Il était l’un des plasticiens français dont l’œuvre avait la plus vaste résonance internationale : l’artiste Christian Boltanski nous a quittés le 14 juillet, à l’âge de 76 ans. De la peinture à la photographie, de la sculpture aux vastes installations immersives, son travail entrelaçait les silences de l’oubli et les spectres de la mémoire, la beauté de la vie et l’angoisse de la mort, et puisait à sa propre histoire pour parler de l’universel humain.

De son père, un médecin juif, de sa mère, une écrivaine corse, de toute sa famille, Christian Boltanski, né quelques jours après la Libération de Paris, reçut en héritage un cortège d’ombres, qui hantèrent l’homme mais nourrirent l’artiste : celles de la Shoah, qu’il n’avait pas vécue, mais à laquelle son père avait échappé par miracle, caché sous le plancher de l’appartement familial durant plus d’un an.

Mauvais élève, Christian Boltanski fuit très jeune les bancs de l’école et trouva refuge dans la peinture, qu’il apprit en autodidacte. Il avait à peine 24 ans lorsqu’il réalisa sa première exposition, à Paris, en 1968, dans une veine figurative et des médiums traditionnels, huile ou gouache, à rebours de l’abstraction qui régnait alors. Puis son originalité se déplaça vers la photographie, l’écriture, le cinéma, la sculpture, qui devinrent durant un demi-siècle la palette de sa mythologie personnelle, qui s’exposa dans les musées du monde entier, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et au Japon notamment, en France aussi naturellement, tout particulièrement au Centre Pompidou qui lui fit les honneurs de deux grandes rétrospectives, en 1984 et en 2020. 

En contrepoint de la grande mémoire qu’écrivent les historiens en greffiers scrupuleux, lui sculptait dans l’espace et la matière la « petite mémoire », une mémoire affective, personnelle et collective, mi réelle mi fantasmée. Face à l’érosion implacable de la vie, il savait son œuvre condamnée au « ratage annoncé », au recommencement infini. Aussi était-elle, tout entière, une immense vanité.

Mais les gestes les plus désespérés sont souvent les élans les plus beaux ; et Boltanski, inlassablement, sédimentait les souvenirs de son enfance dans des boites vitrées (Vitrine de référence, 1972), changeait six cents boîtes de biscuits de fer blanc en un mur de « coffres forts » pleins chacun des petits trésors et des grands secrets qui font une vie (Les Archives de C.B., 1965-1988), amoncelait sous la coupole du Grand Palais douze tonnes de vêtements abandonnés par ceux qui les avaient portés (Personnes, 2010). Dans l’écart entre ce geste et son fatal échec surgissait la beauté de sa quête, grandeur d’un Sisyphe capable de changer son fardeau en art.

Son œuvre porte en creux l’empreinte obsessionnelle de la grande Faucheuse, sa compagne d’angoisse et d’inspiration, et le sceau brûlant des visages oubliés de l’Holocauste, qui le suivirent toute sa vie comme des reliques. Il en fit la matière de l’installation Menschlich, en 1994, qui réunissait dans une même pièce 1200 photographies d’officiers nazis et de juifs déportés. Mais l’antienne lancinante de la mort était chez lui le contrepoint d’un hymne à la vie, rythmée par le son de milliers de cœurs qu’il faisait battre à l’unisson sur une île du Japon ou par les cris du vent de Patagonie s’engouffrant dans de grandes trompes métalliques en imitant le chant des baleines.

Son « œuvre ultime », disait-il, était ce pacte faustien passé avec un collectionneur australien qui avait acheté les dernières années de sa vie en viager pour avoir le droit de la filmer et de la retransmettre sans discontinuer, incorporation absolue de la vie à l’œuvre et de l’œuvre à la vie qui parachevait son combat contre l’oubli.

Le Président de la République et Brigitte Macron saluent un géant de la création artistique contemporaine, et adressent leurs condoléances attristées à Annette Messager, son épouse, animée par la même quête artistique transdisciplinaire, à sa famille, à ses amis ; à tous ceux, enfin, qui ont un jour été émus par les œuvres de ce créateur, dont le souffle continuera d’animer des générations d’artistes.

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