Une mémoire de la Seconde Guerre mondiale et de la déportation s’est éteinte. Survivant des camps d’Auschwitz et de Dachau, Maurice Cling fut, sa vie durant, un infatigable témoin. Une voix revenue d’entre les morts, comme une supplique adressée aux générations futures.
Né en 1929 à Paris, de parents juifs d’origine roumaine, naturalisés français, il est un adolescent dans la guerre, qui voit la patrie qui avait accueilli sa famille minée par la défaite, rongée par l’antisémitisme. Dès mai 1942, les Cling commencent à subir mille et unes petites et grandes persécutions destinées à les broyer : l’étoile jaune, les wagons de métro réservés, les insultes quotidiennes. Mais lorsqu’on l’oblige à placarder « Jüdisches Geschäft » (« entreprise juive ») sur la devanture de sa boutique de couture, son père riposte en exposant les médailles militaires qu’il avait obtenues comme engagé volontaire de la guerre de 14, ce sacrifice de sang qui lui avait valu de devenir français.
Cependant la machine de haine s’emballe. Le 4 mai 1944, ses parents sont arrêtés chez eux, et sa mère, ignorant le sort terrible qui les attend, demande à ce qu’on aille également chercher ses deux fils au lycée Lavoisier, croyant les protéger. C’est ainsi que Maurice est raflé en classe, le jour de ses quinze ans. D’abord internés tous les quatre à Drancy, ils sont déportés à Auschwitz le 20 mai, par le convoi n° 74. Dès leur arrivée, ses parents sont assassinés dans les chambres à gaz. Son ultime soutien, son frère de dix-sept ans, Willy, lui est arraché en octobre. Il ne le reverra plus.
Malgré les travaux harassants et la solitude lancinante, malgré le froid, la faim et le typhus qui le tenaillent, il survit à Auschwitz, puis réchappe à la marche de la mort qui mène les prisonniers à Dachau. Au fond du gouffre, il connaît les mains tendues, les gestes de fraternité d’hommes et de femmes qui lui offrent une miche de pain ou une nuit dans un lit d’infirmerie. En avril 1945, les portes de l’enfer s’ouvrent enfin sur la paix, sur la liberté. Et sur un douloureux travail de deuil et de mémoire pour celui qui est le seul survivant de sa famille, et que hantent à jamais des yeux hagards et des corps décharnés.
Mais aux camps de la mort, Maurice Cling oppose la revanche de sa vie. De retour en France, il reprend ses études, entre à l'École normale supérieure de Saint-Cloud, devient angliciste et professeur des universités. Il aime, fonde une famille, a quatre fils. Et il commence à témoigner, avec précision, lucidité, s’effaçant toujours lui-même, ne relatant son drame personnel que pour rappeler la tragédie collective. Lui l’enseignant, si apprécié de ses élèves, sait combien la parole libère, combien la connaissance grandit, même la plus douloureuse, et combien la transmission est vitale. Sa vie est désormais dédiée à la mémoire de la Shoah. Ce témoignage, il le vit, au sein de l’Amicale d’Auschwitz, puis de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, dont il est président-délégué, ainsi qu’au conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de la Déportation. Il l’écrit, dans un ouvrage qui raconte son enfance volée, l’humanité bafouée, Un enfant à Auschwitz. Et il le filme, avec ses fils, Daniel et Pascal, qui réalisent en 2005 le documentaire « Il faudra raconter ».
Ses obsèques seront célébrées dans l’intimité ce vendredi aux Invalides, dont il était pensionnaire depuis deux ans.
Le Président de la République s’incline avec reconnaissance devant l’engagement de ce pédagogue infatigable, de cet auteur limpide, de ce grand témoin. Il adresse à sa famille, ses proches et ses lecteurs ses condoléances émues.