Elle était l’une des pionnières de l’art abstrait en France. Geneviève Asse, dont les toiles épurées ont été accrochées sur les cimaises des plus grands musées, s’est éteinte mercredi, à l’âge de 98 ans.

Geneviève Asse vit le jour en 1923 dans la cité des Vénètes, à Vannes. C’est là, sur les rives de la petite mer bretonne, entre la baie de Quiberon et la presqu’île de Rhuys, qu’elle se prit de passion pour la peinture, si puissamment que lorsque ses camarades de classe jouaient dans la cour de récréation, elle préférait, elle, apprendre à peindre, seule, en parfaite autodidacte.

À la fin des années 1930, elle découvrit, dans le Paris vibrant des Années folles, les grandes figures de l’avant-garde, Georges Braque et Robert Delaunay, et affuta son coup de pinceau à l’École nationale des arts décoratifs avec des nus, des paysages et des natures mortes, souvent inspirés de Cézanne ou de Chardin.

Dans le Paris de l’Occupation, elle fit le choix de la Résistance. Elle fut d’abord agent de liaison dans les rangs de l’armée des ombres, transportant des messages au péril de sa vie de l’état-major des FFI à celui du général Leclerc. Elle servit ensuite comme ambulancière dans la 1ère D.B. du général Touzet du Vigier, au sein du 15ème bataillon médical. Avant la démobilisation, elle se porta encore volontaire pour aller libérer les prisonniers du camp de concentration de Theresienstadt. Dans ce voyage jusqu'au bout de l'horreur, elle conserva toujours contre son cœur une image du tableau de Cézanne Le Vase Bleu, comme un condensé d'art, de lumière et d'espoir.

Après la guerre, elle plongea à corps perdu dans la peinture comme pour laver de lumières et de couleurs les heures sombres qu’elle venait de traverser. Sa première grande exposition individuelle, en 1954, à la galerie parisienne Michel Warren, lui ouvrit les portes d’une reconnaissance internationale : ainsi suivirent une cinquantaine d’expositions, l’œuvre de toute une vie, dans le monde entier, de Paris, à Bergame, Genève, New-York, Londres, Montréal, Caracas, Milan ou encore Varsovie.

Sous l’influence de quelques-uns de ses amis, peintres, comme Nicolas de Staël et Pierre Soulages, ou écrivains, comme Samuel Beckett ou Yves Bonnefoy, elle releva le pari de l’abstraction, en cherchant tout simplement à faire vibrer la lumière dans un étroit spectre de couleurs.
Le bleu était sa signature. Pas n’importe quel bleu : un bleu plein de clarté, illuminé de l’intérieur, hésitant parfois entre le blanc et le gris, comme un ciel d’automne, un bleu dont la tendresse et le mystère attirent le regard. Ce bleu était si singulier qu’il lui était propre et avait même fini par porter son nom : on disait le « bleu Asse » comme on dit le « bleu Klein », aux quatre coins du monde.

Dans ce bleu où se fondent la terre, le ciel et la mer, Geneviève Asse retrouvait les reflets turquoise et azurés du golfe du Morbihan, des rives de l’Île-aux-Moines, où elle avait élu domicile. C’est là, dans les miroitements de la lumière bretonne, qu’elle puisa l’inspiration de certaines de ses plus belles œuvres, comme Paysage de Bretagne (1966) ou Rhuys (1995).

Parmi tous les honneurs qu’elle avait reçus, il en est un qui l’avait particulièrement ému : Vannes, sa ville de naissance et de cœur, lui avait récemment rendu hommage en consacrant un étage entier du musée de la Cohue à ses œuvres, aux côtés de toiles d’Eugène Delacroix ou de Claude Monet. Ses tableaux sont exposés jusque dans le Palais de l’Élysée : l’une de ses toiles, Atlantique, illumine désormais le salon des Ambassadeurs, hommage de la République à une femme au courage héroïque et au talent immense, qui avait reçu en 2014 les insignes de grand-croix de la Légion d’honneur.

Le Président de la République et son épouse saluent l’engagement d’une grande résistante et l’œuvre d’une artiste majeure de notre époque. Ils adressent ses condoléances à sa famille, à ses amis, ainsi qu’à tous ceux qui ont un jour été saisis devant les bleus mystérieux de Geneviève Asse.

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