(Re)voir les vœux du Président de la République à la presse pour l'année 2020 :

15 janvier 2020 - Seul le prononcé fait foi

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VŒUX DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE A LA PRESSE

Madame la ministre Messieurs les ministres, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers amis. 

Merci Monsieur le Président pour vos vœux et permettez-moi à mon tour de vous présenter les miens. D'abord pour lever une ambiguïté et suite à votre dernière question, ceci n'est pas un grand débat et donc vous ne serez pas séquestrés pendant sept heures dans cette salle ! Et nous ne partirons pas dans un jeu de questions-réponses, mais je discuterais volontiers avec vous à la suite de ces vœux pour évoquer tous les sujets d'actualité évidemment. Je le dis parce qu'il y a un an jour pour jour, en effet, nous étions, je dis, nous, parce qu'il y avait beaucoup d'entre vous qui étaient en Normandie avec moi, à Grand Bourgtheroulde pour commencer cet exercice du grand débat national et donc il y a un an jour pour jour, moi, je retiens comme vous la crise que le pays traversait mais aussi l'exercice de débat démocratique républicain, très largement relayé, commenté, décortiqué que nous avons ensemble conduit pendant plusieurs mois et qui fut ensuite consacré par, en effet, une conférence de presse ici-même. 

J'ai souhaité, comme il y a deux ans, pouvoir vous réunir pour présenter mes vœux parce que nous avons un destin lié si je puis dire et nous partageons conditions communes et que ce que vous faites au quotidien m'importe au premier chef. Ça m'importe parce que pour paraphraser le général de Gaulle, quand chaque matin, je veux savoir ce que je pense, il est important d'ouvrir la radio, le journal ou la télévision et ça continue à être vrai, y compris ce que je ne pense pas, mais ceci n'est pas grave. Plus sérieusement, vous avez aujourd'hui et vous l'avez évoqué, j'y reviendrai en essayant de répondre à plusieurs de vos points, vous avez à faire face à un monde de plus en plus compliqué, de plus en plus compliqué à expliquer, une formidable transformation des méthodes de communication, une forme de concurrence déloyale non seulement des plateformes mais au fond de chaque citoyen qui devient potentiellement ou un journaliste ou un photographe cette fois-ci non réglementé et vous avez à essayer de dire cette part de vérité qui vous revient. C'est pourquoi les vœux que je veux aujourd'hui pour les titres, les radios, les chaînes que vous représentez sont des vœux de vitalité, de prospérité parce que je considère que cette liberté de la presse que nous chérissons dans notre pays depuis 230 ans est aujourd'hui sans doute plus importante encore que naguère. 

J'avais évoqué en effet cette scène distance que vous avez rappelée et j'y tiens. Elle ne veut pas dire confrontation, elle ne veut pas dire opposition. Elle veut simplement reconnaître le fait que les journalistes, lato sensu, sont tout à la fois des médiateurs et contre-pouvoirs et je crois que ce rôle est essentiel. Médiateurs parce que les faits du monde existent aux citoyens par votre truchement que ce soit celui d'une photo, d'un article, d'un éditorial, de commentaires ou de reportages et parce que vous avez, au-delà de ce qu’un Gouvernement, des élus, l'administration ont à expliquer, la part de vérification, de liberté, justement, de ton à apporter et à poser et je considère que ce rôle est plus que jamais essentiel. En mettant en scène les grands débats qui traversent la société, en dépliant les problèmes, en dévoilant leur complexité, vous faites en effet œuvre de civilisation au sens où vous empêchez que les seules passions s'emparent de l'espace public et finalement, que le peuple se réduise à l'état de foule. Et cette fonction, on y reviendra est, sans doute, aujourd'hui plus importante que naguère. Je veux ici tout particulièrement penser à Claude SEMPERE qui nous a quittés et qui était animé en quelque sorte de cette religion de l'exactitude. Vous faites vivre aux Français des moments d'émotion, de communion. Vous jouez aussi un rôle majeur de tisseurs de liens et de la même manière, c'est avec émotion que j'évoque la mémoire d'Eugène Saccomano, cette grande voix de la radio qui a enchanté des générations d'amoureux du sport. Je pense qu'on est plusieurs ici aussi, à avoir vibré au son de sa voix et à penser être sur le stade d'un terrain de football sans voir une seule image. 

Ce double rôle - informer d'une part et faire vivre des évènements à tout un peuple, d'autre part - et je distingue à dessein ces deux rôles car je n'ai jamais cru à leur confusion ou leur fusion. Ce double rôle, c’est, je crois, le cœur de votre vocation, de votre métier, je l'imagine pour beaucoup d'entre vous, ce qui fait cette vocation et cet engagement de chaque jour, et je pense que c'est la base tout à la fois de votre liberté et de la responsabilité immense à laquelle elle conduit. Je relisais il y a peu à ce sujet, une conversation qu'au soir de sa vie, Jean LACOUTURE publia sur le rôle du journalisme dans la société dans laquelle il revendiquait justement cette liberté totale y compris le droit de ne pas dire quand cela ne servait pas à la compréhension des enjeux et de clamer “Le monde est mon métier” comme pour affirmer que l'information est une affaire de professionnels mais dont l'objet est sans limite. Je crois que c'est vrai. Ça reste un métier plus que jamais et son objet est le monde. Ces mots n'ont pas pris une ride. L'information est une affaire de professionnels et c'est pour cela que votre beau métier, les savoir-faire, l'expérience que vous déployez comptent tant dans une société. C'est pour cela aussi que je continuerai à m'appuyer sur votre expertise à chaque fois que nécessaire comme je l'ai beaucoup fait ces derniers temps. Ceci étant dit, les défis ne sont pas minces et je veux ici en brosser quelques-uns et en tout cas essayer de revenir sur une partie d'entre eux. 

