Péruvien de naissance, figure de la littérature sud-américaine, Européen de cœur, citoyen de la bibliothèque universelle, Prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa incarnait la plus haute conception des pouvoirs du roman. Il nous laisse une œuvre aux proportions du monde.

Le destin entier de Mario Vargas Llosa appartient à son œuvre romanesque. Né au Pérou en 1936, passant son enfance en Bolivie, retournant à Lima à l’âge de dix ans, il entra à quatorze ans à l’Académie militaire de Lima qui devint ensuite le décor de son premier chef d’œuvre, « La ville et les chiens ». Mario Vargas Llosa fit de cette enfance dramatique, avec ses traumatismes et sa violence, une quête par la fiction de vérité et de beauté, assouvie grâce aux pouvoirs de la littérature. Comme il le raconta ensuite dans la « Tante Julia et le scribouillard » (1977), il suivit sans convictions des études de droit qu’il poursuivit à Madrid.  

Gagnant d’un concours de nouvelles organisé par la « Revue française », il remporta une invitation à séjourner à Paris, où il passa presque huit ans, employé comme journaliste par l’AFP et l’ORTF. Surtout, l’ébullition des années 1960 françaises lui fit découvrir les avant-gardes européennes, du Nouveau Roman à la Nouvelle Vague. Mario Vargas Llosa, l’esprit déjà pétri de Flaubert et de Victor Hugo dont, disait-il, la lecture d’une phrase des « Misérables » avait décidé à cinq ans de sa vocation, s’éprit aussi de l’œuvre de Jean-Paul Sartre dont le style et la métaphysique le marquèrent profondément. Le jeune Péruvien fut aussi placé en contact avec toutes les figures de littérature sud-américaine en exil, avec qui il noua des amitiés parfois houleuses, de Carlos Fuentes à Gabriel Garcia Marquez.  En 1963, « La Ville et les chiens » parut : cette ode à l’insoumission d’un jeune poète face à l’autoritarisme de l’armée formait la métaphore d’un pays et d’un continent opprimés.  

Après ce premier roman au style post-moderne, devenu un classique contemporain, Mario Vargas Llosa fut considéré comme l’un des visages du « boom » sud-américain. Six ans plus tard, il publia un autre chef d’œuvre, « Conversation à la Cathédrale » (1969), fresque polyphonique sur l’envers de la dictature de Manuel Odria. Car vers le Pérou le ramenaient les chemins de son engagement. En rupture de ban avec l’extrême-gauche, prenant la plume pour divers journaux au service de son idéal libéral, il se présenta en 1990 à l’élection présidentielle au Pérou, lors de laquelle il fut battu par Alberto Fujimori. De cette épopée électorale, il tira un récit – « Le Poisson dans l’eau » - et la conviction qu’il lui fallait surtout poursuivre son œuvre. Il ne passa pas non plus sous silence ses convictions, libérales et conservatrices, et s’engagea, au fil des années, pour différentes causes parmi lesquelles la défense de la construction européenne, en citoyen intermittent de Paris, Barcelone et Londres.

Au cours de toutes ces décennies, l’ampleur de son œuvre apparut chaque fois plus impressionnante. « La guerre de la fin du monde » évoquait dès 1981 les conflits millénaristes, mêlant foi, dogme et fanatisme, dans le Brésil de la fin du XIXe siècle. Quant à la « Fête au Bouc » (2000), roman sur la dictature de Trujillo, il fut considéré dès sa parution comme un classique de la littérature universelle où éclatait particulièrement ce talent pour « la cartographie du pouvoir » que récompensa en 2010 l’Académie Nobel. Parce que Mario Vargas Llosa, enfant en butte à l’autorité paternelle, élève soumis à la discipline militaire, citoyen et homme politique d’un pays victime des dictateurs, formulait toujours la même réponse : au pouvoir des hommes s’opposait la force des livres. Esprit libre, personnage aussi flamboyant qu’érudit, cet amoureux de la France avait trouvé à l’Académie française une compagnie qui l’avait élu en 2021.

Le Président de la République et son épouse saluent la mémoire et l’œuvre d’un classique de notre temps, un auteur qui du Pérou à Paris fit du roman une arme universelle de liberté. Ils adressent à sa famille, à ses proches, à ceux qui le lisaient et l’aimaient, leurs condoléances sincères.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers