« La reine de la nuit », « la Grande Zoa », « la Fréhel de Montparnasse », elle avait mille surnoms, mais on ne l’on n’appelait que par son prénom : après des décennies à illuminer la nuit, Régine s’est éteinte hier, nous léguant des airs à fredonner et un certain art de vivre.

Conçue en Argentine, née en Belgique, cette fille de juifs polonais avait grandi en France, ballottée de pensions en pensions, après que son père eut perdu la boulangerie familiale au poker. Durant la Seconde guerre mondiale, elle se cache à Aix-en-Provence puis Lyon, doit changer de nom et de religion, tombe amoureuse de Claude, le neveu du grand rabbin qui lui offrait un refuge. Mais alors que le jeune homme vient de la demander en mariage, il est arrêté par la Gestapo et assassiné en déportation.

Alors au lendemain de la guerre, comme pour prendre sa revanche sur cette jeunesse douloureuse, Régine va faire de sa vie une longue fête. Elle prête main forte à son père dans son bar de Belleville, devient une créature noctambule, s’étourdit de danse et de musique jusqu’au bout de la nuit, régnant bientôt sur un club du Palais-Royal, Whisky à gogo, en femme-orchestre, tout à la fois serveuse et chauffeuse de salle, videuse et dame pipi. Elle crée des soirées bien à elle, faisant place à la danse en aménageant une piste au sol ciré où se reflètent des boules à facettes, troquant les juke-box pour les tourne-disques, disc-jockey avant l’heure, inventant ce qu’on appellera quelques années plus tard les discothèques. Françoise Sagan scelle peut-être son destin en la sacrant alors « reine noire de nos nuits blanches ».

En 1956, dans l’effervescence de Saint-Germain-des-Prés, elle ouvre sa propre boite de nuit, Chez Régine. Puis le New Jimmy’s à Montparnasse où le tout-Paris, vedettes, gens de lettres, hommes d’affaires ou oiseaux de nuit viennent boire, manger, et danser sur des airs venus d’Amérique, le twist ou le cha-cha-cha. Elle essaime en France et dans le monde une vingtaine d’autres haut-lieux de la nuit, reprend le Palace, ouvre des restaurants, lance des parfums, étendant son empire dans les capitales du monde, de Paris à New York, de Monte-Carlo à Rio, du Caire à Buenos Aires.

La nuit était son royaume : elle aimait sa temporalité suspendue, quand « le temps », disait Française Sagan, « pouvait s’échapper des horloges ». Dans ses palais nocturnes, on croise Maurice Chevalier, Maria Callas, Charles Aznavour, Yves Saint Laurent, Rudolph Noureev ou Sacha Distel, tous ceux qui, après la longue nuit de l’Occupation, n’ont plus sommeil. Ses soirées prennent parfois de faux airs de salons littéraires : Françoise Sagan, Jean Cocteau, Truman Capote, Henry Miller y refont le monde en rivalisant de traits d’esprit.

Sa gouaille parisienne et son énergie de feu inspirent les plus grands compositeurs qui lui écrivent des textes sur mesure : Nounours de Charles Aznavour, Les P’tits Papiers, de Serge Gainsbourg, La Grande Zoa, de Frédéric Botton, Gueule de nuit de Barbara ou encore L’aspire-à-cœur de Modiano, qu’elle chantait avec la verve des chanteuses réalistes mais avec un panache qui n’appartenait qu’à elle, avec son grand boa en écharpe et sa chevelure incandescente.

Elle était partout où brillaient les lumières, dans ses clubs, sur les scènes de l’Olympia, de Bobino, des Folies Bergère ou du Carnegie Hall, et jusque sur nos écrans, dans Mazel Tov de Claude Berri, Le Train de Pierre Granier-Deferre ou Les Ripoux de Claude Zidi.

Régine, enfin, qui se targuait de ne dormir que trois heures par jour, fermait rarement les yeux, mais tendait toujours la main, s’engageant avec générosité, fondant SOS Drogue International et présidant SOS Habitat et Soins.

Le Président de la République et son épouse saluent une grande figure de la nuit parisienne et de la chanson française. Ils adressent à sa famille, à tous ceux qui ont dansé « chez Régine », à tous les Français qui aiment entonner ses chansons, leurs condoléances émues. 

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