Avec René Lenoir, c’est une grande figure de l’engagement social qui nous quitte. Sa carrière de haut-fonctionnaire s’est en effet dès le commencement doublée d’une préoccupation permanente pour « les exclus ». Né en 1927, c’est dès sa sortie de l’ENA en 1957 qu’il s’intéressa au sort de ceux que la croissance des Trente Glorieuses laissait de côté. Il multiplia à ce sujet les études de terrain avant de porter ses convictions au cœur de l’Etat en devenant dès 1970 directeur général au Ministère des Affaires sociales puis Secrétaire d’Etat à l’Action sociale sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.

C’est en 1974 qu’il publie le fruit de ses analyses et de son expérience de terrain dans un livre qui rencontre immédiatement une grande audience et qui se révèlera structurant pour la pensée sociale française : Les Exclus (1974). Visionnaire, il dénonce dans ce livre qu’il avait failli intituler L’autre France ce qu’il appelle le « scandale » de l’exclusion et écrit : « « Dire qu’une personne est inadaptée, marginale ou asociale, c’est constater simplement que, dans la société industrielle et urbanisée de la fin du vingtième siècle, cette personne, en raison d’une infirmité physique ou mentale, de son comportement psychologique ou de son absence de formation, est incapable de pourvoir à ses besoins, ou exige des soins constants, ou représente un danger pour autrui, ou se trouve ségréguée soit de son propre fait soit de celui de la collectivité ». C’est tout un programme social pétri d’humanisme et de lucidité politique que ce livre contient. René Lenoir en appliquera les grands principes sans une loi fondatrice en faveur des personnes handicapées (1975).

Poursuivant ses engagements, il sera également Président de la Commission des affaires sociales du VIe Plan, Président de l’UNIOPSS à compter de 1992. Convaincu du rôle de l’Etat dans le traitement de la question sociale, il prendra à cœur la formation des hauts-fonctionnaires en devenant directeur de l’ENA entre 1988 et 1992. Il fera essaimer ce modèle de formation dans onze pays étrangers.

C’est tout naturellement qu’il s’intéressa au sort du Tiers-Monde et aux effets de la mondialisation. En 1998, il publia avec Repères pour les hommes d’aujourd’hui une réflexion sur ces sujets dont la profondeur est encore aujourd’hui de nature à nous interpeller, écrivant : « Je ne crois pas possible de penser la cité mondiale du XXIe siècle à partir de considérations économiques. Nous avons tous besoin de nourriture, de vêtements et d'un toit. Nous avons tout autant besoin d'amour et de savoir qui nous sommes. A titre individuel d'abord, comme communauté ensuite. Impossible d'évoquer la cité sans une vision anthropologique : on ne construit pas comme une ruche une société de personnes libres. »

Le Président de la République salue la mémoire de ce grand humaniste et homme d’Etat et adresse à sa famille et à ses proches ses sincères condoléances.

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