Fait partie du dossier : Traité de l'Élysée, 60 ans après.

À l'occasion du 60e anniversaire du Traité de l’Élysée, une cérémonie solennelle s'est tenue à la Sorbonne, au cours de laquelle sont intervenus le Président de la République Emmanuel Macron, le Chancelier Olaf Scholz, ainsi que les Présidentes de l'Assemblée nationale et du Bundestag, Yaël Braun-Pivet et Bärbel Bas.

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22 janvier 2023 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A L’OCCASION DE LA CÉLÉBRATION DU 60ÈME ANNIVERSAIRE DU TRAITÉ DE L’ÉLYSÉE.

Monsieur le Chancelier, Cher Olaf, 
Mesdames les présidentes du Bundestag et de l'Assemblée nationale, 
Monsieur le président du Bundesrat, 
Monsieur le vice-président du Sénat, 
Mesdames et Messieurs les ministres, 
Mesdames et Messieurs les parlementaires, 
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, 
Monsieur le recteur, 
Chers jeunes Allemands, Français, Européens,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Je suis très heureux, très heureux de vous retrouver pour célébrer comme vous venez de le faire à l’instant, tous trois, l'amitié franco-allemande entre nous, et avec vous, représentantes et représentants de nos parlements, nos gouvernements, nos sociétés civiles et nos jeunesses. 

Nos deux pays, jumeaux d'histoire et de destins, ont vécu tant d'années en miroir, dans la forge même de leur identité. Ils ont alterné pendant tant de siècles entre l'émulation, la fascination, la compétition. Unis sous la même couronne franque, jusqu'à ce que l'histoire ne les sépare – car il y eut,  mille ans avant les tranchées de Verdun, le traité de Verdun. Rivaux ou alliés, ennemis jusqu'à la déraison, au cours de l'époque où l'on comptait ce temps commun au rythme des guerres, avant, entre et après. Si bien que parler de l'Allemagne, pour un Français, c'est toujours parler d'une part de soi-même. 

Pourtant, il a fallu, pour accepter cette part respective d'altérité si proche, d'identité si confondante, l'acte fondateur que nous commémorons aujourd'hui. Le 22 janvier 1963, l'Allemagne de Konrad ADENAUER et la France du Général DE GAULLE accomplissaient un immense geste de courage. 

Ce jour-là, nos deux pays qui avaient été les plus âpres ennemis, décidaient de devenir les plus étroits alliés. Ils refermaient presque cent ans de guerre moderne et de tragédie universelle que nous rappellent encore aujourd'hui les rangées de croix s'étendant à l'infini dans nos cimetières militaires. 

Ce jour-là, en scellant leur réconciliation, nos deux pays décidaient d'ouvrir « toutes grandes les portes d'un avenir nouveau pour l'Allemagne, pour la France, pour l'Europe et par conséquent pour le monde », selon les mots du Général DE GAULLE. Soixante ans après sa signature, le Traité de l'Élysée demeure le socle de ce lien inaltérable, exemplaire entre nos deux pays, unis pour la paix, la liberté, la défense de nos valeurs démocratiques. Unis dans le rêve commun de l'Europe à la faveur de  mille fibres tissées d'une rive à l'autre du Rhin à travers ces routes millénaires. 

Oui, nous sommes toutes et tous aujourd'hui les enfants de ce courage, convoqué au-delà des épreuves, par une génération sur laquelle plusieurs fois la guerre avait laissé sa marque, qui refusait de léguer la fatalité du combat et du chagrin à la suivante et qui pour cela, fondait son espoir sur la jeunesse. Et nous devons à ces fondateurs de sans cesse enseigner à la génération suivante le chemin parcouru, d'expliquer et d'enrichir encore cette victoire de l'amitié, si parfaite aujourd'hui que ses racines douloureuses pourraient s'oublier. 

C'est pourquoi cette amitié se doit de ne jamais cesser d'être ce qu'elle est. Pour détourner une formule qui jadis était employée pour la France seule, mais que je convoque en ces lieux, pensant à Renan, pour nous deux : cette amitié est un « plébiscite de tous les jours ». 

Le geste fait il y a soixante ans était un geste de courage car il n'avait rien d'évident. Tout documentait dans les vies de chacun la nécessité de ne pas faire ou de faire le contraire. Les histoires de ces générations de fondateurs leur disaient le contraire et ils l'ont fait. Notre amitié et ce plébiscite de tous les jours reposent sur une volonté, une coopération, une confiance qui doivent irriguer l'ensemble de nos institutions, de nos sociétés, de nos forces vives. 

Mais jamais ce combat ne peut être, ni ne sera celui des fatigués, des habitués et de ceux qui ne regardent que le passé, jamais. C'est aussi pourquoi, il y quatre ans, à Aix-la-Chapelle, nous avons signé un nouveau traité d'amitié. Actant le succès historique de notre réconciliation permise par le Traité de l'Elysée, nous avons décidé d'approfondir notre intégration et nos convergences dans tous les domaines. Au service de l'Union européenne, de la paix, de nos transitions environnementales et numériques, pour les jeunesses de nos deux pays. Pour nos concitoyens qui vivent et travaillent de part et d'autre de nos frontières Et avec vous, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, grâce à l'Assemblée parlementaire franco-allemande instituée parallèlement au Traité d'Aix-la-Chapelle. 

