A l’occasion des 80 ans du CRIF, le Président Emmanuel Macron a accueilli les membres du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France ce lundi au Palais de l’Elysée. 

Lors de son discours, le chef de l'Etat a rappelé que la France ne cédera jamais face à l'antisémitisme et qu'elle se bat pour la libération de tous les otages. 

Le Président de la République a également redit la nécessité de lutter contre le terrorisme dans la région, de respecter le droit humanitaire et de bâtir une solution politique sans laquelle la paix ne sera possible. 

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18 mars 2024 - Seul le prononcé fait foi

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Réception à l'occasion des 80 ans du CRIF.

Monsieur le Premier ministre,
Madame la Présidente de l'Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame et Monsieur le Premier ministre,
Madame la Défenseur des droits,
Madame la maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du CRIF, cher Yonathan,
Messieurs les Présidents honoraires,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
Chers amis.

Je suis très heureux que nous puissions nous retrouver ce soir et que vous soyez là ainsi, tous réunis car c'est votre place. Et ces huit décennies de chemin que vous avez réévoquées à l'instant, malgré les temps que nous vivons, n'enlèvent rien à tout ce qui a été fait, au rêve fou de quelques-uns, à la détermination implacable d'une chaîne de femmes et d'hommes qui ont permis en effet au Conseil représentatif des institutions juives de France de jouer ce rôle essentiel au cœur de la République.

Voilà 80 ans, dans une France qui était encore occupée par les nazis, des Juifs de tous horizons se rassemblaient pour éveiller une lueur d'espérance. « Construire l'avenir à l'ombre de la mort ». C'est ainsi que Adam Rayski, l'un des fondateurs du CRIF, évoquait la mission même du Conseil : l'avenir. L'avenir signifiait d'abord une France libre du joug nazi et de la mainmise du régime de Vichy, libre des lois antisémites, des filatures, des rafles. Comme ce 9 février 1943 à Lyon, où un jeune homme du nom de Robert Badinter vit son père emporté par les séides de Klaus Barbie. L'avenir dans une France libre. C'était celui pour lequel combattaient Maurice Schumann, Stéphane Hessel, René Cassin, depuis Londres, Romain Gary à bord de son avion, les anciens éclaireurs israélites de la sixième dans leur maquis, Pierre Mendès France dans sa prison, Adam Raisky et ceux des FTP-MOI, frères d'armes de Missak Manouchian, au coin des rues de Paris. Tous persécutés parce que juifs et tous français à la vie et à la mort. Combattant pour la patrie des Lumières, celle de l'émancipation par la citoyenneté, celle qui s'était déchirée pour le sort du capitaine Dreyfus. L'avenir, ils ont eu la force dans notre pays, encore occupé et malgré tout cela, de vouloir cet avenir possible. Et il fallait un optimisme de la volonté et une lucidité totale pour le distinguer cet avenir, en 1944, alors que l'œuvre d'extermination se poursuivait, parfois là, s'accélérer. Pour les fondateurs du CRIF, construire l'avenir signifiait dès lors dépasser les clivages, les idéologies et les utopies autour d'un socle commun, cette conception française de l'homme, qu’elle se dise en yiddish ou en français, qu'on soit communiste ou religieux. Miroir en judaïsme du mouvement accompli dans un autre printemps par les hommes du Conseil national de la Résistance. Oui, pour le CNR comme pour le CRIF dès l'origine, les jours heureux se vivent et se vivront en République. D'où cet attachement inscrit dans votre charte fondatrice des principes d'égalité devant la loi, sans distinction d'origine ou de religion, et d'où cet attachement aux valeurs révolutionnaires d'émancipation héritées de 1789. Construire l'avenir à l'ombre de la mort, projet initial du CRIF qui s'est prolongé dans la volonté depuis huit décennies de bâtir l'espoir et la concorde dans la République. Et je sais votre engagement, Monsieur le Président, pour continuer de porter, si je puis dire ainsi, ces noces heureuses, scellées depuis la Révolution entre l'esprit du judaïsme et l'esprit de la République.