Premier défi : c'est la menace même qui pèse aujourd'hui sur la liberté de la presse, cette liberté fondamentale qui est encore menacée dans trop d'endroits du monde. Je voudrais peut-être commencer par ce grand angle si vous m'y autorisez avant de revenir à nos sujets. En 2019, selon Reporters sans frontières, 49 journalistes ont été tués parce qu'ils étaient journalistes, parce que, comme vous tous ici, le choix de leur vie était d'informer leurs concitoyens. 49, c'est presque deux fois moins que l'année précédente, mais c'est toujours cependant 49 de trop, comme sont trop nombreux encore les agressions, emprisonnements dont vos confrères ont été victimes, la plupart du temps dans les pays évoqués dans une totale impunité et à chaque fois qu'un tel cas advient, c'est la liberté de la presse qui est bafouée et ce sont nos valeurs même qui sont attaquées et c'est donc naturellement aussi en fidélité à cette histoire qui unit notre nation à la liberté de la presse portée au quotidien, que nous menons ces combats, que nous nous mobilisons à chaque fois. Depuis deux ans et demi, à chaque fois que des journalistes -et ça n'a pas commencé il y a deux ans et demi, ça a toujours été le rôle, la vocation de la France- à chaque fois que des journalistes ont été arrêtés de manière arbitraire, nous avons fait entendre notre voix. En 2019, notre action diplomatique a engendré des résultats concrets. Je pense à la libération rapide des deux journalistes de “Quotidien” qui avaient été arrêtés au Venezuela en janvier dernier, au photo journaliste égyptien Mahmoud Abu Zeid dit « Shawkan », libéré en mars dernier après plus de cinq ans de détention, aux deux journalistes de l'agence Reuters en Birmanie arrêtés en décembre 2017 et condamnés à sept ans de prison alors qu'ils enquêtaient sur les massacres des Rohingyas qui ont été libérés le 7 mai dernier, au journaliste ukrainien Roman Souchtenko détenu en Russie et libéré en septembre et nous continuerons ce dialogue. Il est parfois tenu dans un cadre dont je tiens toujours informé à la fois les dirigeants des titres concernés des agences et Reporters sans frontières, il est parfois tenu dans un cadre discret pour être efficace mais qu'il s'agisse de la Chine, de l'Arabie Saoudite, de l'Egypte évidemment de la Turquie et il y en a beaucoup d'autres, à chaque fois, nous portons cette exigence en essayant d'obtenir des résultats et des libérations et nous continuerons de le faire. La France s'engage aussi pour changer les choses structurellement dans la durée par d'ambitieuses initiatives multilatérales.  À l'Assemblée générale des Nations unies, nous avons, en 2019, agi pour faire adopter une résolution sur la sécurité des journalistes et la question de l'impunité. Elle l’a été en novembre dernier. À l’OSCE, nous nous appuyons sur le représentant pour la liberté des médias, notre compatriote Harlem Désir et avec Reporters sans frontières, nous avons lancé le Partenariat international pour l'information et la démocratie qui vise à préserver l'accès de tous à une information indépendante, plurielle et fiable face aux assauts des temps. 30 États, d'ores et déjà, l'ont rejoint, ce qui constitue un légitime motif de fierté et d'espoir, et nous allons poursuivre cet indispensable travail. 

Cette liberté que j'évoquais, si elle est menacée dans des géographies qui se construisent parfois en opposition à tout contre-pouvoir, elle est aussi aujourd'hui bousculée par la pression, les effets de foule qui accompagnent aussi les réseaux sociaux et une forme d'ordre moral qui accompagne notre époque. Il y a une forme de paradoxe dans l'époque que nous vivons, où la liberté absolue, sans aucun tabou, tout particulièrement celle des réseaux sociaux, conduit à ce que l'on puisse lapider du jour au lendemain ce qu'on avait célébré, qu'on puisse lapider celles et ceux avec lesquels on avait pu se montrer complaisants et en quelque sorte, qu'une forme d'ordre moral spontané émerge successivement sur des questions ou des causes. Je ne m'interroge pas sur la légitimité de ces causes et de ces questions. Quand elle existe, il faut légiférer. Nous l'avons fait à chaque fois et il faudra continuer de le faire. Mais quelque chose s'installe collectivement, dans la sphère politique, médiatique qui doit nous préoccuper et qui, je le crois, doit devenir un sujet de réflexion pour votre liberté. Je veux le mentionner ici : cinq ans après l'attentat de Charlie Hebdo et alors que le New York Times a décidé en mars dernier de cesser de publier des dessins de presse - c'est l'un des signaux faibles de ce que je suis en train d'évoquer- je souhaite que notre pays continue de ne pas céder à ce que j'appelle cet esprit de lapidation et à cette forme d'ordre moral autoproclamé. Je souhaite que dans notre pays, on puisse continuer de critiquer très librement toute forme politique et toute religion, tout État. Évidemment, les pouvoirs ici présents, mais les pouvoirs dans tout autre pays. Nous sommes un pays où la liberté de critiquer va avec la liberté de s'exprimer, où la liberté de blasphème est aussi protégée et jetiens très profondément à ce qu'elle soit maintenue et préservée. 

