31 mars 2019 - Seul le prononcé fait foi

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Discours d’Emmanuel Macron lors du 75ème anniversaire des combats du Plateau des Glières en Haute-Savoie

Monsieur le Président de la République, Madame et messieurs les Ministres, Messieurs les Préfets, Mesdames et messieurs les Parlementaires, Monsieur le Président du conseil régional, Monsieur le Président du conseil départemental, Mesdames et messieurs les Maires, Messieurs les officiers généraux, Monsieur le Président de l’association des Glières, Mesdames et messieurs les Présidents des associations patriotiques, Messieurs les représentants des cultes, Chers enfants, Porte-drapeaux, Mesdames et messieurs,

Sur ce plateau des Glières, il y a 75 ans, des héros ont résisté à l’occupant nazi et à ses complices de Vichy.

Pour la première fois depuis l’armistice de juin 1940, des hommes tenaient un petit bout de France où il pouvait, fièrement, porter nos valeurs, chanter nos hymnes et vivre selon leur cœur. Où ils pouvaient, fièrement, faire claquer au vent le drapeau tricolore frappé de la croix Lorraine, le drapeau de la France libre.

Ils avaient pris les armes pour combattre la milice de Pétain et l’armée d’Hitler. 

Non plus dans l’obscurité épaisse de la nuit, mais dans la clarté terrible du jour et de la neige. Non plus comme des ombres du crépuscule, dans l’anonymat du sabotage nocturne et de la guérilla, mais à visage découvert, dans le combat en face.

En cet hiver 44, la France terrassée, la France occupée, la France bâillonnée prouvait au monde qu’elle pouvait encore parler – sur son sol même – la langue de la Liberté. Parce qu’ici, dans ce décor comme destiné à être le théâtre d’une épopée à la fois sublime et tragique, quelques centaines d’hommes avaient décidé de se lever.

Sans ces hommes qui refusèrent tout renoncement, fût-ce au prix des larmes et du sang ; Sans ces héros de la Résistance intérieure qui refusèrent le déshonneur, fût-ce au prix de leur propre vie ; la France ne serait pas la France.

Les Glières, c’est l’histoire de quelques héros qui ont préservé le pacte séculaire de la France avec la liberté et scellé sa vocation. Ils ont ici « maintenu la France », comme le dira Malraux, et sont morts selon son cœur.

Les Glières, c’est l’histoire du 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy qui, dès l’appel du 18 juin, commença à préparer secrètement la riposte. L’histoire de l’armée secrète, créée au même moment, et des maquis qui naquirent dans les vallées enneigées de Haute-Savoie, dont les rangs furent bientôt nourris par les réfractaires du STO. L’histoire des groupes communistes, des francs-tireurs et partisans. L’histoire aussi des républicains espagnols qui avaient fui l’Espagne franquiste en 1939 pour retrouver ici les combats d’une même liberté. Tous, à l’hiver 1944, commencèrent à gagner le plateau. Comme une ascension vers la liberté. Sur cette petite parcelle âpre mais libre de notre pays, ils sont bientôt 465. 465 hommes que rien ne prédisposait à se rencontrer, mais que le combat allait unir en une troupe solidaire et fraternelle.

Dans la neige des Glières, ils n’étaient plus paysans, instituteurs, ingénieurs, ouvriers, militaires, catholiques, juifs, communistes, ils étaient égaux et frères dans le combat, tous résistants.

Dans la neige des Glières, ils n’étaient plus Français, Espagnols, Polonais, Autrichiens, même Allemands. Non, ils étaient égaux et frères dans le combat, tous soldats de la liberté.

À Londres, le général de Gaulle et ses compagnons ont enfin convaincu Churchill d’armer la résistance intérieure. L’opération est délicate. Il faut trouver un terrain favorable, des hommes déterminés, des relais multiples. Le terrain sera ce pan de terre, perché à 1500 mètres d’altitude. Les hommes seront ces maquisards résolus, guidés par le lieutenant Tom Morel. Les relais seront les valeureux Savoyards qui, femmes et hommes, n’avaient eu de cesse dans le sillage de François de MENTHON, fondateur avec Henri FRENAY, du mouvement Combat, de harceler l’ennemi et ses collaborateurs, de protéger les Juifs et tous les persécutés.

Le cadre est posé. Les actes suivent.

Les maquisards vivent leurs premiers accrochages avec les Groupes Mobiles de Réserve de la police de Vichy. Les hommes des Glières se défendent. Ils tiennent les hauts, contrôlent les bas, ils sont partout. Mais les armes manquent. Les premiers parachutages se révèlent vite insuffisants. Le refuge du plateau menace de se transformer en piège. Il faut gagner du temps. Prendre l’initiative.

Dans la nuit du 9 au 10 mars, 150 maquisards, commandés par Tom MOREL, descendent à Entremont pour neutraliser les Groupes Mobiles de Réserve. L’opération est un succès. Les hommes des Glières font 60 captifs. Mais Tom Morel tombe. D’une balle dans le cœur. Il est enterré par ses troupes dans la solennité des montagnes. Il ne verra pas le nouveau parachutage qui le lendemain largue 60 tonnes de matériel et tout son poids d’espoir.

« Trois pays résistent encore en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie », annonçait Maurice Schumann sur Radio Londres. Ce troisième pays qui résistait, c’était les Glières. Les 465 irréductibles des Glières.

