Les Français ne connaissaient pas toujours son nom, mais ils reconnaissaient son visage qui illuminait les scènes et les écrans. Le comédien Michel Robin, superbe second rôle au cinéma et figure de premier plan à la Comédie-Française, nous a quittés avant-hier à l’âge de 90 ans. 

Né en 1930 à Reims, dans une ville encore balafrée par la Grande Guerre et qui va bientôt connaître les affres de l’Occupation, le jeune Michel commence le théâtre très jeune, dès 7 ans, comme pour jouer dans d’autres mondes, dans d’autres temps, dans d’autres vies. Sur la scène du salon familial ou autour des feux de camp scouts, avec la troupe fraternelle, dans des décors de papier crépon, il adapte des farces du Moyen ge et des bagatelles pour histrions.

À ce jeune homme qui n’aime rien tant que le jeu, on conseille néanmoins d’étudier le droit. Il s’exécute à regret, pensant qu’il lui manque la beauté de Gérard Philippe pour faire de la scène son métier. Il perd ainsi quelques années à ne pas y croire, à ne pas oser. Pourtant, à Bordeaux, il passe moins de temps sur les bancs des amphithéâtres que sur les planches de son club de théâtre. Sa professeure décèle en lui un feu singulier et, alors qu’elle répète toujours à ses élèves qu’on ne vit pas de jouer, elle l’exhorte à tenter sa chance à Paris.

Il s’inscrit au cours Dullin, passe six ans dans la célèbre troupe de Roger Planchon au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, puis rejoint la tout aussi fameuse compagnie Renaud-Barrault. Il donne vie aux personnages des plus grands dramaturges français et étrangers, d’hier et d’aujourd’hui, Musset et Molière, Shakespeare et Gogol, Dumas et Brecht. Il vit son rêve au prix d’un quotidien taraudé par la pauvreté, de chambres exiguës et de maigres repas.

Mais au fil de cette existence bohème, son jeu s’affine et sa passion grandit. En 1970, Roger Blin orchestre sa rencontre avec Beckett, et lui confie le rôle de Lucky dans En attendant Godot. Une révélation. A jamais son auteur de prédilection. Dix ans plus tard, il incarne Clov dans Fin de partie. À rebours de son titre, c’est la pièce de sa vie et le rôle de son cœur, de ceux qui confirment une vocation et consacrent un talent.

Le cinéma et la télévision jettent leur dévolu sur ce visage doux et facétieux. Il tourne avec Costa Gavras, Doillon, Zulawski, Chabrol et Jeunet. Il est le curé des Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury, il est Pipe, le vieux paysan assoiffé de liberté qui sillonne les routes de son pays sur son vélomoteur dans Les Petites Fugues d’Yves Persin, il est le PDG dont la fille est enlevée et qui charge un comptable fantasque de la retrouver dans La Chèvre de Francis Veber, il est le vieux père de l’épicier dans Amélie Poulain ou encore Isy dans la série à succès Boulevard du Palais.

Les honneurs arrivent, d’abord le grand prix d’interprétation du Festival de Locarno en 1979, puis un Molière pour son rôle dans La traversée de l’hiver de Yasmina Reza l’année suivante. À 60 ans passés, à l’âge où les autres partent à la retraite, il connait une nouvelle consécration : il est engagé dans la troupe de la Comédie-Française. Dans la maison de Molière, pendant quinze ans, il brille chez Marivaux, Ionesco, Hugo et Feydeau, Rostand, Jarry et Tchekhov, et brosse à 70 ans un Bourgeois gentilhomme inoubliable et attendrissant dans sa quête de savoir et de jouvence.

Le Président de la République et son épouse saluent un comédien qui a fait vivre avec talent des centaines de grands textes et de beaux personnages, et adressent à sa famille, ses proches, ainsi que tous ses partenaires de jeu leurs sincères condoléances. 

 

 

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