Le 12 juillet 1906, la cour de cassation rendait à Alfred Dreyfus les biens les plus précieux de l’honnête homme : son innocence, sa liberté, sa dignité et son honneur.
Douze ans après le déclenchement de « l’affaire » triomphaient enfin, à travers le capitaine Dreyfus, l’esprit des Lumières, les principes de 1789 et la promesse républicaine.
Dès le lendemain, la Chambre des députés votait la réintégration d’Alfred Dreyfus dans l’armée, au grade supérieur, ainsi que celle de Marie-Georges Picquart le premier de ses défenseurs, dans les formes apparemment identiques. Ce même vote lui attribuait également la Légion d’honneur, dont il fut décoré le 21 juillet suivant, au sein de l’Ecole militaire où il avait été dégradé en 1895.
Jusqu’à la fin de sa vie, en 1935, Alfred Dreyfus considéra comme injustes les conditions de sa réintégration. Mais, en dépit de cette situation, il continua d’être fidèle à l’esprit de la République comme à sa personne. De même qu’il avait enduré avec un héroïsme stoïque les épreuves terribles d’une détention sur l’île du Diable qui mettaient sa vie en danger, il se refusa toujours à désespérer de la République, de la Patrie et de l’Armée. S’il quitta cette dernière en 1907, il y revint sans hésitation quand éclata la guerre de 14, y acheva en 1918 sa carrière militaire en lieutenant-colonel et officier de la Légion d’honneur. Cependant, jusqu’au dernier jour, il attendit et espéra que lui fût rendu un grade qu’il estimait avoir perdu en 1906. En vain.
Les défenseurs de Dreyfus, les glorieux Dreyfusards, eux, avaient estimé en 1906 avoir fait leur devoir. La justice et la vérité avaient terrassé l’arbitraire et le mensonge. Le combat pour la République et les droits de l’Homme et du Citoyen, combat contre l’antisémitisme et les anti-Dreyfusards, était victorieux. Enfin !
Le Dreyfusisme avait vaincu et là résidait l’essence du combat.
Afin de parvenir à ce but, les Dreyfusards avaient d’abord dû se résigner à contraindre le cours du destin de Dreyfus.
En effet, en 1899, après le second procès mené contre Dreyfus à Rennes, le chef de l’Etat Émile Loubet, soutenu par le chef du gouvernement Waldeck-Rousseau, proposa à Alfred Dreyfus de lui accorder la Grâce présidentielle.
Cette proposition déchira les partisans du capitaine dégradé. Les uns plaidaient, au nom du réel, qu’il fallait accepter la grâce, pour sauver l’homme. Les autres plaidaient, au nom de l’idéal, qu’il fallait refuser la grâce, pour sauver la Justice.
« On ne gracie que les coupables ! » disaient Clemenceau, Jaurès, Zola et Laborie.
« Il faut que Dreyfus vive ! » disaient Mathieu Dreyfus, Millerand, Reinach et Demange.
Chacun d’entre eux explora pour lui-même les tréfonds de la conscience humaine. Et à la fin des fins, chacun, de bon gré ou non, se résigna au compromis : oui à la grâce mais sans renoncer au combat pour la vérité : l’innocence du capitaine Dreyfus.
Ce compromis entre idéal et réel imprégna par la suite le combat judiciaire et politique qui aboutit, in fine, au vote de la loi de 1906 réintégrant Dreyfus dans des conditions qu’il jugea inadéquates quant à sa carrière militaire.
Il n’est personne aujourd’hui qui puisse s’arroger le pouvoir de trancher le débat qui agita entre eux les partisans de Dreyfus. Regarder l’Histoire en face, c’est reconnaître que seul Zola peut dialoguer avec Mathieu Dreyfus, Clemenceau avec Waldeck-Rousseau, Laborie avec Demange, Reinach avec Picquart. Cette affaire est à jamais leur affaire.
Désormais, seule importe la reconnaissance de la Nation à l’œuvre de justice de ces hommes de bonne volonté. Ils inventèrent ensemble le Dreyfusisme, l’intégrant à jamais à la République, en conformité avec les principes initiés dès 1789.
C’est le Dreyfusisme qui mit la vérité en marche sans que rien ne puisse l’arrêter.
Hélas, la filiation des héritiers des anti dreyfusards, antirépublicains et antisémites du début et du milieu du XXe siècle ne s’est jamais éteinte. Nous savons qu’il faut toujours faire preuve de vigilance et persévérance contre ces vieux démons antisémites engendrés par la haine. Et aujourd’hui plus que jamais.
Voilà pourquoi nous devons conserver et entretenir l’élan vital du Dreyfusisme. Que chacune et chacun soit fidèle à la leçon de Péguy. Le Dreyfusisme est cette mystique qui ne doit céder en rien à la seule politique.
Soyons des gardiens vigilants et persévérants de la mémoire d’Alfred Dreyfus et de ses défenseurs, à l’heure où l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi visant, 90 ans après sa mort, le 12 juillet 1935, à accorder à Dreyfus, de manière absolument exceptionnelle, ce qui fut inaccessible de son vivant. In fine, le Parlement, souverain, en décidera, en responsabilité. Tous et toutes doivent aussi conserver présent à l’esprit que la promotion dans les grades militaires procède de circonstances avérées du temps présent, pour les vivants ou pour ceux qui viennent de tomber pour la France de manière exemplaire. Le président de la République, chef des Armées, est le garant de l’application de cette règle dont nul ne peut contester le bien-fondé.
Quoi qu’il en soit, la Nation sait qu’elle doit bien davantage encore à Dreyfus, aux Dreyfusards et au Dreyfusisme.
C’est pourquoi, à l’occasion l’an prochain du 120e anniversaire de la reconnaissance de l’innocence du capitaine Dreyfus, nous décidons que la date du 12 juillet sera inscrite au calendrier de nos commémorations nationales.
Désormais, chaque 12 juillet, se tiendra une cérémonie de commémoration pour Dreyfus, pour la victoire de la justice et de la vérité contre la haine et l’antisémitisme.
Ainsi, Alfred Dreyfus et ceux qui combattirent à travers lui pour la Liberté, l’Egalité et la Fraternité continueront d’être l’exemple qui doit inspirer notre conduite.
Vive la République !
Vive la France !
Emmanuel Macron
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