J'évoquais un instant l'importance des dessins de presse. La France est toujours aux côtés de l'esprit du 11 janvier, de ceux qui défendent la liberté d'expression dans toute sa plénitude. Nous l'avons démontré en mai dernier en soutenant activement l'adoption de la déclaration d'Addis Abeba sur le dessin de presse et nous venons de lancer une mission pour créer en France la Maison du dessin de presse et du dessin satirique voulue par Georges WOLINSKI ; le ministre de la Culture s'est fortement exprimé sur ce sujet. Il le porte à raison. Un lieu de rencontre, de formation, d'exposition et qui, bien évidemment, travaillera avec le réseau des lieux existants dédiés aux dessins de presse sur le territoire. Et je crois qu'il nous faut continuer de chérir cet esprit de liberté. René ANDRIEU, lorsqu'il dirigeait l'Humanité, avait pour coutume de demander à ses journalistes de lire STENDHAL. Non pas que STENDHAL soit l'auteur communiste le plus connu mais parce que chez STENDHAL, auteur que j'aime aussi profondément, le goût de la liberté prime sur le reste et il va avec la vocation qui est la vôtre. J'ai essayé d'appliquer la même discipline aux collaborateurs de cette maison. Nous ne laisserons jamais, non, attaquer cette liberté et nous ne nous lasserons jamais de défendre celle-ci qui conditionne toutes les autres, celle de chercher à protéger celles et ceux qui ont fait le bon choix d'informer à l'extérieur de nos frontières et, bien évidemment, à l'intérieur de nos frontières. Je suis très sensible aux violences que vous avez évoquées, dont les journalistes ont pu faire l'objet. Là encore, permettez-moi de ne pas les mettre au même niveau. 

J'ai eu l'occasion, hier, de m'exprimer sur les violences dont notre pays est l'objet. Je ne connais aucun policier, aucun gendarme qui s'engage dans la police ou la gendarmerie pour être violent. Il est là pour protéger l'ordre public. C'est d'ailleurs pour cela que lorsque vous êtes attaqué, cambriolé, vous faites appel à eux. Il y a d'abord une violence qui s'est installée dans la rue et je pense qu'il faut remettre les choses au bon endroit et dans le bon ordre. Il y a une violence de rue qui s'est installée dans notre pays dont on avait vu les premières traces au moment d’ailleurs de l'occupation de Notre-Dame-des-Landes, qui avait pris un nouveau tour au moment des événements et des manifestations de 2016 et qui s'est fortement développée ces derniers mois. Il nous faut évidemment non seulement la réprimer, la combattre avec beaucoup de clarté, la sanctionner à chaque fois qu'elle existe et je serai intraitable sur le sujet. Il nous faut aussi en comprendre les prémisses et ça, c'est un travail politique, moral sur notre propre pays qui consiste à comprendre comment un tel nihilisme peut saisir certains de nos concitoyens et la dilution, en quelque sorte de tous les rapports au réel ou à l'ordre des choses. Ce travail n'est pas terminé et ne se fera pas en un jour. Ordre public, clarté de la réponse judiciaire, travail politique en profondeur sont là et je le rappelle, c'est dans ce cadre d'ailleurs que des journalistes ont été attaqués parce qu'ils étaient journalistes et que des journalistes, au moment de la crise dite des gilets jaunes, ont été protégés par les forces de l'ordre parce qu'ils étaient journalistes et je ne vous ai pas entendu le rappeler.
Je pense que c'est important d'apporter cette clarification et c'est bien normal dans une démocratie, mais ça veut dire que nombre de nos concitoyens ont alors considéré que les journalistes étaient devenus des ennemis parce qu'ils ne disaient pas ce qu’eux voulaient entendre ou qu’ils ne disaient pas une vérité qui était la leur ou celle qu'ils partageaient sur leurs réseaux sociaux. Preuve s'il en est toutefois que toutes les informations ne se valent pas parce qu'elles n'ont pas forcément tout le statut d'information. Je reviendrai sur ce sujet, ce qui veut bien dire que quelque part, il faut réguler ou réglementer. Et d'ailleurs, votre profession a toujours vécu dans la régulation et réglementation qu'il s'agisse de la liberté elle-même comme du modèle économique. Enlever la régulation, pardon de le dire, il n'y a plus un titre, une chaîne présente qui existe et donc ne vous trompez pas à combattre, peut-être trop rapidement toute forme de régulation. Historiquement, elle vous a protégés et elle continuera de le faire, et le sujet que j'évoque est un sujet de protection pour votre profession et la liberté même de la presse, pour la distinction entre ce qui est de la presse et ce qui n'en est pas.
Il y a eu ces violences que je réprouve. Il y a, dans le cadre des manifestations, en effet, des violences dans lesquelles les journalistes ont pu être pris à partie et n’ont pas pu parfois faire leur travail comme il se devait. Vous en avez rappelé les termes et je les condamne avec la même clarté et de la même manière qu’il importe de rappeler l'indispensable travail dans une démocratie que font les forces de l'ordre qui sont au service de l'ordre public et du respect de la loi. Il importe d'exiger le respect de toute la déontologie et l'exemplarité. C'est pour ça que j'ai demandé des propositions précises au ministre de l'Intérieur sur ce sujet et je souhaite aussi d'ailleurs qu’au-delà du dialogue qui a commencé avec votre profession pour clarifier et sécuriser le cadre d'intervention dans les manifestations, celui-ci puisse encore être amélioré pour qu'aucune dérive ne soit possible et que tous les journalistes qui sont dans le cadre d'un évènement, quel qu'il soit, soient protégés de la violence et puissent faire leur travail comme ils doivent le faire. 