Face au succès du maquis, l’occupant s’impatiente. Face au mythe qui se construit ici en temps réel, il s’irrite. Il décide d’intervenir directement. Les hommes des Glières, passés aux ordres du capitaine Anjot, vont désormais affronter l’armée hitlérienne. Une division de la Wehrmacht, près de 3 000 hommes, appuyés par la Luftwaffe, l’artillerie lourde et la milice française. Une puissance de destruction extraordinaire.

À partir du 23 mars, les hommes des Glières, déjà assaillis par le froid, le sont donc aussi par le fer et par le feu. La raison commande la dispersion, l’honneur exige l’affrontement. Anjot et ses hommes choisissent l’honneur. Tant qu’ils le peuvent, ils résistent à l’ennemi. Tant qu’ils le peuvent, ils combattent. La neige les protège, eux qui connaissent chaque recoin. Ils en jouent et tiennent jusqu’à ce jour du 26 mars où les Allemands, ayant pris pied sur le plateau, prêts à l’assaut, Anjot décide de sonner le repli pour rejoindre d’autres maquis, pour continuer à mener le combat sur d’autres fronts.

Les frères d’armes se séparent pour mieux se faufiler entre les mailles étroites du filet allemand, sur ce terrain tout en relief, qu’ils connaissent si bien.

Mais ce paysage qui les a cachés, qui les a tant aidés, désormais les trahit. La neige, qui avait été leur meilleur allié, devient dénonciatrice. Car la neige révèle leurs traces et met leurs ennemis sur leurs pas.

Des dizaines d’hommes tombent alors sur le plateau, parmi lesquels le capitaine Anjot. D’autres sont capturés, torturés, déportés. On va traquer dans les fermes tous ceux qui les auraient aidés.

« Vivre libre ou mourir », c’était le serment des hommes des Glières.

129 d’entre eux périrent, et ils furent enterrés dans la dignité dès avril 1944, parce que là encore, le maire de Thônes, Monsieur Louis Haase, refusa pour eux la fosse commune.

Peu à peu, dans les communes avoisinantes, des groupes se reforment. Libéré de son manteau blanc, le plateau devient bientôt l’une des bases arrière où se prépare une libération qui désormais ne fait plus aucun doute. Le 1er août 1944, ils sont plus de 3000 aux Glières pour réceptionner les derniers parachutages. Le 19, la Haute-Savoie devient le premier département du continent à se libérer lui même, par les seules forces de la résistance de l’intérieur.

Elle est là, la victoire des Glières. Dans le cœur de ces résistants qui puisèrent dans l’exemple du lieutenant Morel, du capitaine Anjot et de leurs compagnons martyrs, la force de poursuivre le combat jusqu’à la Libération.

Lieutenant Morel ! Capitaine Anjot ! Tous ceux des Glières, rassemblés par un même élan patriote, rapprochés par le fracas des combats, unis en ce cimetière par le silence glaçant de la mort !

Si nous sommes là, au pied de ce plateau, qui fit votre grandeur et fut votre tombeau. C’est parce que, 75 ans après, le peuple de France n’oublie rien de votre sacrifice.

Si nous sommes là, c’est pour dire avec force que la leçon d’honneur et de courage que vous nous avez donnée est intacte.

Dans la neige des Glières, vous vous êtes dépouillés de tout. De vos biens, de vos croyances, pour embrasser une seule cause, celle de la France.

Dans la neige des Glières, vous avez renoncé à tout, parce que vous aviez, ancrée en vous, la conviction profonde que ce qui se jouait là était infiniment plus grand, plus grand que vous.

Et si nous sommes là, face à vous, 75 ans après, avec gratitude et humilité, c’est parce que chacun ressent ici, de manière palpable et intime, la présence vibrante de notre être profond, d’un rêve de liberté plus fort que le malheur des temps. Nous avons ici à apprendre une leçon aussi ancienne que la nation, au-dessus des sapins noirs et dans le murmure du vent : celle de l’enracinement, car les combattants des Glières que vous fûtes ont défendu l’honneur, la liberté, la civilisation, en même temps qu’une montagne, que leur terre, que ce lieu. Et il continue à en être ainsi de nos idéaux. Ils n’existent qu’ancrés, pétris dans notre terre, dans nos paysages. Vous y reposez. Leçon de l’égalité aussi. Paysans, soldats français, combattant des Brigades internationales, vous voilà côte à côte devant nous, oubliée la neige rougie des Glières, et sans distinction aucune.

L’égalité, la vraie, la nôtre, est bien de mesurer la valeur des hommes à ce qu’ils peuvent sacrifier à une cause qui les dépasse. Plus de noms, plus de familles, plus de différence ici.

Une fois tombé, chacun s’appelait la France.

Ainsi donc, sommes-nous venus ici apprendre de vos ombres le secret de notre Nation, cet esprit des Glières. Quand Alphonse MÉTRAL disait qu’il fut la volonté au service de l’espoir, l’enthousiasme de la jeunesse pour la liberté reconquise, la mystique de la libération en vue d’une France fraternelle qui serait « comme une vaste extension de la communauté du Plateau ». À présent que vos voix se sont tues, nous ne pouvons plus apprendre que du silence, le sens de votre combat. Et nous y puisons des forces inconnues, loin du vacarme des mots dont le monde nous entoure. Par votre sang, vous avez consacré le caractère libre et impérissable de la nation française et nulle part mieux qu’ici, à cause de vous, par vous, ne résonneront ces paroles qui sont celles de la reconnaissance en même temps que de l’espérance humaine.

Vive la République !

Et vive la France !

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