Je voudrais, au-delà de ces initiatives que vous faites vivre, saluer la première promotion ici présente du programme « Génération Europe » porté par l'Office franco-allemand pour la jeunesse, illustration concrète de cette ambition, au cœur de nos Traités de l'Élysée et d'Aix-la-Chapelle, de compréhension mutuelle entre nos peuples et d'ambitions que vous aurez à aujourd'hui et demain. 

Mesdames et Messieurs et Monsieur le Chancelier vient de le dire parfaitement, cher Olaf, ce 60ᵉ anniversaire a une signification particulière, au moment où l'Ukraine résiste à l'agression de la Russie, où l'idéal de paix et de dialogue a été bafoué, où l'espoir même d'un ordre humaniste en Europe est menacé et où les dérèglements du monde bousculent tant de certitudes dans nos pays.

Face à ces périls, il nous faut plus que jamais porter l'idéal d'une Europe plus unie et pleinement maîtresse de son destin. 

Oui, cette Europe que nous avons défendue l'un l'autre : en septembre 2017 sous cette même coupole et vous-même, Monsieur le Chancelier, en août 2022 à l'Université Charles de Prague, dans cet autre temple des valeurs humanistes de notre Europe. Ce projet de renforcement de la souveraineté européenne a pris la force d'une nécessité et d'une évidence pour tous. À présent, l'Allemagne et la France partagent la responsabilité de le faire advenir dans tous les domaines avec leurs partenaires au sein de l'Union européenne. 

Nous avons su le faire face à la pandémie par une relance économique qui nous a permis une capacité d'investissement inédite à 27 et la mutualisation de dettes communes pour des investissements à venir, impensables quelques mois plus tôt. Nous l'avons décidé ensemble, Allemagne et France, quelques semaines après le début de la pandémie, pour que cela puisse advenir dès juillet 2020. 

Nous le faisons jour après jour pour la défense de l'Ukraine. Après le 24 février, notre Union ne s'est ni divisée, ni dérobée à ses responsabilités. Et notre soutien indéfectible aux côtés du peuple ukrainien se poursuivra dans tous les domaines. Nous avons soutenu l'Ukraine, sanctionné la Russie et, ensemble, sommes allés à Kiev pour ouvrir, là aussi, un chemin que, quelques semaines plus tard, notre Europe a consacré. Et nous continuerons à soutenir le choix clair fait par le Conseil européen de donner à l'Ukraine, comme à la Moldavie, le statut de candidat. Nous continuerons à les accompagner, ainsi que les autres pays candidats des Balkans occidentaux sur le chemin des réformes nécessaires. Cette responsabilité de l'Allemagne et de la France est aussi de renforcer la cohésion de l'ensemble de la famille européenne à travers la Communauté politique européenne. Et je vous remercie, Monsieur le Chancelier, du soutien que vous avez apporté à ce projet fédérateur à l’échelle du continent. 

Nous avons aussi su prendre les décisions qui s’imposaient pour nous-mêmes, pour la réduction de nos dépendances stratégiques, pour une Europe plus forte et souveraine en matière énergétique, technologique, militaire, industrielle, alimentaire. C’est l’agenda que nous avons désigné ensemble, en Européens, à Versailles en mars dernier. Et grâce à ces décisions, d’ores et déjà notre Union n’est plus la même. Et les choix faits ces derniers mois en matière de défense, en matière énergétique par nos deux pays sont des choix historiques qui nous permettront de continuer, d’avancer et d’aller plus loin. 

Mais le travail qui reste à accomplir est immense, pour atteindre notre objectif d’une Europe plus souveraine, plus démocratique et plus solidaire. Et cela ne dépend presque que de nous, Européens, de nos choix, des décisions que nous prenons et de celles que nous ne prenons pas. 

Alors, comme nos deux pays ont su le faire à chaque tournant de la construction européenne et – non que ce fût facile, bien au contraire – l'Allemagne et la France feront le choix de l'avenir. Vous l'avez parfaitement dit, cher Olaf à l’instant. Le couple franco-allemand est un couple pour lequel rien n'était écrit. Et si tout était simple, ce couple n'aurait ni à être célébré ni à constamment se réinventer. Il est grand quand il arrive en quelque sorte à bousculer la fatalité, à revisiter les intérêts d'un côté l'autre du Rhin et à bâtir un chemin plus grand que ceux qui le composent, celui d'une unité, d'une fusion entre nos peuples, nos histoires pour rendre notre Europe plus forte. C'est ce choix d'avenir qui est le nôtre aujourd'hui. 

Et l'Allemagne et la France, parce qu'elles ont défriché le chemin de la réconciliation, doivent devenir pionnières pour la refondation de notre Europe ensemble. 