Au-delà de ces défis et de ce rapport à la liberté, vous l'avez aussi évoqué dans votre propos, nous sommes collectivement confrontés à une lutte, celle contre les fausses informations. Ce que nos amis anglo-saxons nomment les fakes news, ce qu’on a parfois essayé de traduire par infox.Ce sujet n'est pas nouveau, mais a pris un tournant. Alors, je vous entends lorsque vous rappelez la loi de 1880 mais permettez-moi de vous dire qu'en 1880 -sauf si j'ai raté quelque chose- ni les réseaux sociaux n'existaient, ni les grandes plateformes que nous évoquions et qu'à l'époque, on n'avait pas vu des grandes démocraties et parmi les plus grandes, voir leurs élections manipulées de manière établie par des attaques sur les réseaux sociaux et des détournements d'informations. Or, c'est une réalité de notre démocratie et ce fait nouveau, il faut bien que nous puissions l'appréhender collectivement. Et donc, la loi de 1880 reste évidemment le cadre, mais, il ne faut pas en faire un dogme, sinon nous raterions quelque chose. Alors, face à ces fausses informations, vous avez raison. L'esprit critique et l'éducation sont le fondement et à cet égard, le travail qui est fait dans nos écoles que nous continuerons de faire, que nous avons renforcé, les partenariats qui sont noués d'ailleurs avec votre profession, le développement aussi d'une presse d'éducation de la jeunesse, indispensable sont la base. Suffisent-elles ? Nous avons collectivement constaté que pas tout-à-fait. Il nous faut donc, et l'actualité dans de nombreux pays nous l'a montré, pouvoir répondre aux défis contemporains et ils continueront de s'accélérer. Les deep fake pour parler en bon français, comme on les appelle, et donc la capacité à produire une vidéo totalement trafiquée qui a toutes les apparences de la vérité, les manipulations auxquelles on assiste montrent bien qu’il faut un moment et dans des circonstances particulières, qu'on puisse collectivement définir quel est le statut de tel document, qui parle ? D'où et avec quels matériaux premiers ? Sinon, nous sortons d’un certain rapport à la vérité. Je crois que votre profession repose sur une certaine idée de la vérité et en tout cas un rapport à celle-ci et je crois que c’est la protection de ce bien commun qu'est la démocratie qui est précisément en cause. 

Alors, pour faire face à cela, il y a eu, comme je m'y étais engagé, le travail mené par le Gouvernement avec un très gros travail mené avec le Parlement pour lutter contre, justement, ces infox en période électorale. Les textes ont été promulguées il y a un an et je veux croire sur ce sujet, compte tenu des limites qui sont définies, qu’ils ne sont pas une menace pour votre profession parce qu’ils s'inscrivent dans un temps et avec des procédures, et en particulier le contrôle du juge qui évite tout arbitraire. Mais, il est nécessaire, lorsque tel ou tel est attaqué par une information détournée ou une fausse information dans une période où chaque minute compte et où la démocratie est en jeu, puisque c'est le choix des concitoyens qui s'établit sur cette base, que sous le contrôle du juge, les voies et moyens de protéger les règles d'un bon fonctionnement démocratique soient là. Il y a ensuite le rapport à la vérité et là-dessus, beaucoup de travail a été fait par vous-même et l'ensemble des rédactions ici présentes. Les cellules de riposte, de décodage et vous me permettrez de citer aussi là-dessus notre agence nationale, l'Agence France-Presse qui est reconnue à l'international pour son dispositif AFP Factuel qui traque les rumeurs, les débusque, les combat et qui a signé un partenariat avec Facebook pour déployer son savoir-faire dans une trentaine d'Etats. Ce que toutes les rédactions ici présentes ont progressivement déployé sont des instruments extrêmement efficaces pour, justement, lutter contre ces fausses informations en temps normaux. Les premiers outils sont là, opérationnels mais il faut désormais les utiliser à plein et le chemin est encore long pour aller au bout de ce travail. Or, sur ce sujet, je ne pense pas que la loi puisse tout, ni qu'elle soit souhaitable en toute matière. 

Beaucoup de choses et de contrevérités ont été dites sur ce que je pouvais avoir comme intention sur ce sujet. Je ne pense pas que ce soit au Gouvernement de dire qui est journaliste, qui ne l'est pas, quel est le statut de l'information, etc. Je n'ai jamais pensé cela et je ne crois pas que ce soit une voie dans laquelle nous ayons collectivement à nous engager, mais je suis convaincu d'une chose, c'est que la société du commentaire permanent n'est pas la société de l'information. La multiplication des auteurs possibles de traces ou de simili journalistiques est une menace pour votre profession et pour la démocratie. Je crois donc que c'est votre travail, mais c'est à vous de le faire tel que vous souhaitez l'organiser. Je me permets, de là où je suis, et c'est, je crois, mon rôle d'attirer votre attention sur le fait qu’aussi longtemps que vous ne le ferez pas, vous laisserez prospérer une forme de concurrence déloyale dans le rapport à la vérité. Et vous laisserez prospérer ce que d'aucun, d'ailleurs, aujourd'hui privilégie plutôt qu'un rapport à la vérité ou un rapport à une approche éditoriale assumée. La Société des affinités choisies et d'une transformation de la vérité : c'est celle qu'on voit aujourd'hui prospérer sur les réseaux sociaux. Il faut un moment quelqu'un pour pouvoir dire d'où vient cette trace ? Quel est son statut ? Qui l’a authentifié ? Dans quel contexte elle était ? Comment la qualifier ? C'est la base de votre travail. Mais si quiconque émettant depuis son téléphone portable peut se considérer comme journaliste, je me permets de vous dire que la base déontologique, la vocation, même l'existence même de votre profession, la capacité à la tenir dans la durée sera difficile. Et il en ira de même -puisque je vais parler de ça dans un instant- du modèle économique, parce que plus rien n'aura de valeur. Si chacun dans la rue peut faire du journalisme sans qu'on sache qui, comment, à quel moment ? Il n'y aura plus de photographes de presse et plus de journalistes de presse. Il y aura des citoyens cherchant à convaincre d'autres citoyens qu'ils ont une vérité. Et il y aura des citoyens liés par des réseaux sociaux, des groupes d'amis, qui seront convaincus qu'ils ont la vérité entre leurs groupes, qu'elle est partagée et que la vérité n'est plus dans des médias qui ne répètent pas ce qu’ils se partagent entre eux. Nous sommes dans une société du commentaire, du cloisonnement de la dé contextualisation, de la décorrélation des faits réels. Les pouvoirs publics ont une part à jouer sur ce sujet pour ce qui les concerne, mais vous avez une part à jouer et elle vous appartient. Je ne pense pas qu'il faille réglementer sur ce point. Mais je pense que vous avez,vous collectivement, des choix à faire. Certains titres l’ont fait. Je voulais attirer votre attention sur ce point en distinguant bien ce qui relève de la loi ou du réglementaire et de ce qui relève de ce qu’une profession édicte pour elle-même et se donne comme règles et ce qu’elle peut ensuite opposer aux autres ou expliquer aux citoyens. Et je pense que c’est important dans ce temps que nous vivons, où la défiance s’installe, défiance qui n’est pas neuve à l’égard de la parole publique mais qui s’installe aussi à l’égard de la parole journalistique. Je pense qu’il n’est bon pour personne de tomber dans l’hyper-relativisme. 

