Un monstre sacré de la scène et des écrans français nous a quittés. Robert Hossein, l’homme qui souleva d’émotion 300 000 spectateurs au Stade de France, non pour du sport, mais pour de l’art, avait su placer la culture au cœur de la cité. Acteur, scénariste et réalisateur, comédien, metteur en scène et créateur de grands spectacles, il vécut toute sa vie sur les planches de théâtre et les plateaux de tournage, endossant tous les costumes et toutes les casquettes, embrassant les sujets les plus vastes et osant les styles les plus grandioses. 

Né d’un père persan compositeur et d’une mère russe comédienne, il grandit dans une famille bohème, où l’appel de l’art méritait tous les sacrifices. Errant de pension en pension, il s’échappait du huis clos quotidien par une imagination débordante : se rêvant héros, justicier ou bandit, il inventait des intrigues nourries par les livres qu’il dévorait, comme par les films et les pièces qu’il allait voir en cachette. Ecumant les cours de théâtre, il monta pour la première fois sur les planches à 19 ans, et connut une ascension fulgurante dans l’effervescence du Saint Germain-des-Prés des années 60, en jouant et mettant en scène les créations de ses amis Genet ou Sartre, tout comme ses amours littéraires d’enfance, Victor Hugo en tête. 

Son talent conquit vite le grand écran. D’abord figurant pour Sacha Guitry, il travailla pour Yves Allégret, Nadine Trintignant ou Roger Vadim dont il était un des acteurs fétiches. Sa foisonnante filmographie mêle les bijoux intimistes comme La Musica de Marguerite Duras aux grands succès comme les cinq volets d’Angélique, Marquise des Anges où il prête ses traits au ténébreux Jeoffrey de Peyrac, qui émut toute une génération. Au fil de ses cent films, il incarna l’homme sous toutes ses facettes, serra dans ses bras les plus belles femmes, de Brigitte Bardot à Claudia Cardinale, endossa les satins de Don Juan et l’uniforme des nazis, la soutane du prêtre et la robe du travesti. 

Tout aussi prolifique derrière la caméra, il offrit ses lettres de noblesse au film noir à la française, en lui donnant les accents du drame psychologique avec Toi le Venin, les teintes d’un western crépusculaire avec Une corde... Un colt..., ou les attractions du mystère et du suspense avec un film policier comme Point de chute, qui met en scène Johnny Hallyday dans une ambiance hitchcockienne. Robert Hossein fut aussi un maître de l’adaptation littéraire : sa version des Misérables lui valut un César et l’admiration unanime de la critique et du public. 

En 1971, au faîte de sa célébrité, il quitta Paris pour créer à Reims un théâtre populaire, qui devint l’écrin d’une de ses plus grandes fiertés théâtrales, Crime et Châtiment. Son infatigable créativité fut récompensée par des salles combles et par le label de théâtre national. Il poursuivit ensuite son épopée au théâtre de Paris puis au théâtre de Marigny. Robert Hossein revendiquait avec fierté le qualificatif de théâtre populaire, dont on le taxait parfois avec condescendance. En pionnier de la déconcentration et de la démocratisation de la culture, il veillait à rendre le théâtre accessible à tous, par la pratique de tarifs bas, par l’adaptation de monuments comme Steinbeck, Shakespeare ou Lorca plutôt que d’auteurs de pointe, et en préférant l’émotion à l’heure de la distanciation : « Le chemin que j’emprunte monte du cœur à la tête et non le contraire », disait-il. Dans le même élan, il osait le spectaculaire, avec des pièces tout en sons et lumières, qui convoquaient le cinéma mais aussi la musique et la danse. 

Ses créations sur Ben-Hur, Bonaparte, Jules César ou De Gaulle claquaient au grand vent de l’histoire, puisant au plus profond de notre imaginaire commun. Entre ses mains, la légende des siècles surgissait des grimoires universitaires et se dressait toute vive sur la scène ou sur l’écran. L’ardeur et l’idéalisme de ses spectacles tenaient sans doute à cette soif de transcendance qui l’animait. Lui qui se fit baptiser à l’aube de ses cinquante ans ne craignait pas de prendre la vie de Jésus ou les apparitions de Lourdes pour sujet de ses créations. Car cet éternel mélancolique cherchait toujours par son art à « entraîner le plus de monde possible vers l’espoir ». 

Jusqu’à la fin, l’enthousiasme, le goût des projets et de la création ont accompagné Robert Hossein. Le Président de la République et son épouse saluent avec émotion un artiste complet qui sut rassembler les Français autour des monuments de leur culture et de grandes joies partagées. Ils adressent à son épouse et ses fils, comme à sa famille du cinéma et du théâtre, leurs condoléances attristées. 


 

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