(Re)voir la cérémonie en hommage aux trois sauveteurs de la SNSM décédés au cours d’une opération de secours au large des Sables-d’Olonne :

13 juin 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République en la mémoire des sauveteurs de la Société Nationale de Sauvetage en Mer

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Madame la vice-présidente du Sénat,
Monsieur le ministre d’Etat,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Monsieur le maire des Sables-d’Olonne,
Madame la présidente du Conseil régional,
Monsieur le président du Conseil départemental,
Monsieur le préfet,
Monsieur le chef d’état-major de la marine,
Monsieur le préfet maritime,
Monsieur le président de la Société nationale de sauvetage en mer,
Mesdames et Messieurs,
Chères familles,

 

Il est 11h20 ce 7 juin. Les vents soufflent à plus de 120 km/h. Des vagues immenses s’écrasent violemment sur les digues du port des Sables. Une balise de détresse est détectée par le CROSS Etel qui provient du navire de pêche Carrera.

Alors, quelques minutes plus tard 7 sauveteurs, 7 braves, 7 marins expérimentés arment le canot patron Jack Morisseau pour aller au secours du pêcheur en difficulté. Dès les minutes qui suivent, un hélicoptère de la Sécurité civile se joint, qui les appuie.

A l’instant même où ils montèrent à bord, ces 7 hommes savaient : ils savaient, en marins, en hommes de mer, qu’ils prenaient tous les risques. Et pourtant : aucune question, aucune hésitation. Un marin était en détresse et il fallait le secourir.

Ils savaient, et parce qu’ils savaient, ils n’ont pas attendu, et parce qu’ils savaient, leur courage en fut plus encore admirable.

Et voilà qu’à peine sortis du port, une déferlante brise les vitres de la timonerie. La violence est insigne. L’eau envahit les compartiments, endommage les systèmes du bord. Le canot est ingouvernable. Deux nouvelles déferlantes. Il se retourne. Le voilà drossé à la côte.

Où se trouvent les membres d’équipage ? Nul ne le sait. Deux hélicoptères de la gendarmerie nationale et de l’armée de l’air sont alors immédiatement dépêchés en renfort.

Et depuis le rivage, dans cet élan de générosité extraordinaire dont sont capables les gens de mers : tous, spontanément, se mobilisent. Des jeunes de l’école de surf voisine relayés par des sapeurs-pompiers finissent par secourir les membres de l’équipage ayant gagné la côte à la nage. D’autres tentent de dégager d’éventuels survivants du canot échoué sur les rochers. L’angoisse est là, mais chacun s’affaire.

Et dans un silence anxieux la nouvelle tombe bientôt : sur les 7 membres de l’équipage : 3 morts. Et le pêcheur du Carrera, toujours pas retrouvé.

La France du sauvetage en mer venait de vivre la plus importante tragédie de son histoire depuis le naufrage du canot de la station de l’Aber Wrac’h, une nuit d'août 1986.

Alors, aujourd'hui la Nation pleure. La Nation pleure trois de ses enfants morts en héros parce que leur engagement, le sens qu'ils avaient donné à leur existence, était de sauver la vie des autres.

Yann CHAGNOLLEAU avait 54 ans. Depuis quelques mois était venu, pour ce patron pêcheur, le temps de la retraite. Deux mois à peine. Le temps, enfin, de sa compagne et de ses deux jumeaux de 12 ans, de ses trois enfants et de ses deux petits-enfants, Ethan et Raphaël.

Mais la mer n'était jamais loin. Yann CHAGNOLLEAU en savait les morsures, lui le fils d'un marin pêcheur ayant péri en mer alors qu'il n'avait que cinq ans. Il n'avait pour autant jamais songé à l'abandonner définitivement, lui qui, depuis plus de 20 ans était engagé comme bénévole à la SNSM, depuis qu'il avait remonté un noyé dans ses filets.

Il était ainsi devenu, il y a un an, patron titulaire du canot Jack Morisseau.

Grand professionnel de la mer, il était une figure emblématique de la station des Sables. Il faudra désormais apprendre à vivre, à avancer sans lui, dans son souvenir, sans cette force d'âme qui le portait et qui attirait les autres à sa suite.

Alain GUIBERT avait 51 ans. Marin pêcheur dès l'âge de 14 ans, devenu par la suite armateur de deux fileyeurs, il avait, lui aussi, fait de la mer, son métier. Et de l'innovation, sa passion. La mer, Alain GUIBERT ne pouvait s'en séparer.

