(Re)voir la cérémonie à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, en présence du Président de la République Emmanuel Macron au Jardin du Luxembourg.

10 mai 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours du Président de la République à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions.

Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le vice-président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le président de la Mission de la mémoire de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions,
Monsieur le Premier ministre, cher Jean-Marc AYRAULT,
Mesdames et Messieurs les députés, sénateurs,
Monsieur le représentant de la présidente de la Région,
Madame la représentante de la Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le président du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, cher Frédéric RÉGENT,
Monsieur le préfet,
Mesdames Messieurs les ambassadeurs,
Messieurs les autorités religieuses, 
Mesdames Messieurs,
Chère Nadia MURAD, prix Nobel de la Paix 2018,
Chers élèves.

Depuis 2006, le 10 mai est la journée nationale des mémoires de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions. La loi l’a voulu, Jacques CHIRAC l’a fait, et c’est la première fois que je m’exprime devant vous à cette occasion. Je le fais car je mesure ce que l’esclavage, la traite, les abolitions et leurs héritages représentent dans l’histoire de notre pays, dans notre culture, dans notre âme. Cette histoire est notre histoire. Elle a donné à la France un destin mondial, elle a forgé les combats et les valeurs de la République. Elle explique la diversité de notre société. Elle nous relie à l’Afrique, aux Caraïbes, à l’Amérique, à l’Océan Indien.

La loi qui porte votre nom, chère Christiane TAUBIRA, a reconnu la part tragique de cette histoire. Et grâce à vous, la France a été le premier pays dans le monde à reconnaître avec autant d’honnêteté que la traite et l’esclavage constituent un crime contre l’humanité. Voilà ce que la représentation a reconnu à l’unanimité il y a 18 ans, telle était la vérité et il fallait qu’elle fût dite.

Mais l’histoire a continué. Cet ordre injuste et barbare a été contesté. D’abord par les esclaves eux-mêmes qui n’ont jamais cessé de vouloir devenir libres, qui ont toujours résisté à leur servitude, que ce soit en se forgeant une culture et une spiritualité propre par laquelle ils affirmaient cette humanité qu'on leur niait, en prenant la fuite, les armes, la plume ; en se révoltant. Et partout en Europe, à travers tout le 18ème et le 19ème siècle, des philanthropes et des intellectuels se sont aussi battus contre la traite et l'esclavage au nom de l'humanité.

Certains de ces résistants des colonies et de ces libéraux de l'Hexagone reposent aujourd'hui au Panthéon où ils sont honorés parce que leur combat, cet engagement, ont fait d'eux de grands hommes l'abbé GRÉGOIRE, CONDORCET, TOUSSAINT-LOUVERTURE, Louis DELGRÈS, Victor SCHOELCHER. Ces combats jalonnent notre histoire, jalonnent l'histoire de la République, des révoltés de Saint-Domingue appelant les révolutionnaires de Paris à abolir l'esclavage en 1794 à Cyril BISSETTE, le Martiniquais luttant pour l'émancipation sous la Monarchie de Juillet aux côtés de LAMARTINE et de SCHOELCHER.

Oui, entrelacée à l'histoire terrible de la servitude à laquelle des millions et des millions d'êtres humains ont été réduits pendant des siècles, il y a l'histoire sublime, héroïque, édifiante de tous ceux qui ont secoué et brisé ces chaînes odieuses. Face à l'horreur de l'esclavage, il y eut l'honneur de la résistance et le bonheur enfin de l'émancipation. C'est une histoire française, une histoire universelle.

