Le Président de la République s'est rendu au Château de Joux pour présider la cérémonie du 175ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France.

À cette occasion, il a rendu hommage à Toussaint Louverture, inlassable combattant de la lutte pour la liberté, emprisonné au Château de Joux jusqu’à la fin de sa vie, et dont l’anniversaire de naissance (280ème) et de disparition (220ème) sont célébrés cette année.

Lors de son discours, le Président Emmanuel Macron a mis en avant l'action des bénévoles, des élus, des historiens et spécialistes qui travaillent sur les listes recensant les esclaves affranchis après 1848. Ce travail permettra l'établissement d'un mémorial des victimes de l'esclavage, nouvelle stèle de l'oeuvre de mémoire française. 

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27 avril 2023 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE EN HOMMAGE A TOUSSAINT LOUVERTURE A L’OCCASION DU 175ÈME ANNIVERSAIRE DE L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE EN FRANCE.

Monsieur le Ministre, 
Monsieur le Premier ministre, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage,
Monsieur l’ambassadeur, 
Monsieur le préfet, 
Mesdames et Messieurs les parlementaires, 
Monsieur le maire, 
Madame la présidente du Conseil régional, 
Madame la Présidente du Conseil départemental, 
Mesdames, Messieurs les maires, les élus, 
Mesdames, Messieurs,

Toussaint Louverture est mort ici, dans une cellule du Château de Joux, voilà deux cent vingt ans. Captif, amené de force depuis l’île de Saint-Domingue où il était né, et qu’il n'avait, auparavant, jamais quittée. 

« Tous les hommes nés dans ce pays vivent et meurent hommes libres et français », proclamait l'article 3 de la Constitution de Saint-Domingue, rédigée en 1802 par Toussaint Louverture. Et si son destin trouva son terme dans cette prison, c'est bien en homme libre et français que, 60 ans durant, il avait vécu. 

Libre et Français, affranchi par les Lumières. Esclave de plantation, devenu soldat de la Révolution, puis général de la République. Un extraordinaire parcours, tout entier tourné contre l’assignation à laquelle sa naissance le vouait. Parti de rien, et défiant le monde, Toussaint Louverture confondit sa vie avec sa conquête de liberté. Comme Bonaparte, pourtant son geôlier, Toussaint Louverture incarne le triomphe de la volonté sur la fatalité. « Né dans l'esclavage, mais ayant reçu la nature d'un homme libre », selon ses propres mots. 

Né vers 1743 sur une plantation de Saint-Domingue où la captivité, le labeur et les maladies faisaient succomber les esclaves avant leur 40 ans, il savait la griffe du fouet sur la chair et la douleur des entailles sur la peau. Il découvrit aussi que ses parents, venus de l'actuel Bénin, avaient été séparés au moment de leur asservissement. Il éprouvait, comme orphelin de mère, la violence de l'esclavage qui détruit toute dignité et remplace par la chaîne des maîtres les liens de la famille. Toussaint Louverture transforma cette condition en ambition. Car rien ne l’effraya jamais. « Frappez si vous osez », lança-t-il un jour au gérant de la plantation. Toussaint Louverture avait montré sa trempe. Il se révéla dans toute sa force de caractère et l'acuité de son intelligence. Le gérant en fit son cocher, bientôt son second, et le mena vers l'affranchissement. Toussaint Louverture apprit aussi à monter à cheval et devint l'un des meilleurs cavaliers de Saint-Domingue. 

Le galop comme inspiration, souveraineté sur son allure et ses mouvements, déjà, il était déjà libre. Né esclave, mais devenu enfant des Lumières. Autodidacte génial, découvrant Diderot, Raynal. S'initiant à l'art de la guerre avec Plutarque. Par conviction comme par tempérament, il refusait toutes les assignations. Descendant des rois du Bénin, fervent catholique et accoutumé aux rites vaudou, il se déliait de toutes les identités. 

