Figure tutélaire de la scène littéraire française, l’emblématique patron des éditions Grasset durant trois décennies, Jean-Claude Fasquelle, s’est éteint à l’âge de 90 ans.

Il était né au milieu des livres, dans une famille d’éditeurs. Son grand père Eugène, qui fonda les éditions Fasquelle à la toute fin du XIXe siècle, avait publié Maupassant, Daudet et Zola, tandis que son père Charles avait couvé des livres de Marcel Pagnol et Jean Rostand. À seulement 23 ans, on lui confia les rênes de la maison familiale. Lui qui n’était pas convaincu de vouloir faire ce métier, dévora bientôt les manuscrits, découvrit l’excitation particulière d’être le premier lecteur d’un texte, de dénicher de nouveaux auteurs, de les défendre, de les suivre ensuite dans la durée, d’accompagner le développement de leurs projets et la maturation de leur génie. Oui, Jean-Claude Fasquelle était bien fait pour cela. Il en eut vite et la certitude, et le talent. Avec flair, il sut attirer à lui des écrivains qui ne trouvaient pas leur place ou du moins leur voix chez ses confrères. Dans « Libelle », la collection qu’il fonda comme un rempart au moralisme qui s’emparait selon lui des autres maisons littéraires, il permit aux « hussards » Roger Vailland, Michel Déon, Antoine Blondin ou Bernard Frank d’aiguiser leur plume et de décocher leurs flèches dans des pamphlets sans concession. 

En 1959, la maison Fasquelle fusionna avec Grasset. Lui qui portait le patronyme de la petite maison qui s’était fondue dans la grande échappa à l’effacement qui frappa son nom. Mieux, dix ans plus tard, Jean-Claude Fasquelle dirigeait l’enseigne sise au 61 rue des Saints-Pères, d’abord en tant que directeur général, puis comme PDG. Il lui tailla une identité nouvelle, avec ses couvertures jaunes au grain épais, et sa police de caractère reconnaissable entre mille. 

Surtout, durant près d’un demi-siècle, Jean-Claude Fasquelle édita, dénicha, exhaussa des livres de René de Obaldia, François Weyergans, Amin Maalouf, Marc Lambron, Frédéric Beigbeder, Yann Moix, Virginie Despentes… Inlassablement, bec et ongles, il défendait « ses » auteurs et pouvait régulièrement s’enorgueillir de les voir récolter des moissons de lauriers après la saison des prix. Par ses choix et sa pugnacité, Jean-Claude Fasquelle fit de Grasset une maison qui compte, capable de rivaliser avec les plus grandes, et dont les ouvrages pouvaient désormais, comme les leurs, se parer d’un bandeau rouge à l’automne. 

Avec sa seconde épouse, Nicky Jegher Fasquelle, il dirigea également le Magazine littéraire pendant plus de 30 ans, gardant ainsi des yeux et des oreilles sur tous les débats du temps et sur les plumes pleines de promesses, qu’il invitait aussitôt repérée à venir s’abreuver à l’encrier de Grasset. 

Jean-Claude Fasquelle aimait les livres, de tous les genres et de tous les registres. Il ne boudait nullement les livres populaires, loin s’en faut. Il fut par exemple à l’origine des mémoires de Brigitte Bardot, Initiales B.B., vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde en 1996. 

Ce polyglotte capable de lire des manuscrits aussi bien en français qu’en anglais, allemand, italien et espagnol aimait passionnément toutes les littératures. Ses lectures, ses goûts, ne connaissaient pas de frontière. Et il comptait parmi ses plus grands faits d’armes d’avoir été l’éditeur français de prédilection de Gabriel Garcia Marquez, Umberto Eco et Truman Capote. 

A la charnière de l’an 2000, après 47 ans d’édition au plus haut niveau de passion et d’exigence, il laissa son fauteuil à Olivier Nora, qui l’occupe toujours. Il confia à ce dernier une institution puissante et prestigieuse, qu’il avait su hisser sur le même plan que ses grandes concurrentes, comme Gallimard ou le Seuil. 

Le Président de la République et son épouse saluent la carrière d’un grand éditeur français qui fit rayonner certains de nos meilleurs auteurs et qui nous ouvrit le cœur et l’esprit à des littératures venues d’ailleurs. 
 

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