171 ans ont passé depuis l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, mais les conséquences de ce passé sont là, toujours là, car son héritage aujourd'hui, c'est la géographie de la France contemporaine, son identité d’archipel mondial qui va de l'Europe aux Antilles, de la Guyane aux Mascareignes. C'est le français que l'on parle sur tous les continents avec sa richesse et sa variété. Ce sont aussi des idées nouvelles, des rencontres inattendues, des imaginaires inédits. La négritude d'Aimé CÉSAIRE et de Léopold SÉDAR SENGHOR, le syncrétisme de Jean-Michel BASQUIAT, la littérature puissante de Maryse CONDÉ, c'est hier et aujourd'hui, là-bas comme ici, le métissage des cultures, la créolisation du monde - c'est tout cela la mémoire de l'esclavage. Et c'est tout cela qu’ont porté les militants, les artistes, les citoyens, les élus qui depuis les années 1990 se sont battus pour que cette mémoire soit mieux connue, mieux reconnue, mieux comprise, mieux partagée aussi. Je veux leur rendre hommage aujourd'hui. Sans eux, sans les artisans de la marche du 23 mai 1998, sans les mots de Christiane TAUBIRA, sans les livres d’Édouard GLISSANT et de Patrick CHAMOISEAU, sans l'action des élus locaux pionniers de cette mémoire comme vous, cher Jean-Marc AYRAULT, sans le travail des chercheurs, des historiens comme vous, Frédéric RÉGENT, jamais la loi du 21 mai 2001 n'aurait été votée, jamais le 10 mai puis le 23 mai n'auraient été institués en journée nationale. Toutes et tous, ils nous ont rappelé cette histoire, non pas pour nous diviser ou nous opposer mais pour nous rappeler ce que nous sommes une nation de liberté, d'égalité, de fraternité, de diversité.

C'est aussi pour cela que la mémoire de l'esclavage ne doit pas seulement être convoquée lors de ces 2 journées nationales et n'être évoquée que dans des discours annuels. Elle a besoin d'actes, de lieux, d'institutions, de travail.

Ce sont les engagements concrets que j'ai pris le 27 avril 2018 à l'occasion du 170ème anniversaire de la signature par le gouvernement provisoire de la République du décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises. D'abord, érigé à Paris dans le jardin des Tuileries, un mémorial qui rende hommage aux victimes de l'esclavage. Ce monument sera situé au cœur de la géographie de cette histoire, entre l'ancienne demeure royale et impériale des Tuileries, là où la convention qui vota la première abolition tenait ses séances et l'Hôtel de la Marine, là où a été préparée la deuxième abolition. Cette part de notre histoire enfin s’incarnera dans un lieu évident, significatif, solennel où nous pourrons nous rassembler pour l'évoquer. Ce mémorial sera inauguré en 2021 et je souhaite que ce moment soit pour notre pays l'occasion de rendre aux victimes de l'esclavage, à leurs descendants et à leur apport inestimable, l'hommage solennel de la nation qu'il mérite en y associant toutes les composantes de la société française.

La Fondation pour la mémoire de l'esclavage sera, elle, installée dans les tout prochains mois à l'Hôtel de la Marine. Je veux saluer le travail que vous avez accompli, cher Jean-Marc AYRAULT, pour en préparer la création dans le prolongement des rapports d’Édouard GLISSANT et de Lionel ZINSOU. Vous avez su rassembler un large cercle de partenaires publics et privés, de collectivités de l'outre-mer et de l'Hexagone, de personnalités réunies dans le comité de soutien dont Christiane TAUBIRA a accepté d'être la présidente. Et je l'en remercie. Elle apportera à la fondation son verbe, sa force, son aura.

Tous ont adhéré au projet que vous leur avez proposé celui d'une institution nationale moderne, rassembleuse, en prise avec les Outre-mer et ouverte sur l'international. Cette fondation sera un partenaire incontournable pour l'État et la société civile, pour les enseignants et pour les chercheurs, pour les collectivités territoriales et les institutions culturelles et patrimoniales, pour les artistes, pour les médias. Surtout, elle sera au service d’une grande ambition renforcer la cohésion nationale en transmettant l’histoire mondiale de la France, en célébrant les cultures qui en sont issues, en promouvant les valeurs républicaines d’émancipation, ici et dans le monde.