Plus tard, ami de l'abbé Grégoire, entouré de francs-maçons, Toussaint Louverture était l’homme de toutes les libertés, de toute la liberté. « Dès l’aurore de la Révolution, j’ai voulu être libre, et ma conduite vous a suffisamment démontré que je ne voulais pas l’être seul » dira-t-il dans une proclamation à ses soldats. 

Cette liberté seulement octroyée ne lui suffisait pas. Quand éclata, en août 1791, une révolte des esclaves de Saint-Domingue, dans les plaines du Nord, il s'enrôla parmi eux, et bientôt par son talent militaire, sa bravoure, s'éleva dans leurs rangs. Il voulait prendre l'esprit de 1789, au mot. Toujours, il voulut faire triompher l'idéal de la Révolution française contre ceux qui en dirigeaient le cours et en oubliaient parfois la promesse. Enfant des Lumières, il ne pouvait être que révolutionnaire au service de la liberté du genre humain. 

À la tête de la révolte des esclaves, dont il fit une armée, il défia ceux qui entravaient sa marche vers l'affranchissement. « Spartacus noir », comme on le surnomma, il combattit trois longues années tous ceux qui s'opposaient à la liberté des siens. Révolutionnaire, il ne se contenta pas de la prise d'une seule Bastille : il en prit plusieurs, faisant tomber, les uns après les autres, les forts de Saint-Domingue qui protégeaient l'ordre inique de l'esclavage. 

Ces actes de bravoure faisaient écho aux grandes voix de la Convention, celles de l'abbé Grégoire, Olympe de Gouges, Brissot, Condorcet, Robespierre, Danton qui, malgré leurs oppositions, s'accordaient tous pour amener la République à franchir le pas décisif de la première abolition de l'esclavage. Ce fut chose faite, le 4 février 1794. 

Oui, Toussaint Louverture s'efforça de donner vie à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Celle qui avait offert à tous la liberté, l'égalité, la fraternité. Celle qui mettait fin à l'assignation par la naissance, la condition sociale, la religion ou la couleur de peau. Cette Déclaration qui, depuis 1789, n'a jamais cessé d'être neuve. 

Mais, Toussaint Louverture avait compris que la seule insoumission était vaine. Voilà pourquoi, contre les autres chefs de la révolte des esclaves, il prit le parti de la Révolution. Oui, la Révolution plutôt que l'insurrection. La liberté plutôt que la destruction. L'ordre au-dessus du chaos. Après 1794, une fois obtenue l'abolition de l'esclavage, Toussaint Louverture jugea que la grande Révolution, sa Révolution créole, était terminée : il devait la fixer aux principes qui l’avaient commencée. « Savoir distinguer le mouvement qui vient des convoitises de celui qui vient des principes », combattre le premier avec vigueur, et affermir le second par l'ordre. « C'est le génie des révolutionnaires », disait Hugo. 

Révolutionnaire d'exception, Toussaint Louverture considérait lui aussi que seul l'ordre pouvait maintenir la liberté, la prospérité et le bien public. L'ordre de la discipline et de la rigueur militaire, pour brasser ensemble anciens esclaves, natifs d'Afrique, brigadiers de couleur, officiers français au sein de son armée. L'ordre de la citoyenneté qu'il a instauré, où chacun devait servir avec probité et humanité. L'ordre des lois qu'il promulguait pour dompter les passions, les intérêts et l'arbitraire. L'ordre qui éveille les esprits dans les écoles que Toussaint Louverture bâtissait, qui permet le progrès, grâce à l'hygiène qu'il promouvait, à l'enseignement et aux arts qu’il favorisait. C'est l'ordre qui garantit la liberté, l'ordre marié à la liberté effective qui seule le rend légitime, celui même de la République. 

Car Toussaint Louverture fut un républicain par la pensée et par les armes. Il ne combattait la France que lorsque l'esprit de la République en était absent ou trahi. Et quand, enfin, la France s'avança pour porter avec sincérité les idéaux des Lumières sous le visage du général Lavaux, Toussaint Louverture employa toute son habileté et son ardeur pour la défendre. Au nom de cet idéal de 1794 à 1800, il libéra Saint-Domingue de toutes les forces étrangères et réactionnaires. Patriote, il était absolument français, pleinement républicain. Soldat de la « France République », comme il le placardait sur les murs de Saint-Marc ou des Gonaïves. 