En même temps que les réseaux sociaux et la digitalisation bousculent ce rapport à la vérité, c’est un nouveau modèle économique qu’il faut aussi inventer. Je ne veux pas ici être long, vous connaissez tout cela, vous le vivez. Que vous soyez photographe, journaliste, dirigeant de rédaction ou patron de presse, vous avez à vivre les conséquences de ces transformations : la perte d’un modèle économique, une valeur qui est ici bousculée. J’étais en octobre dernier au centenaire, en effet vous l’avez rappelé, du journal La Montagne et je rappelais cela en partageant aussi la contrainte avec beaucoup. Parce que ce faisant, on a oublié aussi que derrière chaque journal, chaque rédaction il y a évidemment justement un rapport à la déontologie, une exigence, une voix portée, un regard, un choix éditorial qui est affiché et assumé avec clarté et transparence à l’égard des citoyens-lecteurs mais aussi beaucoup d’autres choses qui sont là et qui participent en quelque sorte du modèle économique historique auquel vous contribuez toutes et tous, la capacité à réunir les gens et à procéder à un travail de médiation dans la société qui est indispensable. Beaucoup de vos titres d’ailleurs conduisent à éduquer, à apprendre, je le disais pour les écoles, mais réunissent aussi nos concitoyens autour de travaux, de colloques, de séminaires. Vous organisez de plus en plus des événements, vous ne faites pas qu’écrire un journal ou procéder à de l’information en radio ou en télévision. Votre activité s’est diversifiée avec la même déontologie mais créant d’autres espaces de médiation qui sont indispensables. Il y a toute une chaîne si je puis dire de la médiation qui est indispensable dans une société et qui va du journaliste, de l’éditorialiste jusqu’au kiosquier qui joue un rôle extrêmement important et auquel je tiens beaucoup. 

Alors, face à ces transformations qui ont déjà beaucoup bousculé vos professions, il nous faut apporter des réponses collectivement là aussi. D’abord en nous protégeant face aux assauts de certains acteurs, vous l’avez également évoqué. Votre travail à vous — journalistes, photographes — sur lesquels vous passez vos jours, vos nuits aussi et parfois davantage, est aujourd’hui pillé par les grandes plateformes du numérique qui diffusent vos articles, vos productions sans payer ou en payant des sommes dérisoires avec des comportements prédateurs qui, très clairement, là aussi, rendent peu soutenable dans la durée l’exigence qui va avec votre pratique et votre profession. Sur ce sujet, la France s’est engagée avec beaucoup de clarté. Nous avons mené le combat pendant des mois, le ministre s’en souvient, en particulier au Parlement européen pour défendre le droit voisin et l’adoption de la directive. Et nous l’avons en premier transposée. Ce combat n’était pas gagné, y compris avec nos partenaires les plus proches et avec des raisons qui étaient aussi à entendre. Il y a eu un vrai débat par exemple en Allemagne autour de ce qu'était la liberté d'expression et la capacité à échanger les contenus. Et on nous a dit, à ce moment-là, vous voulez protéger la presse mais vous venez restreindre la liberté d'expression et d'échange. Il y a eu aussi, il ne faut pas l'exclure, un certain lobbying au Parlement européen. On a dû se battre et nous avons gagné de peu. Mais aujourd'hui cette directive est menacée dans son application. Vous le savez, et je vous félicite sur la capacité que vous avez eue collectivement à vous organiser, sur laquelle nous devons rester organisés jusqu'au bout. Parce qu'aujourd'hui, une fois cette directive passée et en France pour la première fois transposée comme je le disais, vous êtes l’objet d'une menace, plus exactement d'un chantage, celui du déréférencement. Le premier qui cède nous fait perdre. Je vous parle très sincèrement. Et donc il nous faut sur ce sujet mener le combat. Les procédures sont engagées devant l'Autorité de la concurrence et nous ne céderons rien. Qu'il s'agisse des droits voisins pour les journalistes comme les photographes, nous devons les défendre comme nous avons défendu le droit des auteurs parce qu'il en va de la possibilité même de créer et d'informer dans nos pays. Et il en va de la défense de nos modèles. Il n'y a pas de transaction avec ceux qui veulent piller, qui font le chantage qui soit possible. Je vous parle très franchement. Il n'y en a pas parce que cette transaction ira avec une dégradation. Et surtout elle est attentatoire à ce qu’est notre démocratie. Ça voudrait dire qu'on peut, au niveau européen, porter un texte, le faire adopter et décider de ne pas l'appliquer parce qu'il y aurait eu un chantage. Ce qui se joue avec les acteurs français c'est un test, le même qui est aujourd'hui en cours sur la taxe numérique. 
C'est la concurrence entre deux modèles : un modèle anglo-saxon qui veut donner le primat à la diffusion et qui considère qu'on peut éradiquer tout ce qui relève en quelque sorte d’une production indépendante de contenus qu’ils soient d'ailleurs journalistiques comme créatifs. Et de l'autre côté un modèle français parce que nous sommes en effet, je crois pouvoir le dire, les principaux, parfois les seuls à le défendre, celui qui défend les auteurs, les journalistes, les reporters, les photographes, c'est-à-dire celles et ceux qui précisément ont dans leur main quelque chose de particulier qui relève d'une singularité qui va avec votre profession comme celle qui va avec le métier et la vocation d'être auteur. Et sur ce sujet nous ne devons rien céder, rien. Nous mènerons le combat avec force et je crois qu'il nous faut de plus en plus l'expliquer à nos concitoyens, le défendre parce qu'il s'accompagnera d'épreuves de force avec ces grands acteurs. Pour nous protéger il faut aussi innover et beaucoup ici l'ont fait. Le salut de la presse viendra des nouveaux formats, des nouveaux angles, des nouvelles idées. Je l’évoquais tout à l'heure rapidement. Je vous sais tous mobilisés d'ailleurs pour aller sur tous ces sujets de modernisation de la capacité à diffuser, du changement des formats, d'accompagnement des formats historiques pour chacune et chacun d'entre vous avec des formats adaptés aux réseaux sociaux ou complémentaires, de création d'évènements. 

L'innovation est aussi clé dans cette capacité à fidéliser les lecteurs, les auditeurs ou les téléspectateurs, et par les idées nouvelles, les risques pris, les audaces, réussir à consolider notre modèle historique en contribuant aussi à le réinventer. Et puis il nous faut l'accompagner. Je me suis engagé à ce que l'Etat joue son rôle en lançant un plan de filière presse. Tout a été mis sur la table et vous avez conduit un travail avec l'Association de la presse d'information générale et ses représentants, qui a été présenté au Gouvernement et aux différents ministres et que j'ai évoqué, là aussi, lors du centenaire de La Montagne. Les ministres ici présents, Bruno LE MAIRE et Franck RIESTER, ont largement travaillé à ce sujet et ce travail se poursuit. Plusieurs mesures sont déjà actées : la mise en place dès 2020 d'un crédit d'impôt sous condition de ressources pour encourager les Français à s'abonner aux titres de presse, un plan d'accompagnement de la réforme industrielle de l'impression pour réussir la transition énergétique du secteur. Il faut poursuivre dans les prochaines semaines ce travail autour des propositions qui ont été faites, d'autres propositions conduites par les ministres. La modernisation du Fonds stratégique pour le développement de la presse a aussi été engagée afin d'en simplifier les procédures, d'améliorer les dispositifs d'aide. Je tiens beaucoup à ce plan de filière parce qu’aussi vrai que vous êtes en train de transformer le modèle qu'il nous faut protéger contre les prédateurs, il nous faut pouvoir accompagner justement comme il se doit la capacité d'informer. Cette simplification que j'évoquais du Fonds stratégique sera effective dans trois mois par décret et des mesures spécifiques seront également prises pour la presse en outre-mer particulièrement fragilisée qu'il s'agisse d'aides au pluralisme ou d'aides à la distribution. Et je crois pouvoir dire, quelles que soient parfois les polémiques qui naissent, que notre rôle est bien d'accompagner tous les plans de sauvetage de titres quand ils existent parce que la défense du pluralisme va avec la démocratie, quelles que soient les orientations des titres concernés. Je crois que c'est extrêmement important et que la vitalité de notre débat s'accompagne d'une capacité à préserver le pluralisme de nos titres. Ce plan qui se joue n'est pas simplement l'avenir d'une filière économique. C'est celle justement de ce pluralisme, de la vitalité de nos institutions et finalement un peu de l'esprit de notre République. C'est pourquoi je souhaite que nous soyons au rendez-vous des attentes, des exigences et aussi des propositions que porte le gouvernement. 
Quand on évoque les investissements et les moyens dont bénéficie le secteur de la presse, évidemment la question de l'indépendance économique des médias s'impose et vous l'avez aussi évoqué en creux dans votre propos, cher Président. Sur ce sujet, nous ne devons pas être fermés par principe à ce que de grands acteurs économiques, y compris étrangers, investissent dans la presse française. Il est des titres pour lesquels cela fonctionne parfaitement. Nous devons veiller, en revanche, à ce que toutes les garanties soient au rendez-vous pour protéger le pluralisme de l'information, l'indépendance des rédactions et finalement défendre cette presse souveraine et libre qui est la marque des grandes nations. En 2019, la loi BICHET a été modifiée en ce sens de sorte que les sociétés de distribution ne puissent être contrôlées à plus de 20 % par les intérêts étrangers non-communautaires. Dans la même lignée, grâce à un décret du ministre de l'économie publié le 1er janvier la presse est désormais inclue dans le contrôle des investissements étrangers, ce qui implique un régime d'autorisation préalable très protecteur. Et quel que soit le statut des investisseurs, nous continuerons à veiller à l'indépendance journalistique et à éviter toute forme de concentration qui viendrait justement mettre en péril cette indépendance. Je suis sûr que les débats continueront de voir le jour dans les prochains mois sur ce sujet qui nous amènerons collectivement à poursuivre la réflexion et le travail. 

Quelques mots enfin, avant de conclure, de la réforme de l’audiovisuel dont vous avez parlé et qui sera discutée au parlement en ce début d’année. Elle a fait l’objet d’un très gros travail, d’une concertation aboutie, d’un engagement des ministres, de nombre de parlementaires. Tous les Français tiennent à nos chaînes de télévision, à nos stations radio, eux qui passent en moyenne 4 heures par jour devant la télévision et pour 90 % écoutent la radio au moins une fois par mois. Télévision comme radio font ainsi partie du patrimoine national et constituent très clairement des relais essentiels du soutien à la création, aux artistes, à une forme d’exception culturelle française qui est aussi une exception audiovisuelle. L’enjeu de la réforme, et je vous remercie des mots que vous avez eus sur ce point, sera de faire en sorte que nos acteurs publics comme privés puissent vivre, s’épanouir dans un contexte de concurrence sans précédent avec les grandes plateformes du numérique. Beaucoup de choses ont été faites justement pour clarifier les règles, permettre, je crois, de porter avec plus d’ambition les réponses que notre audiovisuel peut aujourd’hui opposer à d’autres formes d’innovation en même temps que nous essayons d’imposer à tout le monde les mêmes règles. Là-dessus nous sommes aussi ouverts à toutes les améliorations qui sont possibles en la matière et qui permettraient d’aller plus loin. Le texte aussi accorde une place importante à l’audiovisuel public qui est un secteur à mes yeux extrêmement important. Alors je sais que beaucoup pensent à la lecture du texte qu’au fond avec cette espèce de holding qui sera mise en place on voudrait recréer l’ORTF. C’est une perspective…Je me souvenais de ce qui était rapporté, je dis rapporté lorsque Jacqueline BAUDRIER dirigeait l’information de l’ORTF, elle aurait dit à un journaliste qu’elle s’apprêtait à embaucher “Il paraît que vous n’êtes pas gaulliste, comment allez-vous faire pour être objectif ?” Sur ce sujet je veux rassurer tout le monde, je pense que nous avons beaucoup de marge. Nous sommes à l’abri du risque. Mais je veux vous rassurer, les éléments organisationnels qui sont portés par le ministre vont avec, je crois, la volonté justement d’assurer une complémentarité entre l’intégralité de l’offre publique audiovisuelle, l’offre radiophonique et digitale et  de mettre en avant notre capacité à produire des contenus et à assurer quelques-unes des ambitions que nous voulons, parce que je crois que tous, on tient justement aux émissions qui ont bercé notre enfance, qu’il s’agisse de France Culture, d’Antenne 2 et de tout cet imaginaire qui appartient à notre audiovisuel public. 

Donc il y a quelques principes que je voulais rappeler ici auxquels je tiens. D’abord la garantie de la qualité et la diversité de l’offre aussi bien pour les programmes que pour l’information. C’est au cœur de cette réforme et je crois pour lesquels elle est bénéfique. Ensuite la bataille de la proximité avec le développement des programmes régionaux en symbiose avec les territoires et leurs acteurs par exemple avec l’offre numérique commune France Bleu - France 3. Parce que la mondialisation n’a pas éloigné nos concitoyens des territoires, au contraire. Ils expriment un besoin d’ancrage local, d’information de proximité là aussi d’enracinement. Enfin je crois aussi au rôle d’éducation de l’audiovisuel public en particulier auprès de la jeunesse. De ce point de vue, la plateforme éducative du service public lancée il y a 2 mois qui permet à nos enfants de développer leur culture générale, d’apprendre, de voir au fond le monde autrement, constitue un bel exemple à suivre et la réforme permettra d’aller plus loin en ce sens. Ce qui a fait et fait encore la force de notre service public de l’audiovisuel c’est sa capacité à bouger les lignes, à surprendre, à prendre des risques et que les logiques de marché ne permettent pas toujours de prendre dans cette complémentarité au fond qu’il nous faut préserver et sur laquelle je crois nous devons continuer d’avancer. Et c’est bien cela que nous devons cultiver : la prise de risque, la singularité, viser toujours des contenus hors norme, j’allais dire des contenus français. 
Cela peut impliquer parfois d’engager des plans de transformation que les dirigeants ou dirigeantes ont à mener et qui suscitent parfois des inquiétudes. Je n’ignore rien de la grève en cours à Radio France mais nous devons continuer d’avancer, de faire vivre cette singularité au moment où elle est bousculée et chacun doit pouvoir prendre ses responsabilités là où il est. Nous ne devons jamais renoncer à opposer au fond aux dynamiques d’uniformisation qui sont partout à l’œuvre une forme de résistance culturelle assumée et fière. Mais il faut que nous nous en donnions les moyens par des capacités à nous réorganiser, à nous transformer, à porter cette ambition. C’est ce que ce texte et les choix que nous avons faits permettent de porter. 

