il ferait bégayer la République et consisterait en quelque sorte à créer un système permanent de balancier, ou ce que le Parlement aurait décidé une année, un référendum d'initiative partagée pourrait le défaire un an, deux ans ou trois ans plus tard. Très rapidement émergerait la question légitime « à quoi sert le Parlement ? ». À l'inverse, si le peuple sollicité par un référendum venait à décider de tel ou tel sujet et que le Parlement pouvait y revenir un an, deux ans plus tard, dans les mêmes termes et défaire ce qui venait d'être dit, le peuple se sentirait légitimement floué. Nous avons aussi, dans le cadre de cette réforme, je crois essentielle, et que nous ne devons pas écarter, éviter toute forme de confusion et préserver la force de notre démocratie représentative, préserver évidemment la force de la démocratie directe et de ses voix, mais assurer leur respect réciproque et la bonne organisation de ces expressions. Sinon l'une et l'autre se brouilleraient, s’affaibliraient et c'est toute la République qui en perdrait cet équilibre et cette force que je défends depuis tout à l'heure. Il reste que, assortie de ces sept garanties, modifications du champ de la procédure, des procédures de référendum et de cette bonne articulation sont, je crois, de nature à répondre aux aspirations démocratiques de notre temps. 

Mais je crois, là, que ça n'épuise pas l'aspiration à plus de démocratie et la volonté qu'ont aussi nos concitoyens à être mieux associés à la fabrique de la loi pour en renforcer la légitimité, pour que celle-ci soit également préparée encore différemment. J'ai porté depuis 6 ans plusieurs innovations démocratiques. En l'espèce, le Conseil National de la Refondation, que nous devons amplifier et aménager, a renversé la logique descendante de l'action publique, constitue une vraie réforme de l'État, menée à bas bruit, vers plus d'efficacité, de démocratie dans notre territoire et une meilleure association de tous nos concitoyens, y compris dans l'action publique au quotidien, tout en respectant strictement la séparation des pouvoirs. La réforme du Conseil économique, social et environnemental, aux termes de la loi organique du 15 janvier 2021, a permis aussi de renforcer cette chambre et de favoriser, d'organiser la consultation des citoyens suite, à la fois, aux grands débats, qui avaient suivis la crise des gilets jaunes et à la convention citoyenne sur le climat et à la lumière de ce que nous avions bien et moins bien fait : innovation en temps réel de notre vie démocratique, nous avons pu, par la loi organique, bâtir une nouvelle manière de nous organiser. Les conventions citoyennes, comme celle sur la fin de vie, permettent de construire un débat ouvert, éclairé par les meilleurs experts et dans les meilleures conditions et, je le crois très profondément, de mieux préparer les projets de loi et d'éclairer le législateur, comme le peuple. Ils ne sont en rien concurrents du travail, ni du Gouvernement ni du Parlement et encore moins de la voie référendaire, mais ils viennent compléter cette vitalité. Je crois que ces innovations démocratiques qui figuraient dans le projet constitutionnel discuté en 2018, qui ont pu être traduites par un changement organique, sont complémentaires de la question du référendum et consolident, j'en ai la conviction, une démocratie plus délibérative et favorisant une meilleure participation de nos concitoyens. 

L'autre grand sujet est celui, également, de l'organisation renouvelée de notre action publique dans certains territoires, en particulier ceux dont la singularité impose des adaptations constitutionnelles. L’avenir de la Nouvelle-Calédonie exige un cheminement commun qui nécessitera à coup sûr une révision constitutionnelle. C'est un sujet en soi. La Corse, par sa singularité insulaire et méditerranéenne, compte tenu, il faut bien le dire, des insuffisances de la mise en œuvre de la loi organique existante et à la lumière de la situation politique de la dernière décennie, ouvre la voie à une forme d'autonomie dans la République en fonction de ce que les forces politiques sauront faire cheminer. Indivisible, en effet, ne signifie pas uniforme. L’idéal républicain est assez fort pour accueillir les adaptations, les spécificités, les particularités. L’unité de la France, après tant de siècles de centralisation, dont chacun aujourd’hui perçoit la limite et les impasses, supportera cette répartition nouvelle des pouvoirs. Mieux, je le crois profondément, notre unité sera plus forte. Et à ce titre, tout particulièrement, l'ensemble de nos outre-mer doit pouvoir être mieux reconnu dans nos constitutions et, si le consensus se dégage en ce sens, donner lieu aussi à des évolutions du texte constitutionnel.

Mais au-delà de ces collectivités, toute notre architecture territoriale est à repenser, parce que depuis 40 ans, l'idéal de démocratie locale a organisé l'empiètement, la concurrence parfois, la coexistence en tout cas de collectivités et de l'État, parfois des collectivités entre elles, sans que l'écheveau des compétences ne soit réellement tranché. Cette décentralisation inachevée produit de l’inefficacité pour l’action publique. Elle produit aussi de la perte de repères pour nos concitoyens. Qui est responsable de quoi ? Quand et comment sont désignés les dits responsables ? Quel impôt concourt à quel service public ? Une grande majorité de Français ne connaissent plus les réponses à ces questions simples. Je l’ai dit au début de mon propos, la République a gagné dans les urnes et dans l’esprit des Français quand elle a su leur offrir la clarté et la légitimité. Le Sénat, par ses travaux, a commencé à éclaircir cette question. Et à l'heure où nous avons besoin de nous unir, nos maires et plus largement tous nos élus locaux confortent aussi de tout leur dévouement notre cohésion nationale. Il nous faut les aider à agir mieux, parfois, lorsque c'est nécessaire, à adapter les normes à leur donner plus de liberté, mais laquelle doit aller avec plus de responsabilité et de clarté démocratique. Pour toutes ces raisons, j'ouvrirai ce chantier d'une nouvelle étape de la décentralisation avec l'ensemble des forces politiques et en coordination étroite avec le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale. 

Référendum, décentralisation, au fond, vous le voyez, il s’agit là de donner plus de force à la souveraineté populaire, de retrouver plus d’efficacité, par plus de clarté des responsabilités, c’est, je le crois, l’esprit profond de nos institutions. Au-delà de ces deux grands axes qui me paraissent nécessaires aujourd’hui pour répondre au défi du temps, je ne peux ici être exhaustif mais je ne veux pas manquer de mentionner aussi plusieurs autres sujets qui ont émergé ces dernières années.

Des initiatives parlementaires ont été prises, il y a quelques mois, pour inscrire dans la Constitution la liberté des femmes de pouvoir recourir à l'interruption volontaire de grossesse. J'ai exprimé mon souhait, le 8 mars dernier, que nous puissions trouver un texte accordant les points de vue entre l'Assemblée nationale et le Sénat et permettant de convoquer un Congrès à Versailles. Je souhaite que ce travail de rapprochement des points de vue reprenne pour aboutir dès que possible. Ces projets de révision sont déterminants. Je sais, aussi, qu'ils n'épuisent, ni toutes les volontés de réforme, ni toutes les préoccupations légitimes. L'idée d'inscrire la protection du climat au cœur de nos normes constitutionnelles peut s'avérer aussi un signe d'engagement de notre nation en train d'inventer son propre chemin de progrès, de science et de justice dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais, avec ou sans, cette mention constitutionnelle, et dans l'intervalle qui nous sépare de cette éventuelle révision, soyons fidèles à l'esprit de notre République et donc agissons dans le cadre qui est déjà le nôtre avec ambition et unité. 

Enfin, la question de l'indépendance du parquet, l'amélioration de la procédure législative, ne seraient être exclues. Elles avaient donné lieu, d’ailleurs, à des premiers travaux et il nous appartiendra, ensemble, dans les mois à venir, d'apprécier si une majorité est possible dans cette direction. Mesdames et Messieurs, en 1958, comme aujourd'hui, la nation est dotée d'une République capable de répondre de son destin, parce qu'elle est aux proportions de notre histoire et qu'elle abrite, qu'elle résume, qu'elle poursuit. 

Cette République est en quelque sorte à la mesure de notre avenir. Pour cela, nous devons la défendre. Chacun, en ce qui nous concerne, défendre cette République, défendre cette Constitution qui est la nôtre, en la faisant aimer, en l'enseignant. Et je vous remercie pour votre engagement en la matière. Donnons-là à voir, là où se forment les esprits républicains, à l'école, dans nos services publics, dans toutes les trajectoires individuelles qui triompheront des assignations. Faisons-les vivre dans nos institutions, à la place qui est chacun la nôtre. Notre tâche de citoyen, notre devoir est précisément de défendre cette République et cette Constitution, de les transmettre. Ces valeurs viennent de très loin dans notre histoire et si nous en sommes chacun les garants, elles sauront triompher de toutes fatalités. Et c'est ainsi que nous pourrons répondre de notre destin et décider souverainement de notre avenir pour nous-mêmes et par nous-mêmes. Un avenir pleinement français, souverain d'un pays qui se projette en Europe et rayonne dans le monde. 

Je vous fais confiance pour ce travail de chaque jour. Je vous remercie. 

Vive la République ! Et vive la France !

La Constitution de la Vᵉ̀ᵐᵉ République.

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