Pionnières d'abord, pour bâtir ensemble un nouveau modèle énergétique par-delà nos différences. Nous devons encourager et accélérer au niveau européen les investissements publics et privés nécessaires à la transition écologique. Nous devons achever la diversification de nos sources et voies d'approvisionnement et encourager la production d'énergies décarbonées sur notre continent. 

Pionnières ensuite pour l'innovation et les technologies de demain, pour bâtir la prospérité, l'avenir écologique et le modèle social qui nous unit. Cela passe par l'accélération de nos convergences, la simplification de nos règles. Cela passe par une stratégie industrielle européenne ambitieuse qui assure la résilience de la production sur le sol européen par une stratégie « made in Europe » 2030. Comme nous l'avons l'un l'autre poussé pour faire de notre continent le champion de ces nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle. 

Pionnières, ensemble pour une Union européenne capable de s'assumer comme puissance géopolitique à part entière en matière de défense, en matière spatiale, en matière diplomatique.

Pionnières, enfin, pour une Union plus efficace, plus protectrice et qui défend ses valeurs. Car au fond, notre objectif de souveraineté est de s'assurer de tenir notre destin entre nos mains. Et nous devons le mettre au profit de nos valeurs communes, de notre modèle européen qui repose sur notre humanisme, notre attachement à la liberté et à la solidarité. Alors, achevons ensemble d'en faire en l'espace d'une génération, un espace de solidarité et de liberté, celle de penser, de créer, de voyager, d'entreprendre, d'innover, de rêver. 

Cette Europe pour laquelle, ensemble, Allemagne et France seront pionnières, est celle des universités, de la musique, de la littérature, de la création, des théâtres, de la culture. Cette Europe, c'est celle qu'ensemble nous voulons refonder. 

Et telle est notre ligne d'horizon en ce jour de célébration où nous réunirons le 23ᵉ conseil des ministres franco-allemand. Chers amis, l'itinéraire de fraternité que nos deux peuples ont su bâtir après s'être tant déchirés nous oblige. Le Traité de l'Elysée et l'aventure européenne étaient des pas inouïs que tout des habitudes et des facilités pouvait empêcher. Et c'est pourquoi, à mes yeux, ce jour ne doit pas simplement être celui d'une célébration, mais d'une promesse, d'un engagement, d'un appel, d'une ambition nouvelle. À l'heure où l'histoire semble sortir à nouveau de ses gonds, trouvons le ressort d'être à la hauteur de l'espoir que tous ceux qui nous ont précédés avaient placé en nous. Affrontons les périls du temps avec cet héritage de courage et d'imagination, avec ce devoir de fidélité à l'audace. Avec l'assurance que tout est possible si l'on demeure uni. 

Eh oui, cher Olaf, en célébrant ensemble aujourd'hui avec vous, Mesdames les Présidentes, Messieurs les Présidents et nos représentants des assemblées comme nos ministres, cet itinéraire fraternel à la Sorbonne, c'est que nous voulons bâtir une ambition nouvelle ici, dans ce lieu de savoir ici, à la Sorbonne, dans cette université qui porte le nom de son fondateur et celui d'un village des Ardennes dont les paysages ont vu les cendres de la guerre entre nos deux nations. Dans ce lieu de culture et de savoir où passèrent des érudits de toute l'Europe, de Thomas D'AQUIN à Albert de COLOGNE et qui inventèrent l'esprit universaliste du continent. Ici, dans ce lieu où l’on a toujours rêvé tout à la fois le patriotisme comme l'aventure européenne comme étant aussi un appel à l'universel. Ici, où par le savoir, l'apprentissage, la compréhension, les arts, on a toujours voulu bâtir l'amour de ce que nous sommes, nos héritages, à travers quelque chose de plus grand que nous. 

Et dans cette faculté qui honorera Ernst-Robert CURTIUS, un Allemand pleinement européen et qui, voilà cent ans, ne voulait pas se résoudre à éteindre son amour pour la littérature française. MANN a écrit des pages sublimes pour qualifier l'amitié entre CURTIUS et GIDE. Il a écrit qu'ils étaient « deux âmes dans une même poitrine ». Voilà une haute image de la complicité morale, de la fraternité de destin, de ce que nous sommes. Deux âmes dans une même poitrine. Elles ne se ressemblent pas et elles n'ont pas la même histoire, mais elles sont dans cette même poitrine et elles battent à l'unisson.  Deux âmes dans une même poitrine, c'est nous. 

Alors sachez toutes et tous ici aujourd'hui, pouvoir compter sur notre détermination ensemble à continuer à faire de l'amitié entre l'Allemagne et la France l'un des arbres de vie de la souveraineté européenne. Sachez que l’un l’autre, nous continuerons de faire avancer ce couple jadis impossible qui est le fruit simplement de la volonté, du courage et de la force et nous le ferons ensemble pour qu’à votre tour, vous, vous puissiez célébrer cette part d’histoire, mais surtout continuer de bâtir la vôtre en ayant tous les choix et la liberté en particulier de choisir votre avenir. C’est notre responsabilité pour vous. 

Vive l’amitié entre l’Allemagne et la France et vive notre Europe ! 

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