Il demeura fidèle à ses convictions jusque dans la tragédie. Jusqu'à devoir se séparer du destin de la France. En 1802, Bonaparte, voulant rétablir l’esclavage à Saint-Domingue, dépêcha 40 000 de ses meilleurs hommes. Toussaint Louverture comprit alors qu'il était perdu. Presque tous ses généraux et amis le trahirent un par un. Il combattit, pourtant, jusqu'au bout. Assiégé avec 1500 de ses frères d'armes dans la citadelle de Crête-à-Pierrot, il résista pendant des jours à plus de 12 000 hommes du consul. Bombardés, affamés, condamnés, les soldats de Toussaint Louverture chantaient la « Marseillaise », face aux troupes françaises venues rétablir la servitude. Le chant de la Révolution, pour rappeler aux envahisseurs qu'ils trahissaient de manière impardonnable l'esprit de la France républicaine. 

Oui, Toussaint Louverture fut républicain, comme chef d’armée et homme d'Etat. Contre les préjugés racistes de l'époque, il démontra, à qui en doutait, que ces esclaves méprisés, tenus pour moins que des hommes, pouvaient surpasser les soldats des plus puissantes nations d'Europe. « La couleur de mon corps nuit-elle à ma bravoure ? » demandait-il. 

Avant de subir la défaite que lui infligeait le premier consul, Toussaint Louverture n'avait jamais manqué à son devoir d'humanité. Contre ceux des siens qui entendaient se venger des Blancs de Saint-Domingue, il épargnait, amnistiait et cherchait la concorde. Contre son rival de lutte, André Rigaud, tenant d'un ordre privilégié pour les « libres de couleur » issus des couples de colons et d'esclaves, Toussaint Louverture défendît les droits des Blancs, des Noirs de tous. Peaux noires ou masques blancs, peu lui importait. Il évaluait la qualité des hommes, non par la couleur, mais par la grandeur. Il entendait bâtir une nouvelle Nation fondée sur l'égalité, la fraternité, l'amitié et le progrès. En somme, une République universelle. 

En cela, Toussaint Louverture est un héros. Talleyrand disait des hommes qu'ils sont des statues : il faut les voir en place. Ainsi Toussaint Louverture s'est-il imposé dans notre mémoire collective, et cette statue-là est indéboulonnable. Héros français, en son exemple universel, Toussaint Louverture appartient aussi au monde. Inspirateur des abolitionnistes américains, des luttes anticoloniales, soleil noir des indépendances et des révolutions. 

Parce que sa virtuosité militaire et son intelligence politique éblouirent ses contemporains. Stendhal a écrit de Bonaparte entrant dans Milan après le pont de Lodi que le général de la République venait d'apprendre au monde que César ou Alexandre avait un successeur. Défilant dans les rues de Cap-Français, Toussaint Louverture, lui aussi, se hissa à leur hauteur. Parce qu'il révéla à lui-même la force du peuple de Saint-Domingue, Toussaint Louverture fut le précurseur de la Nation haïtienne. C'est ainsi qu'il apparaît, aujourd'hui, à travers la diaspora d'Haïti, à travers les œuvres de ses historiens, de ses écrivains et des artistes. 

La grande leçon de Toussaint Louverture, enfin, est que l’aspiration des peuples à devenir une nation libre et indépendante, donc souveraine, finit toujours par s'imposer. Qu'elle défait un jour ou l'autre les armées d'invasion et d'occupation. 

Ainsi, Toussaint Bréda était devenu Toussaint Louverture. Bréda était le nom de sa plantation, comme c'était alors l'usage pour tout esclave. Toussaint Bréda gagna ce nom de Louverture au cours des combats qu'il organisait en dormant peu et en galopant partout. Intenable, d'une énergie physique et d'une ubiquité que ses opposants jugeaient presque magique, il perforait les lignes adverses, enlevait les redoutes, capturait les cités. « Cet homme fait donc ouverture partout », commentaient, sidérés, ses propres ennemis. 

