Le petit Nicolas est orphelin. Sempé a passé le crayon à gauche. La tendresse de son regard et la grâce de son trait, reconnaissables entre mille, nous lèguent une poésie sans mots, des histoires sans paroles faites de lignes et de couleurs, qui chantaient la gaieté de l’enfance, le quotidien des villes et les rêves d’une époque. 

Petit, à Pessac, Jean-Jacques Sempé tentait par tous les moyens d’échapper aux disputes incessantes de ses parents qui tournaient parfois au pugilat. La rêverie, la musique, et le dessin lui vinrent en secours. L’école aussi, contrepoint salvateur au marasme du foyer, dont ses planches exalteront les joyeux chahuts. 

À force de chahuts un peu trop joyeux, le voilà à 14 ans renvoyé du collège pour indiscipline. Livreur à bicyclette, courtier en vins, représentant en dentifrice, valet de chambre, chacun des métiers auxquels il s’essaya lui tendit une nouvelle lorgnette pour voir les hommes et le monde. Son regard s’affûta, son trait s’affina, et dès 1950, à 18 ans à peine, il enluminait les colonnes de Sud-Ouest Dimanche. 

Mais une idée fixe le taraude : Paris. Il s’engage dans l’armée afin de décrocher un passeport pour la capitale. Là, tout l’enchante : le grouillement des rues, la gaieté des cafés, le va-et-vient du métro et des bus. Alors à la discipline militaire, il préfère vite les distractions parisiennes, se promène au jardin du Luxembourg, fréquente les clubs de jazz, s’attable dans les brasseries de Saint-Germain où il côtoie Jacques Tati et Jacques Prévert avec lesquels il partage l’humour rêveur et le goût de l’enfance. 

Par un bel après-midi de printemps, il fait une rencontre qui change sa vie : René Goscinny devient son premier ami, son complice d’imagination. Les deux hommes vont former un tandem à deux têtes et quatre mains, débordant de poésie et d’humour. Ensemble, pendant dix ans, ils inventent les aventures d’un jeune écolier en culotte courte, le petit Nicolas, puisant dans leurs souvenirs et leurs rêves d’enfance pour raconter ses récrés et ses vacances, ses petits ennuis et ses grandes amitiés. 

Les journaux lui ouvrent grand leurs pages et bientôt leurs unes. De France Dimanche à Paris Match, de Télérama au Figaro, en passant par le Nouvel observateur et l’Express, Sempé devient l’un des dessinateurs les plus réclamés de France. 

Du premier, Rien n’est simple, au dernier, Sentiments distingués, les éditions Denoël publieront les quelques cinquante albums de sa carrière : les histoires de Marcellin Caillou, Raoul Taburin et Monsieur Lambert, ses hymnes à Paris et à New York, ses odes à la virtuosité des musiciens et à la liberté des cyclistes. 

Son talent enjambe la barrière des langues et des océans : il devient une star du New Yorker, signant plus d’une centaine de couvertures de l’emblématique hebdomadaire américain en quatre décennies. Il y peint la ville immense, ce vertige à l’envers qu’elle provoque en lui.  Ses planches sont peuplées d’humains minuscules perdus dans l’immensité de la nature ou de la ville, de scènes de spectacles et de scènes de ménage, de chats indolents et de bibliothèques opulentes. 

Sempé croquait les gens et les ans avec une plume toujours tendre, jamais acide, un ton amusé qui écartait la gravité, sans rien en lui qui ne pèse ni ne pose. Mais de ce trait fin comme un cil qui ridait à peine la blancheur du papier, il parvenait à cerner une époque, à faire vivre un regard.
Le Président de la République et son épouse saluent l’un des observateurs les plus tendres du siècle, un fabuliste qui se passait de morale, et souvent de mots. À son épouse et sa famille, à ses admirateurs, ils adressent leurs condoléances émues. 

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