Raymond Poulidor s’est échappé en solitaire après nous avoir emportés dans sa roue et dans son rêve durant tant d’années. « Poupou », l’éternel rival, d’Anquetil puis de Merckx, le second magnifique, lui qui n’aura pas une fois pu revêtir la tunique d’or, restera à jamais maillot jaune dans le cœur des Français.

Né dans la Creuse, ce fils de métayers passa son adolescence en Haute-Vienne dont il sillonnait les routes dès que les travaux de la ferme lui laissaient un peu de temps libre. Son succès dans des courses régionales l’incitait à envisager sérieusement une carrière professionnelle lorsqu’il fut appelé sous les drapeaux. Au retour de son service militaire, Raymond Poulidor se remit en selle et décrocha un contrat avec l’équipe Mercier à laquelle il resta fidèle toute sa carrière.

Championnat de France sur route, Milan-San Remo, Flèche wallonne, Tour d’Espagne : les victoires s’enchainèrent très rapidement. Les Français découvraient avec bonheur ce jeune homme, son accent limousin, son naturel. Une histoire d’amour était née, qui n’allait cesser de grandir. 

Puissant puncheur, grand batailleur, immense grimpeur, « Poupou » comme on le surnomma très vite devint l’un des plus grands coureurs du Tour de France. Tout au long des années 1960 et 1970, chaque été, trois semaines durant, il fit rêver des millions de spectateurs massés sur les bords des routes de France dans l’espoir fiévreux d’un exploit de leur champion.

En 1964, durant ce Tour que les amoureux de la Grande Boucle appellent le « Tour du Siècle », les Français crurent que l’heure de gloire de leur héros était enfin arrivée. Après les Alpes, Poulidor est devant. Il est fantastique dans la mythique ascension du Puy de Dôme. Il pense lui-même être sur le point de gagner le Tour. C’était sans compter sur la pugnacité inébranlable de Jacques Anquetil, qui le relégua finalement à 55 secondes de son rêve.

En 1968, la victoire lui semble enfin promise. Mais le destin en décide autrement. Un motard de l’équipe technique du Tour renverse le champion. Le corps meurtri, la mort dans l’âme, Poulidor est contraint à l’abandon.

Lorsque ce ne fut plus Jacques Anquetil, lorsque ce n’était pas l’infortune, ce furent les jambes d’Eddy Merckx qui se dressèrent sur la route de Raymond Poulidor et l’empêchèrent de faire en tête le tour de ce pays qui l’aimait tant.

Qu’importe. Raymond Poulidor termina huit fois sur le podium des Champs-Elysées, un record.

Surtout, son courage et sa résilience, sa sueur et ses larmes, la longévité de sa carrière bâtirent sa légende. Poulidor le malchanceux s’attira ainsi une immense sympathie des Français qui s’offusquaient de l’injustice de son sort.

Lui le paysan, qui grimpa l’échelle sociale en grimpant les cols les plus durs, à la force de ses mollets, lui qui ne se plaignait jamais, lui qui était toujours modeste, qui ne lâchait rien, réessayait toujours, est devenu le héros moral du Tour de France. Des millions d’hommes et de femmes ont vécu à travers lui des heures pleines de passion et d’espoir, suspendues à leur poste de télévision ou au transistor, et des milliers d’enfants ont enfourché leur vélo pour rejouer ses duels les plus épiques.

Longtemps après avoir tiré sa révérence, il restait l’emblème et l’ambassadeur du Tour de France, participant chaque année depuis la caravane du Tour à la magie de juillet. L’immense second continuait de franchir en tête la ligne des cœurs.

Le Président de la République adresse à ses proches et à tous ses admirateurs ses plus sincères condoléances. 
 

Photographie signée René Milanese durant le Tour de France 1976.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers