L’universitaire Marc Ferro s’est éteint ce jour, laissant le souvenir d’un résistant courageux, d’un homme engagé et d’un historien brillant. Avec une originalité d’approche et une érudition exceptionnelles, il s’était penché sur l’histoire des deux guerres mondiales, de la Russie, de la colonisation et du cinéma.

Cette curiosité sans frontières qu’il professa pour l’histoire du monde, il la devait peut-être au panaché de nationalités qui coulait dans ses veines. Son père était italien et grec, sa mère juive ukrainienne, et lui-même naquit à Paris, la veille de Noël 1924. Mais son ouverture était avant tout le fruit d’un humanisme que ne purent pas émousser les noirceurs des hommes, et d’une passion de l’histoire qui s’aviva dans ses fureurs les plus terribles. Encore lycéen, il fuit l’antisémitisme du Paris de Vichy sur les conseils de son professeur de philosophie, Maurice Merleau-Ponty, et poursuivit des études d’histoire à Grenoble. Bientôt, il ne s’agit plus de l’étudier mais de la faire, d’infléchir le cours sinistre qu’elle avait pris, qui provoqua la mort de sa mère en déportation. Refusant de se laisser enrôler dans le STO, il posa ses livres et sa plume, et entra en résistance. 

Dans le Maquis du Vercors, les connaissances de ce certifié d’histoire-géographie lui permirent de déchiffrer les cartes d’état-major et de suivre les mouvements ennemis. Le bastion fut décimé par les Allemands mais le Débarquement de Provence délivra ses survivants. Marc Ferro suivit alors les hommes de Patch et de Tassigny jusqu’à Lyon pour prendre part à la Libération de la France. 

Il reprit ensuite le fil de ses études d’histoire. Une véritable vocation pour lui qui, à 12 ans déjà, avait écrit en 30 pages le récit d’une période de l’histoire de France, de la guerre de Cent Ans à Jeanne d'Arc. Il est heureux que Marc Ferro ait été si certain de son destin qu’il ne se laissa pas décourager par ses sept échecs successifs à l’agrégation d’histoire. Avec une ardeur inentamée, il continua à enseigner sa discipline à Paris puis à Oran où il prit la mesure de l’oppression coloniale et s’engagea en faveur de l’indépendance algérienne. 

En fait de sésame universitaire, il se tourna vers le doctorat, entamant un travail de longue haleine sur la révolution russe de 1917, dans lequel il soutenait que la révolution prolétarienne ne fut pas tant l’œuvre, comme on le croit souvent, des ouvriers que des paysans, des femmes, et des soldats. Il tira ses analyses du déchiffrage patient d’archives de papier mais aussi du visionnage minutieux de bobines de film, une première dans le champ de la recherche historique. Il voyait dans les actualités filmées comme dans les films de fiction un contrepoint aux sources écrites, la projection d’une histoire incarnée, la restitution en mouvement, en image et en son des temps révolus, et il savait tirer de ces pellicules du passé un savoir qu'avant lui on ne leur soupçonnait pas, qui complétait, nuançait, parfois même contredisait l'histoire écrite. 

Les plus prestigieuses écoles, les plus grandes revues ouvrirent toutes grandes leurs portes ou leurs pages à cet érudit qui embrassait si largement l’histoire du XXe siècle et qui avait un don pour mettre le passé en récit. D’abord professeur à l’Ecole polytechnique, puis Directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, il co-dirigea aussi la célèbre revue des Annales. L’historien ne se laissa toutefois jamais enfermer dans une tour d’ivoire universitaire. Il fut un merveilleux passeur, racontant aux Français l’histoire du XXe siècle. Sur la Sept, puis sur Arte, il anima durant douze ans l’émission Histoire parallèle, soucieux de transmettre sa passion et son savoir au plus grand nombre, de faire sortir l’histoire des grimoires et des amphithéâtres. Il devint alors le professeur d’histoire de la France entière. 

Le Président de la République salue un esprit éclairé qui a écrit l’histoire l’arme au poing pendant la guerre, puis la plume à la main tout au long de sa carrière universitaire. Il adresse à sa famille, ses proches et ses anciens élèves ses condoléances attristées. 

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