Ce mardi 29 octobre, a eu lieu l’inauguration du Centre Européen du Judaïsme dans le 17ème arrondissement de Paris. Le Président de la République Emmanuel Macron a donc tenu à participer à l’inauguration de ce grand complexe religieux et culturel afin qu’il devienne un lieu d’échanges et de partage.

Retrouvez le discours du Président de la République à l'occasion de l'inauguration du Centre Européen du Judaïsme à Paris

29 octobre 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président Emmanuel Macron au Centre Européen du Judaïsme

Mesdames messieurs les Ministres, messieurs les Premiers ministres, madame la Vice-présidente de l’Assemblée nationale, mesdames messieurs les parlementaires, monsieur le Préfet de région, monsieur le Préfet de police, madame la Maire de Paris, madame la Présidente du Conseil régional, mesdames et messieurs les élus, mesdames et messieurs les représentants des cultes, monsieur le Président du Consistoire central israélien de France, mesdames et messieurs, la République que vous venez de porter dans votre prière monsieur le grand rabbin est faite de continuités. Les pouvoirs passent au gré des légitimes respirations démocratiques mais les projets restent au-delà des alternances lorsqu’ils sont conduits avec constance, enthousiasme au sens étymologique du terme et s’imposent progressivement comme des évidences. Aussi suis-je très heureux d’inaugurer ce Centre européen du judaïsme et ce faisant de m’inscrire dans les pas de plusieurs Présidents de la République, de plusieurs Premiers ministres, Ministres de l’Intérieur, Maires de Paris, Présidents et Présidentes de Conseils régional qui, tous, par-delà les différences de sensibilité ont accompagné ce projet et fait que nous sommes là.

La République est faite de continuités et les valeurs restent aussi. Je suis présent parmi vous au nom d’un principe, la laïcité, vous l’avait l’un et l’autre évoqué qui vit aussi par des moments tels que celui qui nous réunit ce soir. La laïcité n’est ni la négation du fait religieux ni un outil de lutte contre les religions mais une valeur qui complète le triptyque républicain autant qu’il épouse et renforce chacun de ses piliers. La laïcité, telle que la concevait Aristide BRIAND, est d’abord un principe de liberté. Et comme le plaidait JAURÈS un principe de liberté organisé par la loi et le respect de l'ordre public. Et l'héritage consiste (inaudible), cher Joël MERGUI, chère Haïm KORSIA, revisité par la loi de 1905 en porte un beau témoignage : la laïcité est un principe d'égalité. Dans notre République la religion jamais ne peut justifier qu'un citoyen se soustrait à la loi. Mais croire ou ne pas croire ne saurait constituer non plus une cause de discrimination. La laïcité enfin est un principe de fraternité qui doit vivre en chaque Français comme une boussole dans son rapport aux autres citoyens, quelque chose qui a trait au fond à une forme de civilité française. Et je tenais très simplement à le rappeler en ce moment de la vie de la nation où cette valeur d'union et de cohésion est parfois dévoyée, instrumentalisée par ceux qui voulant semer la haine et la division s'en servent pour mener le combat contre telle ou telle religion. Et je veux, comme vous l'avez fait ce soir, à côté de la synagogue dans laquelle nous étions ensemble tout à l'heure, avoir une pensée amicale et républicaine pour nos compatriotes gravement blessés à la mosquée de Bayonne lors de l'attaque d’hier parce qu'ils croyaient et venaient prier. La République fait bloc autour d'eux comme elle fait bloc autour de chacun de ses enfants lorsque l'obscurantisme et l'intolérance réapparaissent.