Construire l'avenir, ce fut ce qu'accomplirent vos prédécesseurs dont je veux saluer ce soir la présence à nos côtés et je salue à mon tour la présence d'Henri ARENBERG, Roger CUKIERMAN, Richard PRASQUIER et Francis KALIFAT. Merci, durant ces années de présidence, de l'action que vous avez conduite. Vous avez présidé le CRIF à travers les épreuves, les attaques, les attentats, les violences antisémites que la Nation a traversées, à travers les progrès aussi, ceux de nos lois renforcées, de notre État réarmé, de notre mémoire mieux conservée et transmise. Vous avez eu sur ce chemin quelques compagnons de combat ici présents à vos côtés dont je veux saluer aussi l'engagement. Construire l'avenir, tâche toujours à recommencer, aubes à raviver, pentes à gravir contre tous les précipices de chaque époque. Eh oui, l'ombre de la mort, chacun l'a ressentie ce 7 octobre dernier, jour du plus grand massacre antisémite de notre siècle. L'ombre des armes et des drones du Hamas au Proche-Orient, sur les villages et les visages d'Israël. L'ombre de ces prisons, ou pire encore, où sont encore retenus 3 otages français, Ofer KALDERON, Orion HERNANDEZ-RADOUX, Ohad YAHALOMI. Et la France œuvre et œuvrera sans relâche pour leur libération comme celle de tous les otages encore détenus par le Hamas. Et je le dis ici, ce sont tous les otages que nous voulons faire revenir et que nous ferons revenir sans relâche.

Nous nous sommes battus et heureusement plusieurs de nos compatriotes sont sortis. Nous étions à leurs côtés pour les célébrer et pleurer nos morts le 7 février dernier. J'étais fier, à vos côtés, que la France soit ce pays qui, non seulement, mette des mots, mais dise aussi avec force que nous n'oublions personne, le dise en fraternité avec Israël et que toutes les victimes du terrorisme étaient dans la Cour des Invalides ce jour-là, les victimes françaises, mais les victimes du monde entier, car ce combat-là est le nôtre. L'ombre, malheureusement aussi, depuis, est revenue sur notre sol. Des pancartes au slogan antisémite en Europe sur les pavés de nos villes, l'ombre encore. Des ténèbres d'où ressurgissent la vengeance, la haine et la mort qui semblent foudroyer des milliers de vies paisibles et libres. Construire l'avenir, aujourd'hui, face à cette nouvelle vague d'antisémitisme, je sais, soulève du doute, parfois du découragement, chez tant de nos compatriotes, comme si cela ne devait pas finir. Mais ce combat est juste et nous le mènerons. Nous le mènerons pour nous-mêmes, pour nos enfants.

La question que se posent beaucoup, et je l'entends, pourront-ils être français et juifs, croyants ou non, s'appeler Sarah ou Ilan, militer dans une association étudiante, afficher une mezouza sans être renvoyés à une identité, sommés de s'expliquer, voire de s'effacer ou de s'enfuir ? Pourront-ils étudier dans des lieux d'enseignement devenus parfois des lieux de pulsions et d'imprécations antisémites ? Pourront-ils vivre dans un pays de mémoire et d'espoir où le souvenir de la Shoah est porté et transmis ? Pourront-ils vivre libres, égaux et fraternels ? Ces questions sont là, elles sont réapparues avec une force, une violence qui nous paraît encore plus injuste et injustifiée depuis le mois d'octobre dernier. Et à ces questions, à ces doutes légitimes, devant la recrudescence des attaques ces derniers mois, la réponse de l'État doit raviver la confiance.

Nous avons été intraitables pour réprimer l'antisémitisme où qu'il soit, dans la rue, derrière les écrans, dans nos universités. Nous avons été intraitables pour sanctionner, arrêter, donner des circulaires pénales claires et avoir une réponse judiciaire qui l’était tout autant. Nous avons été intraitables, là aussi, face aux événements récents. Des enquêtes ont été ouvertes pour faire la lumière sur les faits que vous avez mentionnés, Monsieur le Président, à Sciences Po. J'ai eu des paroles très claires la semaine dernière en Conseil des ministres et, sous l'autorité du Premier ministre, le Gouvernement veillera à ce que l'ordre républicain soit respecté. Les ministres ont pris des dispositions fermes et nous y veillerons. Le ministre de l'Intérieur a annoncé la création d'un observatoire des actes anti-religieux pour nous permettre de mieux lutter contre le fléau de l'antisémitisme. Oui, à chaque fois que réapparaîtra la moindre trace d'antisémitisme, nous serons intraitables, comme nous l'avons toujours été et avant moi, mes prédécesseurs. Car, comme je parlais de vous, il y a cette chaîne de Président en Président à la tête de notre République. Agir contre les séparatistes, contre tous les porteurs de haine et ne rien céder à l'antisémitisme. Et en la matière, je le dis avec la plus grande force, ici ce soir, il n'y a aucune place pour l'antisémitisme, quel qu'il soit. Et il n'y a, n'y aura jamais de : « Oui, mais... », d'explication de ceci ou de justification de cela. Aucune. Jamais.

