Il avait passé sa vie dans le compagnonnage des grands auteurs sans jamais renier la compagnie des hommes. Le comédien et metteur en scène Didier Bezace, qui avait cofondé le Théâtre de L’Aquarium à Vincennes et dirigé celui de La Commune à Aubervilliers, s’est éteint hier.
Passé par les cours de la rue Blanche et les bancs de la Sorbonne, c’est surtout à Nancy qu’il s’échauffa aux feux de la rampe, sous la férule illustre de Maria Casarès ou de Bernard Dort. Le coup de théâtre de mai 68 le cueillit à la sortie de l’école dramatique. Il avait 22 ans, occupait l’Odéon, voulait « changer la vie » et ne changea pas d’avis. Il lui fallait un lieu à la hauteur de sa force de révolte. Ce fut une ancienne usine d’armement à Vincennes, La Cartoucherie, qui abrita à partir de 1970 son laboratoire théâtral explosif.
Aux côtés de ses acolytes Jean-Louis Benoît et Jacques Nichet, il devint un homme-orchestre, à la fois auteur, acteur, metteur en scène, mais aussi gestionnaire de ce théâtre de l’Aquarium qu’ils choisirent d’auto-gérer. Les trois mousquetaires partirent à l’assaut de formes théâtrales nouvelles, donnèrent un lieu à l’utopique, un droit de scène aux voix muettes. En 1976, avec la création collective et militante de La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras, le triumvirat fit résonner les paroles d’ouvriers en grève dont ils avaient recueilli la colère. Pour brûler les planches, Didier Bezace faisait feu de tout bois : il adaptait des romans, des récits, des entretiens, des lettres… Qu’importait le support, il le changeait en miroir où le spectateur voyait se réfléchir son époque et sa vie.
Après presque trois décennies de cette aventure hors-norme, c’est au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers que Didier Bezace posa ses bagages. Pendant seize ans, il dirigea ce haut lieu de la décentralisation culturelle où il sut attirer des gens qui n’avaient jamais franchi les portes d’un théâtre, lui redonnant sa fonction essentielle d’agora et non de temple. Sur cette scène nationale, il croisa le comique et le sérieux, les épopées historiques et les destins intimes, montant des textes d'auteurs classiques et contemporains comme Luigi Pirandello et Bertolt Brecht, Marivaux et Dario Fo. En 2001, il fut consacré roi en Avignon : le plus grand festival de théâtre de France s’ouvrit sur son École des femmes de Molière, dans la cour d’honneur du Palais des papes.
S’il était avant tout un amoureux des planches, de sa communauté charnelle de rires et de larmes, il fit de nombreuses incursions sur les écrans, le petit comme le grand, devenant un visage familier aux Français. Au cinéma, ce comédien protéiforme joua dans une trentaine de films dont L.627 de Bertrand Tavernier, La petite voleuse de Claude Miller ou Les Voleurs d’André Téchiné. A la télévision, il prêta sa prestance et sa haute stature à Clemenceau, Pompidou ou Félix Faure.
Après son départ d’Aubervilliers, Didier Bezace créa la compagnie L'Entêtement amoureux, avec laquelle il sut mettre en scène Feydeau sans le tirer vers le boulevard et Duras sans la noyer dans l’abscons. En 2018, il y créait encore Il y aura la jeunesse d'aimer, lecture-spectacle qui faisait éclater toute la beauté des textes d’Elsa Triolet et de Louis Aragon, qu'il interprétait aux côtés d'Ariane Ascaride. Didier Bezace partageait avec Jean Vilar l’idée d’un art engagé dans son temps et au cœur de la cité, un art exigeant sans jamais être excluant, intelligent sans jamais être élitiste.
Le président de la République et son épouse adressent leurs sincères condoléances à ses proches et à tous ceux en qui il avait su graver quelques-unes des plus belles tirades de la littérature.
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