Il cherchait son inspiration dans le patrimoine du ballet, et au fil d’une carrière internationale de près de 70 ans, en était devenu l’un des maîtres contemporains. Avec la disparition de Pierre Lacotte, le lundi 10 avril, notre pays perd un artiste libre, qui se mouvait sur scène et entre les époques, internationalement reconnu et profondément attaché au génie français de la danse.
Né à Chatou le 4 avril 1932, il se dirigea encore enfant vers la danse, par passion pour la musique et goût des premiers ballets que lui emmenaient voir ses parents. Elève de l’école de danse de l’Opéra national de Paris à dix ans, « petit sujet » à quinze, premier danseur à vingt-et-un : Pierre Lacotte, qui fera de la vivacité son précepte de mise en scène, gravit les échelons de Garnier avec une rapidité inentamée. En 1951, ce fut la mise en lumière : Serge Lifar le choisit comme soliste pour « Septuor », avec Claude Bessy. Trois ans plus tard, en 1954, démissionnaire de l’Opéra de Paris, Pierre Lacotte réalisa un coup d’éclat avec « La nuit est une sorcière », succès mondial sur une musique originale de Sidney Bechet où la clarinette de jazz semblait envelopper et précipiter les mouvements des corps. Les succès s’enchaînèrent, au fil de créations issues de ses « Ballets de la Tour Eiffel » créés en 1956 et dont les représentations au Théâtre des Champs-Elysées marquèrent les esprits. Invité à danser avec Melissa Hayden à New York, sollicité pour des chorégraphies à Berlin ou Aix, devenu directeur des Ballets des jeunesses musicales de France, il créa alors aussi bien sur des musiques de Rameau, que d’Aznavour, Duke Ellington, Edith Piaf. Danseur indépendant, étoile sans attache, chorégraphe éclectique, Pierre Lacotte avait conquis sa liberté. En 1968, épousant sa complice Ghislaine Thesmar, et travaillant à l’écriture d’un livre sur le ballet romantique, Pierre Lacotte scella ainsi deux grands pactes avec son propre destin. Car dès lors, il deviendrait, aux côtés de son épouse, celui qui reprendrait fidèlement les œuvres oubliées du passé, pour restituer leur force au présent. Pierre Lacotte ne se contenterait plus d’exceller dans sa discipline : chorégraphe et historiographe, il en inventerait presque une nouvelle.
En 1971, il reconstitua ainsi « la Sylphide », créée en 1832 par Filippo Taglioni pour sa fille Marie, et perdue depuis. Avec ce ballet restauré et remonté, Pierre Lacotte suscita l’enthousiasme, tout comme Ghislaine Thesmar, sur scène, dans le rôle principal. Cette consécration ouvrit la voie à une série de reprises, sur toutes les scènes du monde : « Coppélia », le pas de six de « La vivandière », le pas de deux du « Papillon », chacune combinant lyrisme et minutie, romantisme et délicatesse. Ainsi, Pierre Lacotte reconstituait le répertoire pour le reconsidérer ; reprenait les formes originelles des œuvres pour faire apparaître le génie original de chaque créateur ; s’emparait des traditions pour formuler ses propres aspirations. En 1981, le « Marco Spada » d’Auber à Paris et Rome lui permit de mettre en gloire Rudolf Noureev. Les deux hommes s’étaient liés vingt ans plus tôt. Pierre Lacotte joua en effet un rôle décisif pour convaincre et aider le Russe au moment où celui-ci fit le choix de demeurer à Paris plutôt que de retourner en URSS. Si Noureev choisit la France, en miroir, Pierre Lacotte ne s’éloigna jamais, par le cœur et la création, de la Russie : formé lui-même par l’ancienne prima ballerina du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Lioubov Egorova, il donna à voir la grande tradition russe sur la scène du Bolchoï, ou, comme un symbole de son ascension, sur celle de ce même Mariinsky.
Passeur de mémoire, professeur d’excellence, Pierre Lacotte enseigna également au Conservatoire national supérieur et à l’Opéra de Paris. En duo avec Ghislaine Themar, il co-dirigea les Ballets de Monte-Carlo de 1985 à 1988, occupa en 1991 le poste de directeur artistique du Ballet National de Nancy et de Lorraine. En novembre 2021, à 89 ans, sa dernière création, à l’invitation d’Aurélie Dupont, fut le « Rouge et le Noir » pour le ballet de l’Opéra de Paris où Pierre Lacotte, comme un testament, signait une œuvre totale. Mise à part l’intrigue de Stendhal, il avait tout imaginé, avec cette fantaisie exigeante et cette rigueur sophistiquée qui étaient sa marque : costumes, décor et danse.
Le Président de la République et son épouse saluent la figure de celui qui, de la danse, avivait la mémoire et élargissait le répertoire. Ils adressent leurs condoléances émues à son épouse, Ghislaine Thesmar, à ses proches, et à tous ceux qui l’aimaient et l’admiraient.