J’ai souhaité également que le musée qui dans notre pays est consacré à cette histoire et à la promotion des expressions culturelles qu’elle a suscitées, que ce musée soit renforcé dans son statut comme dans ses moyens, ce musée c’est le Mémorial ACTe de Point-à-Pitre en Guadeloupe. Je sais combien les présidents de la délégation de l’Assemblée nationale et du Sénat tenaient aussi à ce que l’ensemble des territoires de France puissent porter cette mémoire. Le Mémorial ACTe deviendra ainsi un interlocuteur capital pour les institutions homologues en Europe, dans la Caraïbe, l’Afrique et les deux Amériques. Il lui fallait pour assumer cette vocation une assise plus large et plus solide, c’est pour cela que l’État a décidé de soutenir le Mémorial ACTe en participant à sa transformation en établissement public de coopération culturelle autonome. Ce nouveau statut permet d’associer à sa gouvernance la région, le département, la ville de Point-à-Pitre, la communauté d’agglomération et l’État. La région qui a engagé ce projet à l’initiative de Victorin LUREL, et qui continue de le porter avec énergie aujourd’hui à travers la détermination de Ary CHALUS en restera le principal soutien, mais l’État prendra toute sa part, nous nous y sommes engagés.

Enfin, parce qu’elle raconte les racines des valeurs républicaines, parce qu’elle rend compte de la diversité de notre nation, parce qu’elle libère aussi des enfermements communautaires, cette histoire doit être transmise à la jeunesse de France.

Je veux ici remercier l’ensemble des élèves ici présents mais, à travers vous, tous ceux qui sont représentés qui se sont engagés auprès de leurs maîtres et grâce à l’engagement aussi des professeurs ici présents à faire ce travail. C’est évidemment se souvenir, c’est comprendre notre histoire, c’est en déplier toute la complexité mais c’est aussi le donner à vivre au présent en montrant comme vous l’avez fait ce que cela dit de notre citoyenneté et en montrant que ce qui peut être une évidence, ou parfois pour le pire en redevenir une, a été défait par des combats menés par la République, a été pour ce qui est de l’égalité et de la fraternité le fruit de conquêtes véritables.

Les programmes scolaires aujourd’hui le permettent, l’histoire de l’esclavage est désormais le sujet du premier chapitre des programmes d’histoire de 4ème et, dans le cadre de la réforme des programmes du lycée, les élèves de seconde traiteront de façon approfondie du système esclavagiste, de sa naissance au XVème siècle à son paroxysme au XVIIIème siècle et les programmes de 1ère étudieront le long combat des abolitions jusqu’au décret de 1848.

Un monument au cœur de Paris, un musée au rayonnement renforcé, des programmes scolaires renouvelés, une fondation à vocation internationale installée, voilà Mesdames et Messieurs ce dont la République française se dote pour porter et transmettre cette mémoire.

Mais nous ne saurions en rester là car l’esclavage, comme vous venez de le rappeler Monsieur le président du Sénat, n’appartient malheureusement pas qu’à notre passé, et la République ne serait pas la République si elle ne menait aussi ces combats partout dans le monde, qui sont ceux de ses valeurs, de ses principes.

Oui, l’esclavage demeure une terrible réalité contemporaine vécue par plus de 20 millions de personnes, des femmes et des enfants en grande majorité. Il se déploie aujourd’hui partout, partout là où en Afrique, en Asie, au Proche et Moyen-Orient le temps long de l’histoire a enraciné ces pratiques infâmes, partout où les conflits sont revenus, s’installant sur les haines ethniques ou religieuses, partout où l’organisation du monde s’est progressivement installée à nouveau dans des formes d’exploitation de l’homme par l’homme.

Alors face au travail forcé, à l’esclavage domestique, à l’exploitation sexuelle, à tous les abus, à toutes les formes contemporaines d’esclavage c’est un devoir d’action qui est le nôtre. C’est à cette fin que la France lutte contre la traite des êtres humains dans les zones de conflit alors que Boko Haram et Daech ont intégré cette pratique à leurs funestes stratégies de terreur.

