Il était l’une des ultimes figures de l’épopée des Glières, et le dernier combattant de la compagnie de Louis Morel, celle défendant à la Milice du maréchal Pétain l’accès au plateau depuis Thorens. Edmond Maudière, héros de la Résistance intérieure, nous a quittés à l’âge de 96 ans.

Né à Ay, dans la Marne, le 9 novembre 1926, Edmond Maudière grandit avec ses quatre frères et sœurs. Encore adolescent, il choisit sans coup férir l’appel de la patrie en concourant aux activités de son père, qui, parlant couramment allemand, avait décidé de devenir agent de renseignement et de mettre au service de la France libre ses aptitudes et son courage. Membre du réseau « Avenir », ce dernier mourut en 1944. Les Allemands réquisitionnèrent la maison de la famille Maudière et tandis qu’ils s’apprêtaient à se saisir d’Edmond, il parvint à s’enfuir. Avec un camarade, Jacques Jouy, il rejoignit la résistance en Haute-Savoie.

Ce département avait vu, au début de 1944, ses maquis se regrouper sur le plateau des Glières, désormais assiégé et pourtant souverain. Car sous les ordres de Tom Morel et avec ses compagnons du 27e bataillon de chasseurs alpins, 465 hommes de toutes conditions et de tous horizons faisaient vivre une France libre, un plateau comme une redoute, où flottait, pour la première fois dans l’hexagone depuis 1940, la croix de Lorraine sur fond de drapeau tricolore. C’est aux Glières que le Royaume-Uni décida d’effectuer les premiers ravitaillements de la résistance intérieure.  En mars 1944, afin de permettre les parachutages d’armes, les troupes de Tom Morel prirent l’initiative et descendirent de leur bastion pour neutraliser les Groupes Mobiles de réserve de Vichy.

Entré en contact avec le colonel Bellanger, puis confié à Henri Paccard, agent de liaison entre les Glières et le reste de l’Armée secrète dans le département, Edmond Maudière parvint au plateau précisément dans ces jours terribles de mars 1944 : son arrivée coïncida avec l’offensive allemande sur les Glières. Pour les troupes d’occupation, le plateau devenait une enclave ennemie, et, pire, menaçait de prendre la dimension d’un espoir pour tout le continent. « Trois pays résistent encore en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie », annonçait Maurice Schumann sur Radio Londres. Aussi, les nazis mobilisèrent leur aviation, leur artillerie lourde, et 3 000 de leurs hommes, et confièrent à la Milice française la manœuvre par le côté de Thorens. Intégré à la section Le Chamois, sous les ordres de Louis Morel, dit « Forestier », Edmond Maudière prit part à la défense du secteur ouest du Champ Laitier, afin d’interdire l’accès au plateau par le Pas-du-Roc. Pendant trois jours, avec une disproportion de forces et dans des conditions insensées, les hommes des Glières tinrent bon. La section de Maudière garda sa ligne jusqu’au 26 mars. Mais là, encerclé, le front enfoncé, bombardé par la Luftwaffe, coupé de tout approvisionnement, le capitaine Anjot ordonna à tous ses hommes l’évacuation du plateau des Glières. Cette dernière fut une nouvelle épreuve : les Allemands suivaient les survivants, en se guidant à leurs traces de pas sur le manteau blanc de l’hiver, cette « clarté terrible de la neige » évoquée par Malraux aux Glières. Ainsi, pour leur perte mais aussi pour leur gloire, ces Résistants avaient foulé ce plateau. Ils avaient surtout laissé dans notre Histoire, une empreinte indélébile de sacrifice et de vaillance.

Edmond Maudière parvint à s’exfiltrer avec les hommes de Louis Morel, et retourna dans la Marne. Il n’abandonna pas pour autant la cause de la patrie. De même que la pratique de l’allemand avait permis à son père d’œuvrer pour la France, de même Edmond Maudière se servit de son bon niveau en anglais pour devenir agent de liaison dans la 5e armée américaine du général Patton. Dans cette famille aussi, chacun avait pour langue natale celle de la liberté.

Après la guerre, Edmond Maudière dut renoncer à ses études de biologie afin d’apporter un secours à ses frères et sœurs et à leur mère, veuve. Ce fils de la Marne trouva ensuite sa voie dans le Champagne, en tant qu’œnologue, et mena une brillante carrière qui le porta à la direction de Moët & Chandon aux Etats-Unis et en Australie, après avoir fondé le domaine de Napa en Californie.

Si Edmond Maudière appartenait par sa bravoure à la grande famille des Glières, il s’abstenait de tout épanchement. Ne manquant jamais une réunion de l’Association des Glières, il œuvrait pour la mémoire de ceux qui avaient choisi, au moment où la patrie était en danger, entre « vivre libre ou mourir », selon la devise des 465 héros.

Le Président de la République s’incline devant la mémoire de celui qui risqua sa vie pour un idéal français de liberté. Il adresse à sa famille, à ses proches, à tous ceux que le souvenir de ces silhouettes sombres sur une neige blanche et sous un drapeau tricolore a inspiré et inspire encore, ses condoléances émues.

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