La confiance dans l'avenir, celle que je veux, pour chacune et chacun ici, suppose cette intransigeance au présent. La réponse de l'État est implacable parce qu'il est insupportable qu'un seul Français juif ne puisse vivre librement. Et parce qu'à travers l'antisémitisme, c'est le socle qui unit la Nation qui est attaqué. Parce que l'antisémitisme est, au fond, une exécration de la République. C'est pourquoi, là où s'épanouit l'antisémitisme, s'épanouissent toutes les autres formes de haine : haine des différences, des minorités, haine des étrangers, haine des musulmans, des femmes, des homosexuels. L'une vient après l'autre. Et qu'importe les masques que prend l'antisémitisme, au fond, sa qualification m'est secondaire. Antisémitisme religieux aux préjugés millénaires, antisémitisme social aux idées toujours vivaces, antisémitisme culturel de détestation du peuple d'Israël, antisémitisme racial forgé dans un autre siècle et dont le négationnisme est une excroissance contemporaine. Changent ces masques de haine, changent les idéologies auxquelles ils se mêlent, à commencer par l'islamisme radical, changent les couvertures et les prétextes que l'antisémitisme trouve pour s'insinuer dans le débat public. Aujourd'hui, l'antisionisme dont j'ai toujours nommé la nature antisémite. Qu'importe, car avec l'antisémitisme, tout change pour que rien ne change. C'est toujours de l'antisémitisme et c'est toujours à combattre avec la même fermeté, la même clarté, la même intransigeance. Ces masques.

Et ces masques dans notre société se superposent, coexistent et s'inscrivent dans une longue histoire. Rappelons ici encore et toujours que l'antisémitisme en France, oui, a une histoire et cette année plus particulièrement, nous nous souviendrons encore inlassablement de ces crimes au camp du Struthof, libéré le 25 novembre 1944. L'antisémitisme français dispose d'une généalogie de Drumont à Maurras, de Faurisson à Dieudonné, et il nous appartient de le rappeler, de s'en souvenir, de ne jamais être dupe de ceux qui voudraient escamoter ses racines.

Oui, tout change pour que rien ne change. La haine antisémite doit toujours trouver de nouveaux masques. Tant, comme le disait Sartre, « elle est la haine de la moindre différence. Elle est au fond, dans nos sociétés, la pulsion de mort et de détestation de l'autre. Elle est l'ennemie intime de l'universalisme français ». Et c'est pourquoi, vous l'avez dit, je l'ai moi-même rappelé, il n'y a qu'une manière de combattre l'antisémitisme : c'est l'universalisme. C'est le bloc que forme la République. C'est la défense de nos principes. Et c'est le fait même que chaque républicain, quel que soit son origine, quelle que soit sa religion ou pas, l'antisémitisme est son combat à lui d'abord.

Parce que l'antisémitisme est un combat contre l'universalisme de la République. Notre universalisme, celui qui aujourd'hui, dans la lumière des écoles de la République, permet justement de transcender les origines pour bâtir un commun autour d'une langue, d'une histoire, d'un bloc de savoirs et d'espoirs. Celui qui, au Mémorial de la Shoah ou au Camp des Milles, enseigne les mécanismes toujours semblables des pulsions identitaires, du tribalisme, du séparatisme qui mettent en mouvement les engrenages du génocide. Celui qui, à l'université, permet la dispute et le débat, les grands soirs et les paroles vives, mais jamais, jamais la censure, la haine. Celui qui, dans la rue, au travail, dans nos villes, permet à chaque citoyen, sans distinction d'origine ou de religion, de travailler pour son bonheur privé et pour le bien public. Celui qui permet l'émancipation des femmes dans le sillage des combats de Simone Veil, dont l'Action Française a encore souillé la statue. L'émancipation des hommes, l'émancipation humaine vers toutes les promesses de l'aube.

Cet universalisme qui, en Europe, nous permet de nous tenir pour défendre le droit, la justice, la paix partout où ces trésors de civilisations sont malmenés. Celui qui, au Proche-Orient, exige d'être ferme sur nos principes, de condamner le terrorisme comme nous l'avons fait avec la plus grande des clartés et les violences sexuelles commises par le Hamas, et d'appeler dans le même mouvement à protéger les civils aujourd'hui sous les bombes à Gaza et à dessiner un chemin pour la paix qui reconnaisse l'humanité dans le visage de l'autre. Précisément parce que nous défendons l'existence, la sécurité d'Israël comme démocratie.