C'est pourquoi il y a trois ans, il choisit de mettre son savoir au service des autres, en s'engageant à la station. Patron suppléant du canot tout temps depuis près de deux ans, c'était un passeur.

Rien n'était plus important pour lui que de transmettre aux plus jeunes la connaissance de la mer, de cette baie des Sables qu'il avait mis tant et tant d'années à acquérir.

Il va manquer à tous, à sa chère femme, à ses deux enfants, Charlie et Mélissa, et à ses trois petits-enfants.

Dimitri MOULIC avait 37 ans. Issu d'une famille de pêcheurs, mécanicien de marine, engagé depuis un an et demi à la SNSM comme mécanicien du canot, il n'avait pas tardé à devenir un des piliers de la station.

C'est lui, qui malgré une activité professionnelle intense, prenant sur le temps qu'il consacrait à sa vie de famille, à sa compagne, à ses trois enfants chéris, se rendait toujours disponible pour participer à la vie de la station, faire connaître l'action des sauveteurs.

Lui qui, malgré le travail quotidien avec son frère, avait en charge la responsabilité technique et logistique de la station, et qui, récemment, s'était porté volontaire pour en assurer la communication.

Il a péri alors même qu'il avait réussi à gagner le rivage, si près du but.

A Yann CHAGNOLLEAU, Alain GUIBERT et Dimitri MOULIC, je remettrai dans un instant les insignes de chevalier de la Légion d'honneur.

Ils seront également cités à l'ordre de la Nation.

Car en ce moment, c'est bien toute la Nation qui reconnaît leurs mérites exceptionnels, qui distingue leur incroyable dévouement pour accomplir ce qu'ils considéraient comme leur devoir.

C'est bien toute la Nation qui s'incline devant la douleur digne de leurs familles, leurs compagnes, leurs enfants, leurs parents et tous leurs proches.

C'est bien toute la Nation qui s'incline devant vous, Mesdames, Messieurs, à qui la mer a pris vendredi dernier un mari, un père, un fils, un ami.

Chères familles, aujourd'hui le chagrin l'emporte mais je vous le dis : soyez fiers, fiers de l'engagement et du courage de vos disparus, fiers comme la France est fière d'eux. Yann, Alain et Dimitri avaient choisi. Ils avaient choisi l'engagement bénévole, désintéressé, au service des autres, parce que, pour eux, et quels que soient les risques, la solidarité des gens de mer était plus forte que tout. C’était une règle impérieuse, indiscutable, immuable, un idéal. Ce 7 juin, ces trois-là sont allés au bout de leur idéal, en hommes d'honneur et de courage qu'ils étaient, en marins qu'ils étaient.

Dans cette tempête atlantique donc, aux côtés de Yann, d'Alain et de Dimitri se trouvaient portés par le même élan de courage et le même dévouement, 4 hommes, que la mer a épargnés mais qui ont vu leurs trois camarades, leurs amis, leurs frères périr sous leurs yeux : Christophe MONNEREAU, président de la station SNSM des Sables d'Olonne, bénévole depuis 9 ans. Jérôme MONNEREAU son fils, 25 ans seulement, mais déjà 8 ans de sauvetage en mer. David BOSSARD, plongeur de bord et 13 ans d'engagement bénévole au sein de la station. Et Emmanuel HUBE qui, prisonnier de la coque du canot, fut sauvé par l'intervention des sapeurs- pompiers, puis par celle des personnels hospitaliers.

La France sait ce qu'elle vous doit, à vous aussi, à vous qui depuis des années, vous êtes engagés pour sauver les autres sur cette baie des Sables d'Olonne, à vous qui, ce 7 juin, n'avez jamais hésité malgré la tempête, parce qu'il y avait une vie en jeu et parce que cela suffisait.

En reconnaissance de vos mérites, en reconnaissance de la bravoure dont vous avez fait preuve pour porter secours ce 7 juin, vous qui avez affronté les mêmes dangers que vos camarades, vous qui ne formiez qu'un dans la tempête, vous qui avez côtoyé la mort mais en avez été miraculeusement épargnés, vous qui êtes là aujourd'hui avec nous alors que vos camarades, pour reprendre vos mots, n'ont pas eu « la même étoile », j'ai décidé de vous nommer aussi chevalier dans l'Ordre de la Légion d'honneur.

