Gisèle Halimi s’est éteinte après une vie ardente de combats qui ont changé la condition des femmes en France. Avocate, militante et femme politique franco-tunisienne, elle avait lutté sur tous les fronts pour faire progresser la cause féminine, le droit et la justice.

Sa vie durant, sa plus grande ambition fut de rendre aux femmes le pouvoir qui leur revient. Cette soif de justice prit sa source très tôt dans son histoire personnelle : ses parents, tunisiens pauvres d’origine juive et berbère, furent si déçus d’accueillir une fille plutôt qu’un deuxième fils qu’ils ne se résolurent pas à annoncer la nouvelle à leurs proches avant deux semaines. Il leur était impossible alors – on était en 1927 – de croire qu’une femme pouvait choisir son destin et changer celui des autres, éclairer les esprits et combattre les injustices.

Dès son plus jeune âge, Gisèle Halimi dut obstinément conquérir sa liberté, bravant tous les haussements de sourcils, tous les regards désapprobateurs, pour aller jouer au foot pieds nus dans les rues de Tunis. Rebelle à la règle familiale, elle lisait en cachette des nuits entières à la lueur d’une veilleuse. Sa ténacité et son intransigeance étaient tels qu’elle déclara trois jours de grève de la faim à treize ans pour ne plus être forcée de faire le lit de son frère, et qu’elle refusa le bon parti que lui faisaient miroiter ses parents pour continuer ses études grâce à la bourse qu’elle avait décrochée. Au sein du foyer déjà, elle savait avoir gain de cause : à 18 ans, elle partit ainsi étudier le droit, les lettres et les sciences politiques à Paris, avant de revêtir en 1948 à Tunis la robe d’avocat, qui fut son armure pour livrer combat dans les prétoires. 

Sa voix s’éleva alors pour défendre les syndicalistes tunisiens, puis plaida d’une rive à l’autre de la Méditerranée pour l’indépendance de son pays et celle de ses voisins, condamnant les exactions commises par la France durant la guerre d’Algérie et sauvant de la mise à mort des militants du Mouvement national algérien (MNA) et du Front de libération nationale (FLN). De ses plaidoiries, elle fit des manifestes politiques, et de sa révolte une révolution. A l’aube des années 1970, elle cofonda avec Simone de Beauvoir, dont elle était proche, le mouvement « Choisir la cause des femmes » et signa le Manifeste des 343, 343 femmes qui réclamaient la légalisation de l’avortement, qu’elles déclaraient courageusement avoir pratiqué en violation de la loi, prenant ainsi jusqu’au risque de l’emprisonnement. L’année suivante, elle obtint la relaxe de Marie-Claire, une jeune fille de 16 ans jugée pour avoir avorté après un viol, gravant dans l’histoire le nom du procès de Bobigny. A une époque où il était encore exceptionnel qu’une femme devienne avocate, Gisèle Halimi sut même s’imposer comme une avocate d’exception.

Souvent, les polémiques déversèrent sur elle des tombereaux de haine. Mais le sentiment aigu de l’injustice lui donnait le courage de tenir bon. Le retentissement de ses plaidoyers en faveur des femmes ouvrit le chemin à la loi Veil, et aboutit à la reconnaissance juridique du viol comme un crime et non plus comme un simple délit. Rien ne pouvait arrêter l’avocate – elle fut l’une des premières à féminiser le terme – qui avait connu à Tunis les geôles, à Paris la pauvreté, subi les injures et les intimidations, découvert dans sa boîte aux lettres de petits cercueils et dans son journal des appels au meurtre, couru les couloirs et les antichambres politiques pour arracher les grâces présidentielles. À De Gaulle qui lui demandait s’il lui fallait l’appeler madame ou mademoiselle, elle avait répondu, refusant de se laisser définir par sa situation conjugale : « Appelez-moi maître, monsieur le Président ». 

Pour mieux soutenir la parité femme-homme et la dépénalisation de l’homosexualité, Gisèle Halimi ceignit l’écharpe tricolore de 1981 à 1984 comme députée de l’Isère, sous les couleurs de l’Union de la gauche, puis fut ambassadrice de la France auprès de l'Unesco durant un an. Mue par une vision forte de l’équilibre qui devait présider au monde, elle s’engagea contre la guerre au Vietnam et en Serbie, prit fait et cause pour la Palestine, et rejoignit les courants altermondialistes. L’âge n’eut pas de prise sur sa faculté d’indignation : à 93 ans, la porte de son cabinet restait toujours ouverte à ceux, et surtout à celles, qui souffraient.

Le Président de la République et son épouse saluent les progrès et les droits conquis par cette femme exceptionnelle qui mit sa voix et sa plume au service d’une conception absolue de la justice. Ils présentent à ses proches, comme à toutes les femmes et à tous les hommes qu’elle a servis, leurs sincères condoléances.

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