Cher Joël MERGUI, si l'adage latin ad augusta per angusta a quelque pertinence, définitivement ce centre européen du judaïsme connaîtra, à n'en pas douter, un grand succès. Car avec l'ensemble des membres du consistoire, l'assemblée générale, le bureau vous avez dû franchir de nombreux obstacles pour que cet édifice rêvé par le grand rabbin Joseph SITRUK, et je salue ici son épouse Danièle, puisse enfin voir le jour. Il a fallu trouver un terrain et je m'associe aux remerciements formulés un instant à l'endroit de la Ville de Paris, attirer des financements et je tiens à saluer l'ensemble des donateurs qui partenaires institutionnels, associations, fondations, cher David DE ROTHSCHILD, cher Éric DE ROTHSCHILD, cher Patrick DRAHI ont rendu ce projet possible. Lever tous les freins juridiques et réglementaires et je sais combien ils demeurent nombreux malgré l'action résolue des gouvernements successifs pour les effacer. Durant plus de 10 ans donc, en plus de vos fonctions de président du Consistoire central et de président du Consistoire de Paris et d'Ile-de-France, vos jours, souvent vos nuits, aussi, ont été, cher Joël MERGUI, ceux d'un entrepreneur prenant tous les risques pour faire aboutir un projet auquel il croit. A cette différence sans doute par rapport aux entrepreneurs, de droit commun si j'ose cette formule, que vous ne recherchiez, vous, ni part de marché, ni profit, simplement agir pour cette institution riche de 210 années d'histoire qu'est le Consistoire, pour les juifs de France, plus encore — permettez-moi de le dire ici — pour l'intérêt général, pour la République. Vous l'avez dit, les années qui scellèrent définitivement le destin de ce projet furent particulièrement difficiles pour vous, pour l'ensemble des juifs de France, pour la nation tout entière. Hiver 2006, le calvaire et le meurtre d'Ilan HALIMI. Et je me souviens avec émotion de la souffrance de sa famille des années plus tard, de son espérance aussi. Mars 2012, l'effroyable tuerie de l'école Ozar HATORAH à Toulouse. Janvier 2015, les attentats de Paris et en particulier celui de l'hyper-casher. Puis cette résurgence de l'antisémitisme qui marque la nation d'une tâche indélébile : les assassinats de Sarah HALIMI, de Mireille KNOLL, les insultes, les menaces, les actes antisémites qui hélas ne cessent de se multiplier, les quartiers perdus, les peurs qu'on finit par accepter. Dans ce contexte, beaucoup auraient pu baisser les bras, succomber au défaitisme et tant ce serait demander « A quoi bon construire, à quoi bon continuer ? » Pas vous. Pas vous tous ; au fond, à travers Joël MERGUI, pas nous. Avec le soutien plusieurs fois renouvelé de la République, en puisant aussi dans votre foi et je crois pouvoir le dire dans l'amour de votre patrie, vous avez tenu bon parce que vous saviez aussi et vous savez combien les uns et les autres nous sommes profondément attachés, profondément attachés à cette place, à ce rôle, à cette histoire que vous avez rappelée.

Vous savez combien je tiens à ce combat contre l'antisémitisme contemporain. Il y a 8 mois j'étais parmi vous, chers Présidents, pour prendre quelques engagements clairs, dire la détermination de la nation, du gouvernement dans cette lutte contre l'antisémitisme et le silence qui parfois l'accompagne. Le Gouvernement et le Parlement ont commencé d'agir. Les engagements ont été tenus et seront parachevés. Mais au-delà de ces réponses, au-delà de ces actions vous aviez aussi conscience que le moment que notre nation traverse justifiait davantage, quelque chose peut être de plus grand que nous, de plus puissant que nous. Un acte de résistance, un acte aussi de confiance, celui qui nous réunit aujourd'hui. Alors même que tout conduit à douter, au moment où l'histoire revient avec son pas lourd et la bête quaternaire se réavance pour nous menacer nous savons que dans ces moments-là réaffirmer la confiance dans la République et dans ce que nous sommes est plus important que jamais. Le faire à Paris, le faire en France, le faire pour l'Europe au moment où l'antisémitisme en France, en Allemagne, dans tant de pays resurgit, où les extrêmes et les discours de haine resurgissent, c'est décider de ne pas se résoudre. Alors merci pour cela. Car résister cela n'est pas simplement protéger, continuer de le faire comme le ministre et avec lui l'ensemble de nos forces de l'ordre continueront. Ce n'est pas répondre. Non. C'est aussi convertir les cœurs et les esprits. C'est ce qu’il se fait ici dans ce lieu ouvert sur la ville, ouvert sur la société, un centre qui, cher Haïm KORSIA, est désormais doté de murs tout proches, boulevard de Reims, et je ne crois pas au hasard objectif et qui trouvera, j'en suis sûr, un souffle à la source d'une culture, le judaïsme, qui a coulé dans les veines de l'Europe durant plus de deux millénaires et a contribué à forger notre civilisation.

