Le commando Kieffer vient de perdre son dernier combattant. À 100 ans, Léon Gautier était l’ultime représentant des commandos du débarquement de Normandie du 6 juin 1944, dont les 177 hommes ouvrirent la voie, avec leurs frères d’armes britanniques, aux 133 000 soldats alliés.
Né en 1922, dans un village breton meurtri par la guerre où chaque maison portait le portrait drapé de crêpe noir d’un fils ou d’un frère tué au front, Léon Gautier entendit la déflagration de la Seconde Guerre mondiale comme un appel à défendre son pays. Seule la Marine acceptait les volontaires mineurs. Du haut de ses dix-sept ans, l’élève carrossier devint apprenti canonnier, participa aux premiers combats de la guerre, défendit Cherbourg des Allemands. Refusant la fatalité de la défaite, il traversa la Manche en juillet 1940 et rallia les Forces navales françaises libres à Portsmouth. Au-dessus et au-dessous des mers, arpentant la surface de l’Atlantique à bord du Gallois et les fonds méditerranéens avec le sous-marin Surcouf, il compta dès lors parmi ces marins de l’ombre qui n’avaient pas renoncé à croire en l’avenir de la France et en ses valeurs.
Il était destiné à les servir plus encore. Il fut sélectionné par le capitaine de corvette Philippe Kieffer pour faire partie des 177 commandos français qui débarqueraient aux côtés des anglo-saxons sur les côtes normandes, et qui toucheraient terre les premiers. Après un an d’un redoutable entraînement en Écosse, il s’élança sur la plage de Colleville-sur-Orne le 6 juin 1944, et reconquit le sol normand mètre par mètre durant 78 jours de combats, couronnés par une héroïque charge finale à la baïonnette à Saint-Maclou. Les éléments naturels même semblèrent jouer en faveur des alliés : des rafales de vent avaient enfoui les mines antipersonnel sous un demi-mètre de sable, qui les empêchèrent d’exploser. Mais au soir du 6 juin, le commando avait perdu dix de ses hommes, quarante-quatre fin août 1944. Lorsque la France fut libérée, seuls vingt-trois de ses camarades et lui n’étaient ni morts ni blessés.
La paix revenue, Léon Gautier sut construire sa vie d’homme. Lorsqu’il retraversa la Manche après-guerre, ce ne fut pas cette fois par amour d’une cause, mais par amour d’une femme. Il partait épouser une Anglaise du corps des transmissions qu’il avait rencontrée lors de son année d’entraînement, elle aussi actrice du Débarquement. D’abord ouvrier carrossier en Angleterre, l’ancien commando travailla ensuite pendant sept ans au Cameroun et au Biafra pour le Comptoir français d’Afrique occidentale. Il sut alors donner un nouvel essor à sa carrière en reprenant des études, qui lui permirent de s’installer dans l’Oise comme expert automobile.
Il passa les dernières décennies de sa vie à Ouistreham, à l’endroit même où il avait débarqué, pour mieux faire vivre le musée du commando Kieffer et présider l’Amicale de ses anciens. Animé par une ardente soif de transmettre, il ne cessait de raconter ses cinq années de guerre à un parterre de collégiens et lycéens aussi impressionné par son récit que par l’humilité tranquille qui l’imprégnait : « Nous ne sommes pas des héros, nous n’avons fait que notre devoir », répétait-il. Il est cependant des moments de l’histoire où l’exercice du devoir atteint des difficultés héroïques. Léon Gautier unissait les vertus du guerrier et celles de l’artisan de paix, que nul ressentiment n’animait, mais au contraire une volonté de pardon et d’union. Son amitié profonde avec un ancien soldat allemand installé en Normandie, Johannes Börner, en était l’illustration éclatante. Les frères jadis ennemis témoignaient fréquemment à deux voix, et les images d’une de leur accolade en 2014 émurent le monde entier.
Le Président de la République salue un héros de la Libération et un défenseur de la liberté. Il adresse à ses enfants, ses petits-enfants, qui ont repris le flambeau de l’engagement, et parmi lesquels le béret vert des commandos a été relevé, ainsi qu’à tous les anciens combattants, ses condoléances émues.