Il avait prouvé que le style pouvait être populaire, et, sous des masques cruels, mélancoliques ou facétieux, il créait avec une virtuosité jamais démentie. Michel Deville, cinéaste tout à la fois inclassable et littéraire, qui fut un contemporain de la Nouvelle Vague sans jamais totalement y appartenir, s’est éteint le 16 février dernier à l’âge de 91 ans à Boulogne-Billancourt, sa ville de cœur.

En 1940, exilé dans la Creuse et âgé de neuf ans, Michel Deville déjà tuait le temps, cadrant, capturant, immortalisant avec ce qui n’était alors que son premier appareil photo. À l’adolescence, ce qui n’était qu’un passe-temps devint alors une passion : la Cinémathèque devint sa seconde maison, qui l’initia au cinéma, quelques années avant qu’il ne décroche son premier emploi d’assistant auprès d’Henri Decoin, qui lui apprit le métier de cinéaste. Seize années et treize films durant, ils cheminèrent ensemble.

En 1958, Deville, l’élève, prit la décision de s’émanciper de Decoin, qui avait fait de lui un maître en devenir. En 1958, son premier long-métrage, Une balle dans le canon, un film policier réalisé avec Charles Gérard, sortit en salles. Éconduit au début des années 1960 par Rohmer, ce fut sa complicité avec la scénariste Nina Companeez qui fut, jusqu’en 1971, l’aiguillon d’une production abondante, dominée par les comédies sentimentales baroques où se pressèrent les plus grands, bien souvent les plus grandes : Catherine Deneuve et Michèle Morgan, en 1968, dans Benjamin ou les Mémoires d'un puceau qui lui offrit son premier prix Louis-Delluc, Brigitte Bardot, dans L’Ours et la Poupée, en 1970, Françoise Fabian, Maurice Ronet et Jean Vilar, dans Raphaël ou le Débauché, l’année suivante.

Les années 1970, où il travailla en association étroite avec Rosalinde Damamme, sa future épouse, symbolisèrent par leur inflexion sombre, voire ténébreuse, l’époque de son arrivée à maturité artistique comme celle de sa reconnaissance critique. Le thème du suicide devint ainsi au cœur de deux films successifs, La Femme en bleu (1973), puis Le Mouton enragé (1978), où Jean-Louis Trintignant incarna le premier rôle. Dossier 51 (1979), tiré d’un roman d’espionnage de son ami Gilles Perrault lui valut son premier César, pour le scénario, et Péril en demeure, en 1986, son second, en tant que meilleur réalisateur. Son film le plus personnel, d’après lui, qui fut aussi son second prix Louis-Delluc, obtenu en 1988, se révéla être La Lectrice, où Miou-Miou s’emparait des textes de Jacques Prévert et du marquis de Sade.

Pour son dernier film, en 2005, il avait choisi d’adapter Un fil à la patte de Feydeau, monument de fantaisie théâtrale mâtiné de séduction, comme un manifeste pour l’éclectisme et le brio qui étaient sa marque de fabrique. Deville, qui écrivait aussi des poèmes, nous lègue une filmographie iconoclaste d’une trentaine de films, qui demeureront les fragments d’un certain esprit français, où, de Marivaux à Guitry, le goût de l’artifice est au service de la profondeur des sentiments. Volontiers discret, cet admirateur de Bergman, Orson Welles, Dreyer, pour qui chaque visage était un paysage, avait fait l’objet d’une rétrospective inédite à la Cinémathèque française, en 2019.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un hussard du cinéma, qui savait conjuguer les jeux de l’amour, chez ses personnages, et l’amour du jeu, chez ses acteurs, et dont les films ont marqué par leur élégance, leur charme, leur insolence, une part de nos imaginaires. Ils adressent à son épouse Rosalinde, ses proches, et à tous les amoureux du cinéma leurs condoléances attristées.

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