Dans ce centre donc, les visiteurs pourront découvrir in vivo comme nous venons de le faire ensemble sculptures, peintures, œuvres musicales, pièces de théâtre, projections cinématographiques, photos, débats, toute la richesse et la pluralité du judaïsme européen. Mon rôle n'est évidemment pas de m'immiscer dans la programmation qui sera celle du centre. Je crois pouvoir simplement deviner sans risque que seront ici proposés quelques beaux voyages dans l'espace et le temps à la découverte de trésors enfouis de notre culture commune. Je suis sûr qu'on y voyagera à Cordoue, au IXème et Xème siècle, où les Juifs qui, malgré leur statut de dhimmi, développèrent une culture extraordinaire, géographie, médecine, mathématiques, philosophie, poésie, faisant alors le rayonnement de toute la région. Et l'Espagne vibre encore des noms du philosophe Salomon IBN GABIROL, du poète Moïse IBN EZRA, du médecin Juda HALEVI, qui incarnent l'âge d'or de ce Moyen-Âge ibérique. Je sais qu'ensuite, vous les emporterez jusque dans la Champagne des XIème et XIIème siècles, protégés par les comtes de la région, Rachi de Troyes y écrivant des commentaires talmudiques qui, bientôt diffusés dans toute l'Europe, contribuèrent à ce que les historiens appellent la petite Renaissance et sont venus jusqu'à nous, et renferment, ne l'oublions jamais, parmi les plus anciens écrits comportant des mots en langue française.

Vous les amènerez dans l'Italie des XIVème et XVème siècles, là où, après les expulsions décidées en Espagne et en France, de nombreux juifs étaient allés s'installer, à Venise, Gênes Florence, cités abritant des personnalités comme Immanuel BEN SALOMON, poète et grammairien, ami de DANTE, Abraham FARISSOL, écrivain et géographe florentin, ainsi que des dizaines et dizaines d'imprimés hébraïques qui sont parmi les précurseurs de la Renaissance italienne. Et au fil des expositions, des débats, le voyage ne cessera, j'en suis sûr, de se prolonger. Il passera par l'Europe centrale. Au XVIIème et XVIIIème siècle, les Juifs d'Europe vécurent une forme d'âge d'or, et nous célébrerons, l'année prochaine, les 300 ans de la mort du Gaon de VILNA, l'immense érudit. Par la France de la fin du XVIIIème siècle où la République s'accomplit pleinement, avec l'accès des Juifs à la citoyenneté tant défendue par l'abbé GRÉGOIRE et MIRABEAU, par la Hongrie du XIXème siècle, ou l'émancipation des Juifs par l'empereur François-Joseph leur permit d'investir les arts, les sciences, l'industrie, et de participer à l'avènement d'une forme de modernité hongroise. Et puis, les persécutions devenant de plus en plus fortes en Europe centrale, la France à nouveau, au début du XXème siècle, ZADKINE, CHAGALL, SOUTINE, et les refuges trouvés auprès de l'école de Paris et dans tant de lieux et même ces ghettos où, durant la Seconde Guerre mondiale, la culture judaïque résista aux pires atrocités. Les voix d'une chorale chantant dans le ghetto de Varsovie, la mélodie d'un orchestre jouant dans le ghetto de Kovno, en Lituanie, toujours plus forte que l'abîme, la Torah au cœur des ténèbres, pour reprendre le livre du rabbin Ephraïm OSHRY. Tant de persécutions, tant d'exil, tant d'histoires tragiques mais tant d'entrelas inexorables avec notre culture européenne. Et toujours, même au cœur de l'horreur, tant d'espoir, tant d'œuvres exceptionnelles de l'âme et de l'esprit. Toujours résister par la beauté, l'intelligence, l'ouverture, tant de fils de savoir et de cultures tissées entre les différents pays d'Europe par la diaspora juive, par le peuple juif. Oui, parce qu'il a côtoyé tous les peuples et toutes les terres d'Europe, le judaïsme a joué un rôle primordial dans l'unité du continent pour bâtir ce qu'est la pensée, la civilisation européenne, pour forger au fond ce que nous sommes. Oui, tous les Européens, de l'Atlantique à l'Oural, sont un peu des enfants de ces passages du judaïsme. Oui, il est une part juive de l'âme européenne façonnée dans les temps sombres des humiliations et des expulsions autant que dans les jours heureux des protections et des émancipations. Et qu'un centre soit là, bâti aujourd'hui pour le dire haut et fort, pour mettre des faits, des mots, des œuvres sur ce que nous appelons parfois confusément la civilisation judéo-chrétienne, le Président de la République française que je suis, Européen passionné que je suis, ne peut l'accueillir qu'avec une immense bienveillance. Il ne s'agit pas simplement de replacer à leur juste place les trésors cachés des vérités enfouies, même si le combat de la connaissance contre l'ignorance, de la lumière contre l'obscurité seront toujours les miens comme ils sont les vôtres, cher Joël MERGUI, mais présentant aux visiteurs de ces lieux quelques grandes figures du judaïsme européen, présentant ce que Emmanuel LEVINAS appelait des visages, je crois que se joue ici aussi quelque chose d'un combat universel. L'éducation a une forme d'éthique de la responsabilité. LEVINAS, qui avait quitté Kovno que j'ai évoqué tout à l'heure pour rejoindre la France et mourir à Paris en 1996 après une œuvre immense, concevait le visage qui est au cœur de votre projet, et au fond de ce que, depuis tout à l'heure, nous sommes en train de nous dire, comme la figure ultime de l'altérité. « Le visage s'impose à moi sans que je puisse rester sourd à son appel ni l'oublier, écrivait-il, sans que je puisse cesser d'être responsable de sa misère. » C'est précisément ce qui va se nouer ici, dans ce centre européen du judaïsme. Par le dialogue avec les grandes figures du judaïsme, chaque visiteur pourra en effet éprouver en lui cette conscience de la responsabilité qui nous unit aux autres. Et il y a d'ailleurs, dans ce rapport au visage et à l'altérité chez LEVINAS, une part revendiquée aussi d'innocence, parce que nous avons eu des mots graves et la période les justifie, mais il y a aussi quelque chose d'irréductiblement spontané, léger, innocent dans le rapport à l'autre. C'est cette part d'altérité que j'accepte, et je crois que ce lieu aura cette importance par son éveil aux arts, par l'engagement que vous avez décidé d'y accorder, par des enfants qui viendront y mettre le désordre et s'ouvrir à ce visage de l'autre, d'être tout à la fois la conjugaison de cette éthique de la responsabilité et de cette innocence dont nous avons aussi besoin. L'un et l'autre avaient eu ces mots pour nos enfants. Je les partage, mais laissons-leur cette part d'innocence. Prenons, nous, la lourdeur des temps. Et au fond, ce que le judaïsme appelle amour, tu aimeras ton prochain comme toi-même du Lévitique, c'est ce que la République française appelle la fraternité.