Voilà donc pour les grands sujets qui vont nous occuper, les combats communs qui doivent nous rassembler et j’espère quelques-unes des réponses que je voulais apporter à votre question. Je ne voudrais pas conclure sans évoquer ce qui est important aussi qui est notre quotidien, vous l’avez dit. Alors je vous ai bien entendu et je sais que nous vivons ensemble. Je le disais pour ce qui est de cet exercice quotidien qui est le mien par votre truchement d’essayer de savoir ce que je pense, mais je sais que, vous aussi, vous avez parfois à vous endormir en vous demandant ce qu’on va faire le lendemain, ce qui peut désorganiser les choses, parfois qui désorganise les soirées, les week-ends et qui bouscule beaucoup de votre agenda, en particulier pour celles et ceux qui ont à me suivre au quotidien en hexagone, outre-mer ou à l'étranger. Beaucoup de choses ont commencé à être faites et nous poursuivrons pour que ce soit simplifié. Je vous ai entendu aussi sur la liberté de s'organiser et d'interagir plus facilement et je veux vous rassurer : la conférence d'avril dernier ne sera pas la dernière du quinquennat. Je ferai d'autres conférences de presse. Je ne veux pas m'enfermer dans une liturgie, si je puis dire, parce qu’il faut qu’elles se justifient, parce que quand on se donne des rendez-vous pour se parler si on n'a rien à dire, ça crée des rendez-vous manqués. Mais quand on a des choses à dire, il faut pouvoir le faire et je pense que c'est un exercice très utile. Mais je vous ai entendu, président. 

Et puis, sur le plan matériel, là aussi vous l'avez évoqué, le début du quinquennat a pu nourrir des malentendus parce qu'il y a eu cette question de la salle de presse. La salle de presse d'abord ça correspond là aussi à un rythme biologique et normal pour tout nouveau président : vouloir changer les règles. Donc il m’est arrivé la même biologie. Je crois que c'est le Général DE GAULLE, lorsqu'il est arrivé dans cette maison, qui a mis fin à une pratique, il y a mis fin, je crois, dans la durée mais je n'ai aucun moyen de vérifier. Avant qu'il ne soit président, dans la cour de l'Elysée, l'habitude était que les grandes signatures de la presse puissent monter dans les voitures des ministres pour avoir le compte-rendu du conseil dont ils sortaient. Je vois que ça crée beaucoup d'envie chez vous, ne poussez pas le bouchon même en début d'année ! Et donc les FAUVET, les FERNIOT et plusieurs autres signatures avaient pris cette habitude et avaient l'exclusivité. Il me semble parfois voir que, sans que ce soit dans la voiture, certains journaux du mercredi ont des comptes rendus exclusifs du Conseil des ministres, certes avec une semaine de décalage, mais les choses sont assez fidèlement rapportées. Et l'usage du tweet, du téléphone fait que les choses ont été remplacées. Bon, pour ce qu’il s'agit de nous il y a eu cette salle de presse. Et au fond vous avez vécu ça comme un président de la République si je puis schématiser les choses qui vous disait “Si vous voulez travailler il n’y a qu'à traverser la rue.” Cette formule ne m'a pas porté chance, j'essaie d'être lucide sur moi-même. Donc on a plutôt décidé de dire : il y a une très belle salle de l'autre côté de la rue qui permet de mieux travailler, mais on garde une salle en effet dans la cour de l'Elysée qui permet de travailler de manière plus pratique dans les urgences et qui n'enlève pas la part de transparence, parce que ce n'était pas ce qui était recherché, dans le quotidien. Donc je voulais vous rassurer, c'est dans le même esprit que nous allons poursuivre et donc c’est dans le même esprit que je serai amené sans doute dans les prochaines semaines à revenir sur la réforme des retraites de manière spécifique parce que je pense qu'il faut en effet continuer à expliquer. Il y a le temps du Gouvernement, de la concertation, mais je pense que j'aurais en effet à m'exprimer. Ce sera peut-être une conférence de presse ou une émission, je n'ai pas encore choisi. Mais rassurez-vous je le ferai de manière structurée au-delà des quelques mots que j'ai pu avoir hier. 

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire en ce début d'année. Au fond, vous dire que collectivement nous sommes  face à un monde en grande bascule avec de plus en plus de menaces, de transformations qui ne vous rendent pas la vie facile mais, si ça pouvait vous consoler, qui ne rendent pas la mienne facile chaque jour non plus. Et donc il nous faut réussir à faire œuvre commune pour cheminer et essayer de faire et d'expliquer chacun où nous sommes les rôles qui nous sont dévolus. Albert CAMUS qui nous a quittés il y a 60 ans, dans un très beau texte qu'on a un peu oublié, qui était son Manifeste pour la liberté de la presse, écrivait, parce que je finirai là-dessus, “Formez les cœurs et les esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient au journaliste indépendant.” Informer en effet les Français tout en les entraînant, savoir parler au cœur et à l'esprit, c'est ce que je disais en commençant et en faisant référence à deux grandes figures de votre profession qui ont disparu l'année dernière. C'est ce que vous allez devoir continuer à faire durant cette année 2020. 
Alors au-delà des vœux de santé et votre bonheur, permettez-moi d'avoir aussi des vœux de courage pour vous, parce que la tâche ne sera pas plus aisée qu'en 2019, mais elle n'en est pas moins nécessaire. Et donc je forme pour vous, et ce faisant pour nous tous, des vœux de courage et -comme je l'ai fait pour cette maison- des vœux d'enthousiasme. Notre pays a aussi besoin de retrouver un certain goût de l'avenir, une certaine capacité à se projeter et une capacité à se sentir porté par ce qu’est étymologiquement l'enthousiasme, un petit Dieu qui nous habite. Je le dis de manière totalement laïque, chacun peut avoir son Dieu, il peut considérer que son Dieu est lui-même ou un grand horloger, ou que sais-je ? Enfin c'est bien d'être habité par quelque chose qui nous dépasse et nous donne de l'entrain. Je vous en souhaite pour l'année qui s'ouvre. Très bonne année à toutes et tous. Vive la République et vive la France ! Merci à vous.

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