Bertrand Tavernier aimait le septième art sous tous les angles : en spectateur, en critique, en érudit, en producteur, en scénariste et en metteur en scène. Il avait, disait-il, « le cinéma dans le sang ». 

Né à Lyon, la ville des frères Lumière, le berceau du cinéma, Bertrand Tavernier fut pourtant abreuvé de mots plus que d’images durant son enfance. Fils de l’écrivain et résistant René Tavernier, voisin de Louis Aragon et Elsa Triolet, il en hérita le goût des livres et de l’engagement. C’est seulement à 12 ans, lorsqu’il fut envoyé dans un sanatorium pour soigner une tuberculose, qu’il découvrit son premier film, Dernier Atout de Jacques Becker. Un éblouissement fondateur qui détourna le cours de sa jeunesse, lui faisant courrir les salles de quartier, fonder un ciné-club, et dévorer les revues spécialisées. Jean-Luc Godard disait de Bertrand Tavernier qu’il était comme lui « un enfant de la Libération et de la Cinémathèque ». 

L’affamé de pellicules devint l’assistant de Jean-Pierre Melville, un attaché de presse passionné défendant bec et ongles les films qu’il aimait, un critique à Télérama, aux Cahiers du cinéma et à Positif, l’auteur d’ouvrages amoureux du cinéma français et américain. 

Puits de sciences, féru d’histoire, d’arts et de lettres, il était le symbole de la cinéphilie à la française. Et comme la génération de la Nouvelle Vague qui avait fait ses classes de cinéma la plume à la main plutôt que caméra au poing, Bertrand Tavernier passa des écrits aux écrans. Mais il se tourna résolument, pour sa part, vers le grand public, préférant faire ses films en artisan inspiré plutôt qu’en artiste maudit, goûtant moins les expérimentations formelles et les techniques de pointe que les sujets amples et les histoires fortes. 

Lui qui aimait tout le cinéma en embrassa tous les genres. On lui doit de grandes fresques historiques en costume (Que la fête commence ou La Princesse de Montpensier), des polars sombres (L627), des satires sociales (Coup de torchon), des films de guerre (Capitaine Conan), des œuvres de cape et d’épée (La Fille de d’Artagnan) et des comédies politiques (Quai d’Orsay). Il savait aussi bien raviver l’épopée flamboyante des mousquetaires, faite d’algarades et de cavalcades, que croquer avec humour les travers des hommes politiques, s’interroger avec gravité sur l’utilité et l’honneur des guerriers ou sur la passion amoureuse prise dans les rets du pouvoir. Sa caméra s’immisçait aussi dans les fêlures vives de la société, drogue, pauvreté, délinquance, avec une lucidité qui semblait parfois prémonitoire, à voir La Mort en Direct où le beau visage souffrant de Romy Schneider devient l’icône des dérives du voyeurisme médiatique. Et quand le tragique de l’histoire dépassait la fiction, il la rendait par des documentaires : La guerre sans nom ou Histoires de vies brisées donnaient voix aux oubliés de la guerre d’Algérie.

Par son œuvre récompensée de cinq César, d’un prix Louis Delluc et d’un BAFTA, d’un Lion et d’un Ours d’Or, mais aussi par son engagement à faire vivre le patrimoine cinématographique, notamment aux côtés de Thierry Frémeaux, en tant que Président de l’Institut Lumière de Lyon depuis sa création en 1982, Bertrand Tavernier était devenu une figure tutélaire du cinéma français. Il était digne des maîtres qu’il célébrait dans sa dernière œuvre, Voyage à travers le cinéma français, ode aux cinéastes qui avaient éclairé son chemin, avant qu’il ne reprenne leur flambeau pour devenir à son tour l’inspiration des générations nouvelles. 

Il y a des hommes-orchestres, Bertrand Tavernier, lui, était un homme-cinéma. Le Président de la République et son épouse saluent un artiste qui a servi le septième art à la fois en penseur et en passeur, en spectateur inlassable et en créateur inclassable. Ils adressent à sa famille, ses proches, leurs condoléances émues. 
 

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