Et précisément, je le dis ici avec la même clarté, comme je l'ai fait il y a encore quelques semaines, parce que défendre et aimer Israël, vouloir sa sécurité, ça n'est pas souscrire à tous les choix d'un gouvernement démocratique du moment. Et il faut assumer, comme le permettent les démocraties, de vivre des désaccords. Et il peut y en avoir et il doit y en avoir. Que la France se bat avec la plus grande des clartés pour condamner l'attaque terroriste du 7 octobre, pour la libération de tous nos otages, pour aider à lutter contre le mouvement terroriste qu'est le Hamas. Et nous l'avons fait dès le premier jour et j'ai été, je crois, le premier dirigeant étranger à le dire avec clarté, pour aussi appeler à respecter le droit humanitaire, le droit de la guerre, le droit international comme le doit toute démocratie et comme nous le faisons nous-mêmes pour lutter contre le terrorisme puisque vous avez pris la comparaison et pour bâtir une solution politique sans laquelle il n'y aura jamais de paix et de sécurité pour Israël.

Ce projet complet de sécurité et de paix pour tous, c'est celui-là même que nous avons articulé dès le mois d'octobre dernier. Il ne cède pas, je dirais, à toutes les tentations du temps. Il peut parfois susciter des désaccords, je les prends avec respect et humilité, mais il est, je crois, celui qui permet d'avancer sur un chemin responsable et la place que la France doit prendre.

Notre universalisme donc, universalisme laïc et esprit de résistance. « Je ne connais que deux catégories de Français, ceux qui font leur devoir et ceux qui ne les font pas. » Cette phrase est celle du Général de Gaulle à ceux qui tentaient de dénier à Georges Boris le droit de rejoindre la France libre parce qu'il était tout à la fois juif et socialiste. Faire notre devoir, devoir de vigilance, devoir de résistance, devoir de persévérance, nous rassembler, faire bloc pour nous tenir à ce devoir de courage, celui de nommer, de condamner, de punir l'antisémitisme. Devoir de dialogue, d'enseignement, de concorde, devoir de défendre le droit international et le droit à la sécurité et la paix pour tous, devoir d'être pleinement, universellement des républicains en cœur et en acte.

Alors, je le sais, ce soir, nous avons tous des sentiments mêlés en nous retrouvant. Une joie d'être là, tous ensemble, et de le dire comme vous l'avez fait, d’être au cœur de la République. 80 ans après, signifie quelque chose. Et nous battre avec le gouvernement de la France, contre l'antisémitisme, c'est un chemin que j'espère comme vous, maintenant irréversible. Mais nous voyons encore l'antisémitisme revenir, et je sais le découragement de certains.

Alors je voudrais, ce soir, vous dire que nous n'avons qu'une responsabilité, c'est, à notre tour, de penser et de vouloir l'avenir, même à l'ombre de la mort. D'avoir la même lucidité, la même volonté, le même courage que ceux qui nous ont précédés il y a huit décennies et de ne rien céder à cet esprit de résistance qui n'est pas une naïveté, qui est une volonté d'espérance.

Nous aurons encore des combats, beaucoup, et nous les mènerons. Nous aurons des combats qu'il faudra régler devant les tribunaux, qu'il faudra régler par la sécurité, l'autorité, l'intransigeance. Nous avons tant de combats à mener aussi qu'il faudra régler, en forgeant les consciences et en continuant dans nos écoles et nos universités, de faire des républicains.

Et je veux ici remercier tous ceux qui, dans nos régions, avec patience, humilité, abnégation, mènent, si je puis dire, à vos côtés, le combat de votre organisation et celui de la République. Au moment même où nous aurons cette année à commémorer beaucoup de grands événements, nous savons que tant de nos Résistants, de nos vétérans, de nos survivants et rescapés sont en train de partir. Et le combat pour la mémoire, le combat pour l'éducation, le combat pour que tout ce qui a présidé à nos décisions et qui fait qu'il n'y avait pas de discussion et de « oui, mais... » puisse se poursuivre, impliquent pour nous tous une responsabilité plus grande encore.

Celle qui passera par l'école, l'éducation, l'histoire, notre engagement. Alors nous continuerons de faire des républicains. Nous continuerons de nous battre parce qu'au bout de ce chemin, je sais, oui, qu'il y a un avenir commun, un avenir d'espérance dans la République, celui que vous portez, celui que nous porterons ensemble.

Vive la République ! Et vive la France !

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