La chanteuse Linda de Suza est décédée ce mercredi à 74 ans. Au fil de ses deux millions de disques, elle magnifia par la musique ce destin franco-portugais qui était le sien, et dans lequel beaucoup pouvaient se reconnaitre.

Celle qui fut célébrée comme une reine des années 80 commença son existence très loin des ors du spectacle, dans une région rurale du Portugal de Salazar, au sein d’une famille de huit enfants où les ressources manquaient. Aussi dut-elle quitter l’école à onze ans, pour travailler comme femme de ménage puis comme ouvrière. À 24 ans, fuyant la chape étouffante d’une famille qui acceptait mal qu’elle ait eu un enfant sans être mariée, elle préféra gagner Paris avec son fils, sans parler un mot de français. Elle l’apprit en quelques mois grâce aux romans-photos du magazine Nous-Deux, et pratiqua tous les petits métiers pour élever son enfant.

Son courage devait trouver une récompense inespérée. Chez Louisette, la guinguette des puces de Saint-Ouen où elle travaillait comme serveuse, elle fredonnait des airs de Dalida entre deux services. Son timbre de velours fut bientôt remarqué. Soudain les horizons s’élargirent : par bouche à oreille, elle attira l’attention de Claude Carrère, qui lui fit signer un contrat.  À trente ans, sur le plateau de Michel Drucker, elle remplaça en dernière minute Claude François qui venait de mourir. Ce fut un triomphe, qui la propulsa dans la cour des grands. Didier Barbelivien, Pascal Auriat ou Charles Aznavour se mirent à écrire pour elle des chansons, Jean-Claude Petit les harmonisa. Son autobiographie inspira une comédie musicale, puis une série. Elle-même peina à en croire ses yeux quand elle vit trôner son nom en lettres écarlates à l’affiche de l’Olympia, où elle chanta quinze jours de suite à guichet fermé.

Le secret de sa fulgurante ascension, sans doute, tenait à son authenticité. De son expérience intime du déracinement, elle tirait des mélodies qui touchaient les cœurs, teintées des accents de ce fado traditionnel auquel elle empruntait sa nostalgie poignante.  Si « Dans ma valise en carton » fut l’un des titres les plus écoutés de son répertoire, c’est aussi qu’elle le chantait avec tout son être, elle qui avait franchi clandestinement les Pyrénées avec son petit garçon de quatre ans et son unique bagage. « L’Étrangère », c’était un peu elle encore, la fille qui « pleurait, en passant la frontière, ses illusions perdues et sa patrie qu'elle a laissée derrière. » Son public lui vouait un attachement profond que les années ne purent entamer, même quand elle s’éloigna de la scène, avant de revenir sous les projecteurs grâce aux tournées d’« Âge tendre et tête de bois ».

Au carrefour de deux cultures, de deux langues, traduisant en portugais ses plus grands succès français, elle s’affirma comme une icône des destins croisés de nos deux peuples, et parraina le Portugal lors de son entrée dans l’Union européenne en 1986. 

Le Président de la République et son épouse saluent cette chanteuse de talent qui bâtit des ponts entre le pays où elle avait commencé sa vie et celui où elle l’acheva, en cette Normandie qui lui était chère. Ils adressent à son fils, à ses proches et à tous ceux qu’émurent ses chansons, au Portugal comme en France, leurs condoléances sincères.

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