Car un équipage jamais ne se divise et toujours fait un. Tous les marins le savent. Et cette décoration scelle le lien indéfectible qui, pour toujours, vous unira.

À travers vous 7, à travers ces légions d'honneur, c'est aussi toute une famille que la République souhaite honorer aujourd'hui : la famille des sauveteurs en mer.

Ce sont ces 8 000 femmes et hommes de la Société nationale de sauvetage en mer qui ne cessent de prendre des risques sur leur temps libre, oui sur leur temps libre, pour secourir et sauver les autres.

Chaque année, près de 9 000 interventions effectuées, plus de 10 000 usagers de la mer directement secourus, au large et sur le littoral.

Nous vous devons tant. Nous leur devons tant et tant de vies sauvées.

Et le peuple de France le sait bien.

À l'annonce du décès d’Alain GUIBERT, de Yann CHAGNOLLEAU et de Dimitri MOULIC, de nombreux Français marins, terriens, simples amoureux de la mer se sont rendus dans les ports du pays pour être là, aux côtés des sauveteurs en mer, déposant parfois une rose sur une plage ou un bateau, pour témoigner de leur solidarité.

Ils sont venus pour dire à ces braves portant les couleurs de la SNSM que sur le littoral tout le monde connaît, et plus largement à la communauté des gens de mer, qu'ils étaient solidaires en ce moment d'épreuve. Pour dire merci tout simplement, à celles et ceux qui veillent sur eux.

Je vous connais depuis tant d'années. Et je vous ai vus, à chaque fois, de Boulogne à Lorient, de Calais à Camaret, de l'Hexagone aux outre-mer, avec ce même courage et cette même fierté.

Les Français ont reconnu dans cet acte de bravoure ce qui, à la fin, constitue notre peuple : le fait d'être capable de donner sa vie pour un compatriote, cette solidarité inconditionnelle qui nous lie et qui a permis d'écrire les plus belles pages de l'histoire de notre pays.

Aussi, suis-je venu vous dire, ce matin, que nous nous battrons pour faire vivre ce beau modèle, solidaire et fraternel, du sauvetage en mer. Le Gouvernement et le Parlement le feront et ils sont déjà engagés ensemble. Et j'y veillerai.

HUGO écrivait que « les morts sont les invisibles, ils ne sont pas les absents". Nos morts en mer sont de ceux-là, qui ne sont plus, qu'on ne voit plus. Mais ils peuplent l'horizon et nous rappellent notre dette. Ils forgent cette trame qui fait la Nation. Les trois noms de ces marins qui ont péri en mer, elle les murmurera encore longtemps et les familles en garderont le souvenir. Et leurs familles qui pleurent aujourd'hui porteront cette fierté. Et, demain, les frères, les enfants, vivront, se marieront et reprendront la mer et, à nouveau, sauveront en mer. Parce que c'est ainsi. Parce que la France est une nation d'océans et de mers portée par l'esprit de conquête et d'aventure et par l'irréfragable solidarité qui tient tous les marins. Et cela continuera. Et c'est ce que nous voulons. Et c'est ce que vous voulez.

Mesdames et Messieurs, chers Christophe et Jérôme MONNEREAU, cher David BOSSARD, cher Emmanuel HUBE, ces derniers jours, le pays entier a été ému par le récit que vous avez fait de la tragédie qui s'est nouée dans cette matinée du 7 juin. La détermination des sept sauveteurs du canot, les Français l'ont tout de suite ressentie. C'est aussi votre courage et votre sang-froid, ce sang-froid face au silence que vous décrivez alors que la mer se déchaînait : « Aucun cri. Personne n'a parlé. Il n'y avait que des professionnels » avez-vous tous dit.

C'est pourquoi, au moment de dire adieu à vos 3 camarades et en écho à ce silence qui régnait dans votre canot au moment du drame, nous observerons, en communion avec tous les gens de mer partout en France, un moment de recueillement.

Pour ce silence-là, le vôtre.

En hommage à Alain GUIBERT, Yann CHAGNOLLEAU et Dimitri MOULIC, morts sur les rivages de Vendée, en marins, en héros, en héros français.

"La Nation pleure trois de ses enfants, morts en héros parce que leur engagement, le sens qu’ils avaient donné à leur existence, était de sauver la vie des autres."

Emmanuel Macron, le 13 juin 2019.

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