Alors merci, merci, cher Joël MERGUI. Merci, mesdames et messieurs les membres du consistoire, donateurs et partenaires de ce combat mené, de ce combat déjà gagné, de ce cadeau fait à la nation et au continent de démontrer qu'on peut à la fois aimer sa religion, sa culture et aimer sa patrie, chérir la République. Merci à chacune et chacun d'avoir rendu possible ce beau et grand projet, symbole d'un judaïsme ouvert sur la ville, sur la société, sur le monde. Merci aussi à ceux qui le feront vivre au-delà de nous, parce que le judaïsme est aussi la transmission et que ce centre est un acte de foi dans le futur, une promesse d'avenir. Merci, ce faisant, de contribuer à faire vivre cet humanisme dont la France et l'Europe ont tant besoin et qu'il y a quelques siècles, le judaïsme, avec quelques autres courants philosophiques et religieux, a contribué à faire naître sur notre continent. Je relisais, avant de venir vous voir, quelques écrits de la philosophe Simone WEIL, la philosophe. Elle a eu des mots très durs sur le judaïsme. Et elle a souvent évoqué cette notion d'enracinement que l'époque contemporaine a parfois convoquée, je crois pouvoir le dire, à tort, en faisant référence à Simone WEIL dans les termes où on l'a utilisée. Elle a des mots très durs sur le déracinement des Juifs, et elle a une phrase, dans un de ses écrits, terrible où elle dit : « les Juifs sont des déracinés, et au fond, c'est ce qui les met dans le même lot que les Lumières, 1789, l'Europe, la République. » Et après elle continue, elle va jusqu'à la face sombre de la République en parlant du colonialisme. Elle crée, ce faisant, quelque chose, d'une part, qui ne m'était pas apparu si clairement jusque-là, de ce qui, en effet, lie les Juifs à la République. Ce qu'elle appelle le déracinement, c'est le fait qu'il n'y a pas un lieu fixe, unique qui épuise tout, qu'il y a d'abord et avant tout toujours la dignité, la dignité de l'homme comme guide, qu'il y a ensuite l'hospitalité qui fait que décider d'habiter un lieu est toujours déjà l'ouvrir à l'autre, et qu'il y a toujours un rapport à l'universel. Dans ce triptyque qui, je crois, construit aussi une part de vérité du judaïsme, il y a une part de vérité de ce qu'est la République. Peut-être que pour certains, la République est déracinée. Je crois très profondément que, partout où il y a la dignité de l'homme libre, l'hospitalité et le goût de l'universel, elle est là et ce centre en est la formidable métaphore.

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