Il était le doyen de l’Académie française et l’homme le plus espiègle de la Coupole. Le romancier, dramaturge et poète René de Obaldia nous a quittés à l’âge de 103 ans.
Il se disait surpris d'être né, surpris d'atteindre son grand âge, surpris même d'être lui, écrivain immortel. Peut-être devait-il une partie de sa grâce au perpétuel regard d'étonnement qu'il portait sur le monde. Son enfance ne fut certes pas des plus banales : né à Hong Kong, entre une mère française et l'ombre d'un père consul de Panama disparu en Chine profonde, il fut élevé en France par une grand-mère picarde. L'étonnement confina parfois au désarroi existentiel, et la tourmente de la Seconde Guerre mondiale lui valut quatre années de captivité silésienne, dans un stalag gelé où il remplissait des wagons de charbon jusqu'à l'épuisement. Les années d'après-guerre marquèrent la floraison de son talent littéraire, qu'il exprima d'abord comme parolier de chansons, puis très vite, dans des récits et des romans. Ses pièces, Du vent dans les branches de sassafras, un « western de chambre », Génousie ou Monsieur Klebs et Rozalie, qui réinventèrent le théâtre de boulevard, consacrèrent le dramaturge, tandis que les recueils Innocentines et Sur le ventre des veuves dévoilèrent son talent poétique.
Romancier, dramaturge ou poète, c'est toujours en esthète qu'il écrivait, avec une attention aux sons et aux rythmes héritée sans doute de ses années de chansonnier. Ce bonheur des mots chez Obaldia était inséparable de son goût de la facétie et du cocasse. Il y avait chez lui, dans son œuvre, une irrévérence qui était devenue sa marque de fabrique, et il se faisait un motif de fierté de n'être pas sérieux, d'emprunter à l'enfance son insolence cristalline, à l'image de ses poèmes qui frisent la comptine.
Mais le rire ne signifie ni l'insouciance ni l'aveuglement ; il demande parfois un surplus de courage, une force vitale qui n'a rien de puéril. Celui qui organisait, au fin fond des camps de travail nazis, des courses de poux, nous a montré combien l'humour pouvait prétendre à la grandeur de la tragédie. « L'humour, c'est une surabondance de gravité », disait Obaldia. Le jeune homme qui, à sa libération, découvrit avec horreur l'existence de camps d'extermination, resta toute sa vie hanté par le mystère du mal, atterré par la violence qu'il disait voir s'installer dans nos sociétés. Son rire savait être lucide sans jamais être amer. Il était une décision, un acte de foi, et sans doute la recette de sa sagesse.
Traduit en trente langues, l’œuvre d’Obaldia avait trouvé public à son envergure. La vieillesse ne lui faisait pas peur, pas plus que la mort. « Je vais bientôt me quitter », annonçait-il en guise d'adieu à la fin de son ultime ouvrage. Il s’est quitté aujourd’hui, en effet, mais il nous a tant laissé, de bons mots en pensées profondes, que, nous, il ne nous quittera plus.
Le Président de la République et son épouse saluent le départ de ce génie des mots. Ils adressent à ses proches, ainsi qu'à tous ses lecteurs, qu'il appelait ses « chers obaldiens », leurs condoléances attristées.