Il avait été un pionnier du cinéma africain et avait acquis en presque soixante ans de carrière une ampleur universelle. Souleymane Cissé, réalisateur malien, auteur de plusieurs chefs d’œuvres, récompensé dans les plus grands festivals internationaux, nous a quittés ce 19 février. Avec lui le septième art perd un artiste unique, poétique et politique, qui rendait la vie plus vraie, l’Afrique plus libre, le monde plus beau.

Le cinéaste vit le jour le 21 avril 1940 au Mali. Très tôt passionné de cinéma, spectateur assidu, avec ses huit frères aînés de la salle « Vox » à Bamako, puis étudiant en philosophie à Dakar, il se forma dans le bouillonnement politique des lendemains de l’indépendance. La vision d’un documentaire sur Patrice Lumumba décida de sa vocation en lui révélant les pouvoirs du cinéma pour dire le monde et le changer. Déterminé, précoce, passionné, Souleymane Cissé obtint une bourse pour suivre des études de cinéma en Union soviétique, dans une école fréquentée avant lui par Ousmane Sembène. Diplômé de cinéma à Moscou, pétri de l’œuvre d’Eisenstein, Souleymane Cissé devint employé du Ministère de l’information malien. Là, sur les chemins de ses reportages, il put éprouver les techniques du documentaire. Souleymane Cissé cependant choisit bien vite la voie de la fiction : d’abord un moyen métrage, « Cinq jours d’une vie » en 1971, puis un premier long métrage en bambara, « Den Muso » quatre ans plus tard. L’œuvre exposait sans fards la condition d’une femme victime de viol. Œuvre engagée, féministe, elle provoqua des remous par sa manière de raconter le réel avec sensibilité mais sans esquive. Devenu cinéaste à temps plein, Souleymane Cissé enchaîna les œuvres politiques : « Baara » (Le Travail) en 1978, qui reçut l’Etalon de Yennega au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, à propos du conflit de classes sociales, ou « Finyè » (Le Vent), quatre ans plus tard, à propos d’une révolte étudiante.

De 1984 à 1987, Souleymane Cissé tourna « Yeelen » (La lumière), drame romanesque et presque mythologique sur un conflit de générations, qui fut un jalon majeur dans son œuvre comme dans l’histoire du cinéma africain. Inspiré de la tradition bambara, le film, récompensé par le Prix spécial du jury du Festival de Cannes, constitua le manifeste d’une génération de cinéastes déterminés à affranchir l’Afrique des représentations occidentales et offrir son patrimoine à l’universel. Premier cinéaste primé du continent, Souleymane Cissé incarna pour le monde entier le cinéma africain : avec son autorité, sa probité, sa capacité à mêler drame et poésie. Auteur rare, il signa encore « Waati » (Le Temps) en 1995, film manifeste sur l’Afrique contemporaine, à travers le destin d’un enfant fuyant l’apartheid, puis, quinze ans plus tard, « Min yé » présenté au Festival de Cannes. Ce fut là, aussi, qu’en 2023, il reçut le Carrosse d’Or pour sa contribution exceptionnelle au cinéma mondial. « Le cinéma aura été ma vie. Pour cela, je remercie le cinéma », avait-il alors confié en accueillant cette récompense.

Ce sentiment de gratitude, cette foi dans les pouvoirs du septième art, Souleymane Cissé les exprimait aussi en œuvrant pour l’ouverture et le maintien des salles de cinéma sur le continent. Comme le cinéma avait changé la vie de l’enfant du « Vox » de Bamako, il souhaitait que l’art, la création comme l’enregistrement des histoires et des cultures permettent à chacun d’inventer son destin. Le cinéaste fut aussi le héros d’un documentaire tourné par sa fille, Fatou Cissé, « Hommage d’une fille à son père », où d’autres géants du septième art témoignaient de son influence et de sa puissance poétique.

Le Président de la République et son épouse saluent en Souleymane Cissé un immense créateur africain et universel qui fut aussi un passeur entre les générations et entre les continents. Ils adressent à sa famille, à ses proches, à tous ceux qui furent sensibles à son œuvre et son exemple, leurs condoléances émues.

À consulter également

Voir tous les articles et dossiers