L’avocat Henri Leclerc nous a quittés, après soixante-dix ans d’une carrière passionnément éprise de justice, qui scanda les grandes heures de nos prétoires.
Henri Leclerc aimait à évoquer son enfance heureuse dans une maison de banlieue en meulière, sous l’ombre tutélaire d’un père fonctionnaire des impôts et ancien poilu. L’avocat se souvenait toujours de l’annonce, il y a 80 ans, de la Libération de Paris, de la joie qui avait étreint ses parents, de ce défilé de la deuxième DB qu’ils étaient allés voir en famille le lendemain. Il restait marqué par ses heures de lecture enfantines, et par le choc de la découverte de Mateo Falcone, à 8 ou 9 ans. L’exécution sommaire du héros avait éveillé en lui cette question qui ne le quitta jamais : « Qu’est-ce que la justice ? » Il devait passer sa vie à chercher la réponse.
La liste de ses clients forme une litanie des grandes affaires criminelles et politiques du siècle. Mais ce sont surtout les causes sociales qui firent sa réputation. Du jour où il commença à plaider, en 1955, le jeune avocat mit ses convictions au cœur de son métier. En pleine guerre d’Algérie, cette guerre où il avait lui-même été envoyé faire son service militaire, il défendit les militants du FLN et du MNA. Mai 68 lui donna l’occasion de défendre Geismar, Sauvageot, Dany le rouge. Puis ce furent les mineurs du Nord, les pêcheurs bretons, les paysans ruinés par les entreprises agro-alimentaires, le journal Libération, autant de causes qui lui valurent le surnom d’« avocat des gauchistes ».
La parole et l’action : tel était le titre de ses mémoires. Tels étaient aussi les deux piliers de son engagement. Avocat et militant, Henri Leclerc se fit une gloire de porter ses convictions sociales sur tous les fronts. Tenté par le communisme pendant ses années étudiantes, il jeta l’ancre au Parti socialiste unifié (PSU) de Michel Rocard, qui fut jadis son camarade à la fac de droit. Président de la Ligue des droits de l’homme de 1995 à 2000, il y défendit la dignité des prisonniers. Pour rendre la justice véritablement égalitaire, il donna corps, 20 ans durant, à l’utopie sociale d’un cabinet d’avocats qui permît à tous les justiciables de solliciter des conseils juridiques pour le prix d’une consultation médicale.
Sa profonde voix de basse ne retentira plus dans les prétoires, mais elle gardera dans nos mémoires sa résonnance unique. Le Président de la République adresse ses condoléances émues à ses proches, à ses collaborateurs, et à tous ceux pour qui il représentait la vitalité inépuisable de la justice républicaine.
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