Le grand metteur en scène Claude Régy a tiré sa dernière révérence et quitté la scène du monde. Depuis plus de 60 ans, ses créations faisaient souffler sur les planches de France et les tréteaux du monde un vent de modernité audacieuse et d’exigence poétique.
Pourtant, le jeune Claude n’était ni un enfant de la balle, ni un « enfant du Paradis ». Les seuls théâtres dont ce fils de militaire entendait parler petit étaient les théâtres d’opération que son père lui décrivait. Contre la volonté de ses parents, qui refusaient catégoriquement qu’il fasse du théâtre, Claude Régy avait fini par abandonner ses études de droit entamées avec autant de déférence que d’ennui, et s’était inscrit au cours de Charles Dullin. Après cette mutinerie existentielle, ses parents lui coupèrent les vivres. Qu’importe, Claude Régy pouvait enfin commencer à vivre sa vie, celle dont il rêvait depuis qu’il avait assisté, ébloui, à une représentation des Mouches de Jean-Paul Sartre, celle qu’il avait enfin eu le courage de se choisir et de se bâtir.
Après avoir été l’assistant de quelques grands noms de la mise en scène dont André Barsacq, Claude Régy s’était lancé à l’assaut des planches par lui-même, en voulant y porter son amour des auteurs contemporains qu’il n’aura cessé de découvrir avec passion et de défricher en précurseur : Harold Pinter, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Botho Strauss, Peter Handke, Jon Fosse… Il ciselait leurs textes dans le temps et l’espace, en ombres et en lumières pour faire éclater leur poésie. Il jouait aussi de la voix de ses interprètes comme d’instruments rares capables de faire entendre des partitions humaines jusqu’alors inexplorées et qui avaient les profondeurs insolubles du mystère.
S’il a donné chair aux œuvres de quelques-uns des plus grands auteurs du XXe siècle, Claude Régy a aussi fait brûler les planches aux plus grands acteurs de son temps – Michel Bouquet, Jeanne Moreau, Pierre Brasseur, Michael Lonsdale, Isabelle Huppert... Grand révélateur de textes, il fut aussi un grand dénicheur de talents, donnant notamment sa chance à un inconnu de 24 ans, un certain Gérard Depardieu qu’il a fait jouer dans six de ses pièces. Devenu monstre sacré, Depardieu disait de Claude Régy qu’il était « l'apôtre du silence, de la pénombre et du dépouillement ».
Au travers de ses mises en scène, ces exégèses incarnées, il menait notamment une inlassable réflexion sur le langage, ses lacunes, les détours qu’il prend pour dire autrement ce qu’il ne dit pas littéralement, les tiroirs à double-fond de ses significations. Par-dessus tout, il aimait explorer cette façon dont les mots peuvent s’étirer, se prolonger dans des silences qu’il savait faire vibrer comme des répliques, comme une forme suprême du langage, en leur donnant l’épaisseur d’une résonance, d’une rémanence, et en les remplissant des cris et chuchotements de ce qui est tu. De là, venait cette lenteur de son théâtre qu’il fallait goûter comme un antidote aux bruits et aux fureurs contemporains dont le vacarme couvre souvent les murmures des doutes, des sentiments flous, des impressions fugaces, des angoisses refoulées. Ces bruissements de l’âme, Claude Régy savait les rendre de nouveau audibles. Faire l’expérience de ses pièces, c’était retrouver le temps d’écouter des hommes réfléchir sur leur condition d’homme, suspendue entre la capacité et l’impossibilité de dire, entre le sens et le non-sens, entre des évidences et des énigmes, entre la vie et la mort.
Le Président de la République salue l’œuvre d’un artiste qui a su porter la littérature à son point d’incandescence, et adresse à sa famille, à ses proches et à tous les amoureux des lettres et du théâtre ses condoléances attristées
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