Le Président de la République a appris avec une profonde tristesse le décès de Michel Serres. Le monde perd un grand intellectuel, qui fit briller la tradition philosophique française au-delà de nos frontières. Les Français perdent un visage familier qui sut mettre son érudition au service de tous, et qui, jusqu’au seuil de sa vie, chercha à éclairer de son savoir et de son intelligence la vie de notre Nation.

C’est d’abord comme militaire que Michel Serres s’engagea pour la France. Fils de marin, il entra à l’école navale en 1949 et sert comme officier entre 1956 et 1958. Mais déjà, le goût des belles lettres et des idées l’avait rattrapé. Admis à l’Ecole normale supérieure en 1952, reçu à l’agrégation de philosophie en 1955, puis docteur ès lettres, Michel Serres s’impliqua très tôt dans la vie intellectuelle du pays. Spécialiste d’épistémologie, revisitant les travaux de Leibniz, d’Auguste Comte et se plaçant dans la lignée d’Henri Bergson, il développa une approche originale, en rupture avec la pensée dominante de l’époque. Ainsi se distingua-t-il par la défense d’une philosophie des sciences faisant la part belle à l’expérience personnelle du chercheur là où l’esprit des temps privilégierait la « rupture épistémologique », autrement dit la mise à distance du scientifique dans son travail de recherche. Dans un autre registre, avec son Contrat naturel, Michel Serres fut parmi les premiers à extraire la discipline philosophique de la perspective anthropocentrée dans laquelle elle pouvait se trouver et ainsi à faire de la Terre un objet philosophique à part entière, prélude à la prise en compte, sur le plan philosophique et politique, de l’enjeu décisif de préservation de la biosphère. Ses travaux pionniers lui valurent une reconnaissance tant sur sur le plan national – il fut reçut à l’Académie française en 1990, que sur le plan international – il devint en 1984 professeur à l’Université de Stanford avec la bienveillante protection de Michel Foucault et de René Girard.

Mais l’œuvre de Michel Serres ne se résume pas à la recherche philosophique. Tel Hermès, le Dieu-messager sujet de nombreuses de ses publications, Michel Serres s’attacha toujours à se tourner vers d’autres champs, à jeter des ponts entre les arts et les disciplines, et à chercher à ouvrir le savoir au plus grand nombre. C’est ainsi comme acteur du débat public brossant régulièrement, par ses écrits et chroniques, le portrait des évolutions des temps, que les Français découvrirent véritablement Michel Serres. Que ce soit par ses ouvrages, par ses fonctions de président du conseil scientifique de la chaîne « la Cinquième » à partir de 1994, puis comme chroniqueur à Radio France jusqu’au seuil de sa vie, Michel Serres ne cessa jamais d’éclairer notre pays de ses analyses mâtinées tout à la fois d’une haute conscience du temps long et d’un sens aiguisé de la formule.

Nous nous souviendrons longtemps de ses déclarations de bienveillance et d’amour à la jeunesse, comme dans petite Poucette, ce livre où l’écrivain analyse la transformation accélérée de notre société et les mutations technologiques auxquelles elle doit faire face. Nous nous souviendrons de son indéfectible optimisme, lui qui rejetait de toutes ses forces la nostalgie du c’était mieux avant - titre qu’il donna à l’un de ses derniers livres, pour donner sa chance à l’innovation et au progrès.  Nous nous souviendrons de son regard rieur, de son sourire espiègle, son accent gascon qui rythmait ses écrits comme ses dires, de son élégance. Nous n’oublierons pas, surtout, cette passion de la France de sa langue, de sa culture, de sa part d’universel, que, lui, l’enraciné, l’homme d’Agen et de ce Sud Ouest chéri, ne cessa jamais de porter.

Au cours d’un de ses derniers entretiens télévisés, Michel Serres eut ce mot pour la jeunesse de notre pays : « essayez d’être vraiment français ». Puissions-nous, collectivement, nous montrer dignes de l’épitaphe d’un savant qui, plus encore qu’un honnête homme comme on qualifiait au XVIIème siècle les hommes de culture, fut un grand homme des XXème et XXIème siècles.

Le Président de la République et son épouse adressent à la famille et aux proches de Michel Serres leurs plus sincères condoléances.

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