Ce nom de Louverture, ses geôliers du Château de Joux reçurent l'ordre de l'en priver. Trahi, séparé de sa famille, livré au froid et à la solitude, éloigné de toute mère, il n'était plus appelé que Toussaint. Le simple fait de prononcer ce nom, Toussaint Louverture, est dès lors une réparation de l'outrage fait à un grand Français, car ce nom de Louverture résonne depuis longtemps au plus profond de notre mémoire. C'est pour cela que ce nom de Louverture fut donné, dès les années 1920, à une rue puis à un lycée de Pontarlier, dans les années 1970. Ce nom de Louverture, associé au Château de Joux, est au centre de la route des abolitions qui mène de Champagné à Chamblanc, s'étend jusqu'en Suisse. Ce nom, c'est celui que traçait, pour correspondre avec lui, l'abbé Grégoire. Emberménil en abrite la maison. 

Il fut ce nom, le remords et l'espoir de Victor Schoelcher, dont la famille était originaire de Fessenheim et qui permit, le 27 avril 1848, grâce à la deuxième République, le triomphe posthume d'un grand républicain créole. Aujourd'hui 27 avril, jour anniversaire, nous rendons aussi hommage à ces éclaireurs, à tous ceux qui précédèrent ou continuèrent l'œuvre de Toussaint Louverture. 

Oui, toute la route des abolitions converge, ici, au Château de Joux, dans cette « petite cellule, dans le Jura », revendiquée par Aimé Césaire dans un poème du Cahier d'un retour au pays natal, dédié à Toussaint Louverture, dans lequel il regrettait les « pays sans stèle » et les « chemins sans mémoire ». 

Notre pays, désormais, n'est plus dépourvu de stèle. Grâce à l'action de tous les bénévoles, de tant d'élus, de tant d'historiens, de spécialistes qui travaillent aux listes recensant les esclaves affranchis après 1848 et à l'accès libre qui est maintenant accordé. Ce travail permettra l'établissement d'un mémorial des victimes de l'esclavage, nouvelle stèle de notre œuvre de mémoire. 

La Fondation pour la mémoire de l'esclavage, désormais installée dans cet Hôtel de la Marine, où Schoelcher prépara le décret d'abolition, accomplit un travail indispensable de recherche et d'éducation. Elle est une autre de ces stèles vivantes et actives que Jean-Marc AYRAULT, qui la préside, et ceux qui travaillent à ses côtés à la préservation de cette mémoire de l'esclavage en soient remerciés. 

Ces stèles parsèment la route de l'abolition et le chemin de la mémoire. Et cette route, qui maintenant tisse nos paysages et notre territoire, n'a pourtant pas trouvé son terme. Cette route et celle de l'esprit de la République triomphant des préjugés, des réactions, des assignations. Or, le monde n'en a pas fini encore avec l'esclavage et les faits d'exploitation et d'asservissement viennent ici rappeler cet indispensable combat. Et notre route de mémoire et d'histoire n'est pas non plus terminée. C'est au nom même de ce combat qu'aujourd'hui nous adressons aussi le salut de la France aux femmes et aux hommes d'Haïti. 

Mesdames et Messieurs, lorsqu'il était interrogé sur ses chances de succès et alors qu'il était traqué par deux royaumes, quelques marines, trois nations, à la merci des espions et des conjurations, Toussaint Louverture assurait en créole de sa confiance : « doucement allé loin ». Cela signifiait : prendre le temps de l'éducation et du dialogue, de la concorde et du respect, mais viser haut. Ce mot, faisons-le nôtre. 

Je vous remercie. 

Vive la République et vive la France ! 

En marge de son déplacement au Château de Joux, le Président de la République s'est rendu au marché de Dole, dans le Jura, afin d'y rencontrer les habitants et commerçants. 

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