C’est pour cela que nous soutenons l’initiative de Nadia MURAD et Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la paix 2018, de créer un fond de réparation pour les femmes victimes de violence sexuelle dans les conflits.

C’est pour cela, chère Nadia, que je vous remercie de votre présence ici parmi nous, vous êtes l’incarnation même du fait que ces combats ne sont pas terminés. Avec courage, vous avez survécu à ceux de Daech qui voulaient vous tuer ; avec courage, vous avez affronté ce que votre famille avait subi les crimes, les viols, l’éloignement, l’esclavage ; avec courage, vous vous battez pour que ce qui existe dans la région encore aujourd’hui soit définitivement éradiqué, c’est-à-dire toutes ces formes d’esclavage qui continuent d’attenter à notre dignité à nous aussi. C’est pourquoi votre combat, chère Nadia, est aussi le nôtre.

C’est aussi pour cela que le premier Prix Simone VEIL de la République française a été remis le 8 mars dernier à la Camerounaise Aissa DOUMARA engagée de longue date contre l’esclavage sexuelle.

Ces combats en Afrique, en Asie, au Proche et Moyen-Orient, ce sont toujours des luttes pour restaurer notre dignité, pour poursuivre ce combat auquel nous venons aujourd'hui de rendre hommage et de nous souvenir.

C'est le sens même de notre action au Conseil de sécurité des Nations Unies ou dans le cadre de notre présidence du G7, de lutter contre les trafics de migrants, contre les trafics d'êtres humains qui aujourd'hui continuent de sévir dans le Sahel, en Libye, dans la Corne de l'Afrique et qui, chaque jour, installent l'exploitation des êtres humains comme une règle, comme un moyen de vivre pour les organisations terroristes internationales et comme une honte pour nous tous.

C'est pour cela que la France poursuivra, au sein de l'Organisation Internationale du Travail, la lutte contre toutes les formes d'esclavage par le travail, de travail subi, de travail sous-payé et d'exploitation. Les textes sont là, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite Convention de Palerme, est là - elle doit encore être ratifiée par de nombreux États et nous nous battrons pour ce faire. Depuis octobre 2018, et l'adoption à l'unanimité par les Nations Unies d'une résolution portée par la France avec l'Italie et le Costa Rica, un mécanisme d'examen de l'application de cette Convention de Palerme est en œuvre - et nous poursuivrons ce combat, sans relâche.

Dès le 20 mai la France rejoindra la campagne “cœurs bleus” des Nations Unies qui, précisément, a pour objectif d'encourager les États comme les citoyens à se mobiliser pour lutter contre la traite des êtres humains.

Notre combat en Europe, dans le multilatéralisme contemporain se poursuivra pour que, partout où les formes d'esclavage contemporain existent, elles soient combattues et éradiquées. Et pour que dans tous ces pays où ces pratiques sont subies, d'autres enfants puissent comme vous l'avez fait aujourd'hui raconter, dénoncer ce que le combat de quelques-uns aura permis d'effacer.

Nous n'oublions ainsi ni la mémoire des victimes de l'esclavage ni celle des héros qui l'ont combattu. Nous n'oublions pas surtout ce message qu'il y a plus de deux siècles la France a lancé au monde “tous les hommes naissent libres et égaux en droit” ; un message dont nous devons aux esclaves révoltés de Saint-Domingue d'avoir révélé la portée véritable et qui est devenue l'étendard de toutes les abolitions.

C'est ce message que nous continuons de porter aujourd'hui en donnant à cette mémoire des lieux où elle peut s'inscrire, en créant des institutions où elle peut être transmise, en combattant toutes les formes d'esclavage qui persistent dans le monde et en soutenant les héros de notre temps qui luttent pour les émancipations et les abolitions qu'il reste à conquérir.

Il s'agit simplement d'être fidèle à notre devise, de garder la force contemporaine de cet esprit de résistance qui nous a fait, d'être fidèle à notre République, à ce que la France incarne, à ce que nous sommes. Merci à vous.

Vive la République et vive la France.

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