La haute-couture française est orpheline de son doyen et de l’un de ses esprits les plus avant-gardistes. Pierre Cardin, qui avait inventé certaines des silhouettes les plus iconiques du siècle, s’est éteint à l’âge de 98 ans.

Né Pietro Cardini, il était le dernier des dix enfants d’un couple d’agriculteurs transalpins qui fuirent l’Italie de Mussolini. Comptable à la Croix-Rouge et apprenti tailleur dès l’adolescence, il découvrit l’art d’aligner les chiffres et les boutonnières. Mais il aspirait plutôt à briser les lignes, sentant son crayon bouillonner de silhouettes, ses mains fourmiller de formes et de matières. S’il ne pouvait s’empêcher de garder dans un coin de sa tête la prophétie d’une voyante qui lui avait prédit que son nom flotterait aux quatre vents du monde, il croyait plus encore en son travail et en son talent. Arrivé à Paris en 1945, il fit ses preuves chez Jeanne Paquin, Elsa Schiaparelli, puis Christian Dior, où il participa à l’élan du New Look. Cinq ans plus tard, il ouvrait sa propre maison et en fit le fer de lance d’une mode atypique et futuriste, à nulle autre semblable, qui n’eut de cesse d’inspirer les générations suivantes, notamment Jean-Paul Gaultier, son assistant et son émule.

Jouant des ciseaux et des épingles comme d’autres du burin et du marteau, il façonna alors des silhouettes hybrides qui tenaient du robot et de la bulle, du scaphandre et du papillon, à l’image de ses robes à hublots ou à cerceaux, aux couleurs vives et aux volumes sculpturaux. Pourfendeur de l’uniformisation vestimentaire dont le jean était pour lui l’étendard détesté, il pensait l’habit en artiste, raisonnait volume, espace, sans jamais se sentir contraint par la forme naturelle du corps, qu’il voyait comme une toile blanche. Loin d’épouser les silhouettes, ses habits les modelaient.

Pierre Cardin avait aussi l’ambition d’embrasser des champs toujours plus vastes. Aussi s’engagea-t-il en pionnier dans la voie du prêt-à-porter et dessina-t-il la première collection de haute-couture pour hommes. Par le système de la licence, qu’il fut aussi le premier à mettre en place au milieu des cris d’orfraie des maisons de couture scandalisées, il apposa son nom sur des parfums comme sur des poupées et des boîtes de chocolats, et fit de même avec la marque Maxim’s qu’il inclut à son empire. Les frontières géographiques ne le retinrent pas davantage que les sectorisations économiques. Il fut en Inde, au Japon, en Chine, un ambassadeur de la couture française porté aux nues. Non content de bousculer les codes de la mode, il pratiqua la diplomatie à sa manière, organisant un défilé de mode au cœur de la Cité Interdite dans les années 70, coup d’éclat renouvelé sur la Place Rouge pour la Fête de la jeunesse universitaire.

Sa hardiesse fit de ses œuvres des icônes du design exposées dans les musées. Elles dialoguèrent avec tous les arts, du cinéma, dont il habilla les stars et dessina les costumes, à l’architecture, car sa villa sur la Riviera, le Palais Bulle, écrin de ses défilés, était un hymne futuriste à l’art contemporain. Pierre Cardin fut aussi un inlassable mécène de la création artistique, de la danse à l’opéra, et racheta le château de Lacoste, ancienne propriété du marquis de Sade, pour y fonder un festival annuel d’art lyrique et de théâtre. Ambassadeur de bonne volonté auprès de l’ONU, il disait que sa raison d’être était d’essaimer pour servir le plus grand monde possible.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire d’un créateur singulier dont les vitrines à deux pas de l’Élysée leur rappellent quotidiennement le génie visionnaire. Ils adressent à ses proches comme à tous ceux qu’il habilla ou qu’il inspira leurs condoléances sincères.

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