Avec Françoise Bourdin, c’est l’une des romancières préférées des Français qui disparaît.

Sans autre renfort que le retentissement de ses romans, au fil de son œuvre, Françoise Bourdin avait récolté l’attention et la fidélité de millions de lecteurs. Si elle fut souvent et injustement ignorée du milieu littéraire, ses ouvrages étaient des compagnons espérés d’évasion et de liberté pour un public aux proportions exceptionnelles. Ils nous parlaient de paysages familiers et d’émotions universelles, de vies simples et de sentiments irrépressibles, de personnages si bien campés qu’il semblait à chacun les connaître. Elle était la Reine des « histoires qui nous ressemblent » et dont l’accumulation dessine une grande fresque de la France comme elle est.

Faussement lisse, en réalité traversée par des ruptures spectaculaires ou sourdes, la vie de Françoise Bourdin ressemble à l’une de ses propres histoires. Elle qui demeura sa vie durant à l’écart de la célébrité et des médias, vit le jour en 1952 dans une famille fameuse : ses parents, Roger Bourdin et Géori Boué étaient des chanteurs lyriques reconnus et souvent pris par leurs tournées à travers le monde. La romancière grandit dans cette ambiance fantasque, telle une enfant de la balle. Un soir de Noël, le départ de sa mère fut un premier séisme dans l’existence de Françoise Bourdin et de celle de sa sœur. Le chagrin de cette absence maternelle et du désarroi paternel retrancha la jeune fille vers l’équitation, sa passion, et la littérature, sa vocation. Elle choisit en particulier la lecture des grands drames et des sagas françaises et dévorait Bazin, Troyat, Druon et Mauriac. Elle en retint, en vue de ses propres romans, la maxime d’un autre écrivain des désolations intimes : «Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon ». Agée de seize ans, son fiancé, cavalier, meurt lors d’une compétition hippique à Bâle. Françoise Bourdin en distilla la douleur dans le premier roman qu’elle écrivit, « Les Soleils mouillés ». Les éditions Julliard le publièrent en 1972, quelques années après avoir découvert Françoise Sagan, un autre « petit monstre » de la littérature française, avec qui Françoise Bourdin partageait outre le prénom et le succès, la précocité littéraire et le goût du sport automobile. Elle publia l’année suivante « De vagues herbes jaunes », qui sera adapté pour la télévision par Josée Dayan, puis interrompit brusquement sa carrière littéraire.

Vingt ans plus tard, voulant reprendre le fil de son œuvre, elle se heurta à l’indifférence des maisons d’éditions parisiennes. C’est lorsque Belfond lui fit à nouveau confiance que le phénomène Françoise Bourdin débuta. Des « Vendanges de juillet » en 1994, à son dernier livre paru, « Un si bel horizon », ses livres se vendaient chaque fois à 300 000 exemplaires. « Face à la mer » paru en 2018 atteignit même le double de cet étiage. Ces fresques familiales se prêtaient également à l’adaptation télévisuelle. « Terre Indigo » devint ainsi le feuilleton de l’été sur TF1 en 1996, ancrant encore les intrigues de Françoise Bourdin dans l’imaginaire collectif de la nation.

Françoise Bourdin vivait à Port-Mort, près de Gaillon, en Normandie, et se vouait avec une discipline de fer à l’écriture de ses ouvrages, qui paraissaient au rythme d’un ou deux par an. Ils étaient attendus par tout une cohorte de lecteurs, et inondaient aussitôt les étals des Maisons de la Presse, apparaissaient sur les murs des gares et sur les genoux des voyageurs des trains, trouvaient une nouvelle vie dans les bibliothèques municipales ou dans le catalogue de « France Loisirs ». Pour beaucoup de Français, leur lecture était un rituel autant qu’un plaisir. L’auteur parvenait à saisir un territoire – le Sud-Ouest de Peyrolles ou le Morbihan de « Rendez-vous à Kerloc’h », une profession, une époque ou un milieu, de la sylviculture des Landes chère à l’Ariane du « Testament », ou le journalisme des années 1980 qui éclot lors des « Années passion ». Elle savait, au fil de pages limpides, évoquer avec justesse toutes les choses de la vie. Ses personnages féminins, en particulier, sont chaque fois des modèles de courage et d’indépendance. Surtout, Françoise Bourdin semblait avoir le don de peindre une France ordinaire qui ne fait pas l’ordinaire des romans.

Françoise Bourdin n’avait jamais perdu le goût de la vitesse, en voiture de course ou à cheval. Elle a procuré à travers ses livres de telles émotions fortes à ceux qui la lisaient, en peintre des vies chambardées par des échappées belles, des passions fulgurantes. Le Président de la République et son épouse saluent une figure des lettres, dénuée de prétentions mais munie de la plus grande des ambitions : bouleverser et éclairer par l’écriture. Ils adressent à ses deux filles, Fabienne et Frédérique, à ses proches, à ceux qui l’accompagnaient dans son travail, leurs condoléances émues.

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